Un certain Me Mamadou DIANE, se présentant comme juriste, a apporté sa contribution au débat sur l’inéligibilité au scrutin présidentiel de 2015 de M. Alassane OUATTARA, propos recueillis par de nombreux quotidiens nationaux du lundi 3 août 2015 dont le patriote, Nord-Sud Quotidien, le Nouveau Réveil … . Nonobstant le fait que les arguments avancés sont fragiles et facilement détruits par la contre analyse que nous proposons ici, nous saluons la démarche intellectuelle et le souci –souci que nous partageons – de trouver dans les affaires de ce type, une légitimité par la seule loi.
Mais les lois sont nombreuses, d’où l’impératif de leur hiérarchisation. On appelle « loi fondamentale » l’ensemble des textes de lois qui établissent les bases du système politique, c’est la CONSTITUTION.
D’où une première question : M. Alassane OUATTARA est-il éligible au regard de la Constitution de la République de Côte d’Ivoire, OUI ou NON ?
Puis une seconde, qui ne se pose en toute logique, qu’en cas de réponse négative à la première : Existe-t-il une autre source de droit susceptible de le rendre éligible ?
Si oui, sur quelle légalité repose cette autre source de légitimité ?
OUATTARA n’est pas éligible au regard de la Constitution en vigueur
Me Mamadou DIANE en faisant de son analyse une réponse à la seconde question, a implicitement répondu à la première : non, M. Alassane OUATTARA n’est pas éligible au regard de la Constitution de la République de Côte d’Ivoire. Point à la ligne !
Il rejoint en cela ses pairs et la quasi-totalité des acteurs politiques, ceux du propre camp de M. Alassane OUATTARA compris. Sur ce point, le débat est effectivement clos.
Existe-t-il une autre source de droit susceptible de rendre M. Alassane OUATTARA éligible ?
Me Mamadou DIANE répond que oui. Ce sont les textes et accords internationaux, qui dans le cas d’espèce, jouiraient d’une primauté sur la Constitution de la République ! Pour soutenir cette affirmation Me Mamadou DIANE s’appuie sur trois axes de raisonnement :
– La légitimé de la Constitution est sinon nulle, tout le moins assez restreinte, du fait qu’elle proviendrait d’un référendum ou seulement une minorité de citoyens s’est exprimée,
– La constitution est, en son article 35, contraire à bon nombre de traités et accords internationaux,
– L’article 87 de la Constitution exprime en pareille situation la primauté des traités et accords internationaux sur les dispositions de la Constitution.
La Constitution de la République est nulle
Me Mamadou DIANE démontre cela par deux argumentaires. Premièrement elle a, selon lui, été adoptée par « une minorité de citoyens lors du référendum constitutionnel du 23 juillet 2000 ». Ensuite elle serait imparfaite en un certains nombre d’articles. Il souligne dans ce sens que le 08 février 2002, le MIDH aurait « recommandé à la Côte d’Ivoire, la révision de la Constitution adoptée le 23 juillet 2000, en ses articles 35, 65 et 132 ».
Sur ces deux points, le juriste fait preuve d’une pauvreté argumentaire flagrante, qui autorise le doute sur ses qualifications supposées. D’abord l’expression « une minorité de citoyens » renseigne sur la non maitrise du sujet par notre « expert » en généralité, qui s’avère incapable de donner des chiffres précis : nombre de votant, suffrage exprimé, taux de participation. Une « minorité » est un terme barbare, qui sans chiffre, ne veut absolument rien dire !
Nous mettons à sa disposition ici, gratuitement, les chiffres concernant le référendum constitutionnel de juillet 2000.
Tableau I : référendum constitutionnel de juillet 2000
Catégories
Nombre
Pourcentages
inscrits
Pourcentage
votant
Pourcentage des suffrages exprimés
Inscrits
5 017 087
Votants
2 808 157
56,0 %
Bulletins blancs ou nul
85 143
Suffrage exprimés
2 723 014
98,90 %
Oui
2 356 161
86,53 %
Non
366 853
13,47 %
Au regard des chiffres ci-dessus, il y a lieu de déclarer, fausses, mensongères et farfelues les allégations de Me Mamadou DIANE selon lesquelles, c’est une « une minorité de citoyens » qui a adopté le référendum constitutionnel du 23 juillet 2000. D’où la première conséquence, la Constitution de la République de Côte d’Ivoire ne souffre d’aucune illégitimité du fait d’une participation insuffisante des citoyens ivoiriens au scrutin référendaire qui lui a donnée naissance.
