L’impact de la Cour a été affaibli par des lacunes dans la sélection des affaires et les actions de sensibilisation limitées
(La Haye, le 4 août 2015) – La Cour pénale internationale (CPI) a manqué d’importantes opportunités d’optimiser l’impact de son travail en Côte d’Ivoire, a indiqué Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui. Le rapport présente des enseignements d’une plus large portée concernant le travail de la CPI à travers le monde et conclut que pour optimiser l’impact du travail de la Cour, ses représentants devraient viser un rôle accru de davantage de victimes et de communautés locales.
Le rapport de 101 pages, intitulé « Pour que la justice compte : Enseignements tirés du travail de la CPI en Côte d’Ivoire », s’appuie sur des entretiens menés auprès d’activistes, de journalistes et de membres du personnel de la CPI à Abidjan et à La Haye, aux fins d’évaluer si la CPI a déployé suffisamment de moyens pour s’assurer que ses procédures sont pertinentes, significatives et accessibles aux Ivoiriens. Human Rights Watch a constaté que la décision du Bureau du Procureur de limiter ses enquêtes initiales aux crimes commis par un seul camp lors de la crise postélectorale de 2010-2011 en Côte d’Ivoire a été une maladresse, qui a encore été aggravée lorsque d’autres membres du personnel de la Cour ont adopté la même approche restrictive dans leurs actions en faveur de l’implication d’Ivoiriens dans le travail de la Cour. L’impact potentiel de la Cour en a été affaibli.
« Le champ d’action de la Cour pénale internationale s’étend dans le monde entier ; toutefois le cœur de sa mission consiste à rendre justice aux communautés affectées par des atrocités de masse », a indiqué Elizabeth Evenson, conseillère juridique senior auprès de la division Justice internationale à Human Rights Watch. « Les représentants de la CPI devraient veiller à ce que les actions de la Cour aient une résonnance dans ces communautés. »
Le Bureau du Procureur de la CPI a ouvert des enquêtes en Côte d’Ivoire en octobre 2011. Toutefois, ces enquêtes ne concernaient que des crimes qui auraient été commis par les forces alliées à l’ex-président Laurent Gbagbo, et ce malgré les observations de commissions d’enquête de Côte d’Ivoire et des Nations Unies mettant en cause à la fois les forces Gbagbo et celles alliées au président actuel, Alassane Ouattara, dans les atrocités. Les affaires de la CPI ont également été axées sur des crimes prétendument commis dans la capitale économique du pays, Abidjan, même si certains des pires abus ont été perpétrés dans la partie occidentale du pays.
Le Procureur de la CPI a engagé des poursuites contre Laurent Gbagbo, son épouse, Simone Gbagbo, et Charles Blé Goudé, ancien ministre de la Jeunesse et proche allié de l’ex-président qui a été le leader historique d’un groupe milicien violent pro-Gbagbo. Le procès de Laurent Gbagbo et de Blé Goudé doit débuter en novembre 2015, alors que Simone Gbagbo se trouve toujours en Côte d’Ivoire, suite au refus des autorités de la transférer à la Cour.
Le Bureau du Procureur de la CPI a annoncé son intention d’élargir la portée de ses enquêtes avant fin 2015 à toutes les parties impliquées dans les violences, et a invoqué les contraintes financières pour expliquer les retards dans l’introduction d’autres affaires devant la Cour.
« D’autres enquêtes de la CPI sont nécessaires mais la priorité donnée jusqu’ici aux exactions des forces pro-Gbagbo a profondément divisé l’opinion sur la CPI en Côte d’Ivoire », a déclaré Elizabeth Evenson. « De nombreuses victimes estiment que la Cour a ignoré leur souffrance ».
L’image de partialité induite par le choix des affaires de la part du Bureau du Procureur a posé de grandes difficultés à l’Unité de la sensibilisation de la CPI, un organe dépendant du Greffe de la Cour, lorsqu’il s’est agi de transmettre des informations neutres sur les procédures judiciaires en Côte d’Ivoire. Mais, faute de moyens pour affecter avant octobre 2014 un membre du personnel à plein temps dans le pays, l’Unité de la sensibilisation s’est attachée à diffuser des informations, par le biais d’un réseau d’organisations de la société civile, aux victimes d’incidents spécifiques couverts par les accusations du Bureau du Procureur. Une unité distincte du Greffe en charge d’aider les victimes à exercer leurs droits devant la CPI avait un membre de son effectif en Côte d’Ivoire mais elle avait néanmoins besoin d’adopter parfois une approche similaire.
Il est essentiel de fournir des informations aux victimes des crimes spécifiques poursuivis par le Bureau du Procureur notamment parce que ces victimes ont des droits particuliers devant la CPI. Mais lorsque cette approche s’applique aux dépens de la sensibilisation d’un ensemble plus vaste de communautés affectées, elle limite l’empreinte de la Cour, affaiblissant ainsi son impact potentiel, a déclaré Human Rights Watch.
« L’approche axée sur des accusations portées contre une seule partie a clairement nui à l’impact de la CPI », a souligné Elizabeth Evenson. « L’effet est encore multiplié car les stratégies de sensibilisation et d’aide aux victimes ont été essentiellement axées sur des personnes directement affectées par les affaires, accentuant ainsi le caractère trop sélectif de l’approche du Bureau du Procureur ».
Les enseignements tirés de la situation en Côte d’Ivoire doivent être intégrés dans une politique de sélection et de hiérarchisation des affaires que le Bureau du Procureur de la CPI est en train d’élaborer. Au Kenya et dans ses enquêtes les plus récentes en République centrafricaine, le Procureur a enquêté sur toutes les parties simultanément plutôt que par ordre successif comme cela a été le cas en Côte d’Ivoire. Le Procureur doit davantage consulter les victimes afin de s’assurer que le choix des affaires répond à leurs expériences et il doit adopter une vaste approche géographique aux fins d’identifier des affaires qui reflètent des profils sous-jacents de crime, a indiqué Human Rights Watch.
Le Greffe doit mettre au point des stratégies améliorées visant à approfondir les opérations de sensibilisation et d’aide aux victimes menées par la Cour, notamment par la mise en œuvre de réformes pour les bureaux extérieurs de la Cour. Le Greffe devra veiller à ce que les bureaux soient suffisamment dotés en personnel afin de mener à bien de vastes opérations de sensibilisation et de déployer des efforts particuliers pour informer les victimes sur leurs droits.
Alors que des exigences de responsabilisation s’imposent de plus en plus à la CPI qui mène actuellement des enquêtes dans huit pays et étudie l’ouverture éventuelle d’enquêtes dans plusieurs autres, il est devenu de plus en plus difficile pour la Cour de suivre le rythme. Mais ceci n’enlève rien au fait qu’il est toujours essentiel de s’assurer que, là où que la Cour agit, elle touche les communautés affectées par les crimes.
« Le renforcement de l’impact de la Cour sur le terrain ne doit pas être envisagé dans un second temps », a conclu Elizabeth Evenson. « Les États membres de la CPI doivent veiller à ce que la Cour dispose des ressources suffisantes pour faire en sorte que la justice puisse compter au niveau local ».
Pour lire le rapport « Pour que la justice compte : Enseignements tirés du travail de la CPI en Côte d’Ivoire », veuillez suivre le lien:
http://www.hrw.org/node/279650
Pour consulter d’autres communiqués ou rapports de Human Rights Watch sur la CPI, veuillez suivre le lien :
http://www.hrw.org/fr/topic/international-justice
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