Élever le débat
Par Venance Konan
Barack Hussein Obama, premier Président noir des États-Unis, a achevé, hier, une visite de deux jours au Kenya au cours de laquelle il a rencontré certains membres de sa famille. Parce que le Kenya n’est pas le pays de lointains ancêtres, comme c’est le cas de la plupart des Africains-Américains, mais celui de son père. Oui, le père du Président des États-Unis est bien Kényan.
Cette ascendance, connue de tous, ne l’a cependant pas empêché d’être élu et réélu Président des États-Unis, pays où il fut un temps, un Noir n’avait pas le droit de s’asseoir sur le même banc qu’un Blanc, d’aller dans la même école ou de manger dans le même restaurant qu’un Blanc. En France, Nicolas Sarkozy, de son vrai nom Nicolas Sarközy de Nagy-Bocsa, né d’un père immigré hongrois et d’une mère elle-même née d’un père grec et d’une mère française, a été Président de 2007 à 2012. Battu par François Hollande, il a l’intention de se présenter à la prochaine élection présidentielle. Le débat que suscite cette candidature n’a rien à voir avec son ascendance, mais plutôt son bilan passé et des affaires pas très propres qui l’éclaboussent en ce moment.
Et pendant ce temps, en Côte d’Ivoire, un certain Pr Pierre Ekanza, historien de son état, relance le débat sur la nationalité du Président de la République. « Je pense que pour le peu que je sais de lui, de ses origines, etc., il ne peut pas du tout prétendre être Ivoirien », nous dit-il, dans une interview accordée à un journal proche du Front populaire ivoirien (Fpi). Et de nous révéler, au passage, que le Président aurait un frère jumeau qui serait mort à sa naissance. évidemment, du fait qu’il n’est pas Ivoirien, M. Alassane Ouattara ne saurait être candidat à la présidence de la Côte d’Ivoire. Et M. Ekanza de nous proposer de repousser l’élection présidentielle et de mettre en place une transition qui aurait pour tâche de trancher la question de son éligibilité. Transition dans laquelle l’opposition siègerait naturellement, je suppose. La transition, c’est la nouvelle trouvaille de l’opposition pour participer au pouvoir, parce qu’elle sait que ses chances de remporter la prochaine élection présidentielle sont inexistantes.
Je trouve dommage que l’historien qu’est M. Ekanza n’ait pas compris qu’un peuple qui ne tire aucune leçon de sa propre histoire se condamne à la revivre. Pendant des années, nous avons mené ce débat nauséabond qui a divisé notre peuple et failli détruire notre pays. Nous nous sommes même fait la guerre. Et parce que nous sommes un peuple fort, nous avons pu éviter le pire. Aujourd’hui, notre pays est en train de redécoller, sous la direction de celui que certains voulaient rejeter. Nous croyions la boîte de Pandore définitivement refermée. Et voici que le Pr Ekanza, un historien, qui, visiblement, n’a rien retenu de l’histoire de son pays veut la rouvrir. Allons-nous reprendre ce débat en sachant très bien où il peut nous conduire ? Avons-nous déjà oublié tous ces morts, toutes ces souffrances, toutes ces destructions, tout ce retard que notre pays a accusé ? Voyons, professeur ! élevez-vous un peu et épargnez-nous ce genre de discussions.
Aujourd’hui,notre pays veut appartenir au cercle des pays émergents. Proposez-nous un débat sur ce que chacun de nous pourrait apporter pour réaliser ce rêve. Vous êtes historien ? Apprenez-nous ce qui, dans notre histoire, pourrait nous faire avancer et non ce qui nous divise et nous fait reculer. Dans votre interview, vous dites ceci : « Pour l’information des Ivoiriens, on pourrait leur dire le sort que les régimes burkinabè, malien, etc., réservent souvent aux Ivoiriens qui y sont. Vous connaissez tous cette histoire que l’on raconte un peu partout : « Il y avait un chauffeur de taxi ivoirien qui était au Niger et dont on n’a jamais voulu qu’il exerce véritablement ses fonctions. »
L’histoire est complètement fausse, professeur. Je connais personnellement deux Ivoiriens qui sont des animateurs de radio et de télévision très adulés du public nigérien et des dizaines d’Ivoiriens qui travaillent en toute tranquillité au Burkina Faso, au Mali et dans tous les pays ouest-africains. Il y a vingt ans, on racontait les mêmes fausses histoires sur les Ivoiriens qui seraient maltraités dans les autres pays africains, pour justifier notre propre xénophobie. Il suffit pourtant d’aller dans ces pays pour se rendre compte que c’est totalement faux. Pr Ekanza, c’est votre droit de ne pas aimer M. Ouattara et de le dire. Ne votez pas pour lui. Mais de grâce, ne nous tirez pas vers le bas au moment où nous voulons sortir la tête de l’eau.
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