De l’imperfection de la Constitution
Une constitution est une œuvre humaine, dans aucun pays du monde elle ne peut prétendre à la perfection. Au demeurant, la Constitution de la République de Côte d’Ivoire prévoit expressément les conditionnalités de son amendement (titre XIV, articles 124, 125, 126 et 127). Donc, oui, la constitution peut comporter, elle comporte nécessairement, des articles qui sont susceptibles de révision, mais cela n’enlève rien en sa qualité de loi fondamentale. D’où la deuxième conséquence : tant qu’ils ne sont pas révisés selon une procédure constitutionnelle, tous les articles de la Constitution demeurent applicables sans réserve.
De l’article 87
Le juriste s’est étalé longuement sur des soi-disant jurisprudences et sur la primauté supposée du droit international sur la Constitution. Il évoque pour soutenir sa thèse l’article 87 de la Constitution qu’il méprisait pourtant tantôt. C’est à ce niveau que toute la mauvaise foi, si ce n’est une inculture infantile de l’homme transparait dans toute sa laideur partisane. En effet, avant l’article 87, notre homme ignore qu’il y a l’article 86 qui dit ceci : « Si le Conseil constitutionnel, saisi par le Président de la République ou par le président de l’Assemblée nationale ou par un quart au moins des députés, a déclaré qu’un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, l’autorisation de la ratifier ne peut intervenir qu’après la révision de la Constitution ».
Me Mamadou DIANE a tronqué l’article 87, il ne l’a pas cité en entier. L’autorité « supérieure » des traités ou accords internationaux sur les lois est assujettie à des réserves. Article 87 : « Les traités ou accords internationaux régulièrement ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve pour chaque traité ou accord, de son application par l’autre partie. ».
« Régulièrement ratifiés » : signifie que le traité ou accord international a satisfait aux exigences des articles 84, 85 et 86. Me Mamadou DIANE ne démontre pas que les traités internationaux dont-il fait abusivement référence sont conformes à cette exigence de régularité de ratification. A la vérité ils ne le sont pas car le Président Alassane OUATTARA n’a pas introduit de projet de révision de la Constitution durant tout son mandat.
Pourquoi le Président Alassane OUATTARA n’a pas introduit une demande de révision de la Constitution depuis son élection ?
Parce qu’il n’a pas souhaité ratifier les accords internationaux dont son défenseur fait références. Le Burkina Faso dont l’article 38 était identique à notre article 35, a procédé à une révision constitutionnelle en juin 2012. OUATTARA était déjà président de la République en Côte d’Ivoire, pourquoi n’a-t-il pas suivi l’exemple de la République sœur du Burkina Faso ? Pourquoi ?
C’est donc lui, Alassane OUATTARA, qui a refusé de ratifier les textes internationaux. Cette non ratification rend ces textes inapplicables en République de Côte d’Ivoire ;
De ce qui précède, il y a lieu de déclarer l’article 87 non applicable pour ce qui est des textes internationaux comportant des clauses contraires à la Constitution. Les clauses contraires à l’article 35 sont contraires à la Constitution, leur ratification ne peut se faire que selon les exigences de l’article 86.
Vu la faiblesse des arguments, la défense de Me Mamadou DIANE visant à rendre M. Alassane OUATTARA éligible est rejetée. Cette contribution a cependant le mérite de clore le débat sur son inéligibilité au regard de la Constitution.
Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?
Nous pensons toutefois qu’il n’est pas trop tard. Si des parties de notre Constitution posent problèmes –et à l’évidence c’est le cas-, il faut suspendre le processus électoral en cours et aller à une révision de la loi fondamentale avant de poursuivre. GRAPA-PDCI appellera à une révision de l’article 35 pour qu’il soit conforme aux traités internationaux. La gouvernance du pays à la fin du mandat constitutionnel du Président Alassane OUATTARA, fera l’objet d’un arrangement politique entre le pouvoir, l’opposition et la société civile, sous l’arbitrage de l’ONU et des autres partenaires qui font l’amitié au peuple de Côte d’Ivoire d’être à ses côtés depuis plus d’une décennie.
Telle nous apparait la voie de la sagesse et de la vérité, la voie du respect de nous-mêmes qui s’assimile au respect de la Constitution que nous nous sommes librement et souverainement dotée. Nous n’avons pas de doute que cela épargnera à notre peuple une autre souffrance, vaine et inutile.
Dr YAO K. Daniel
Porte Parole
GRAPA-PDCI
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