Comment éviter le syndrome du “Plan B” en Côte d’Ivoire ? ( note à la cellule de réinsertion des Ex-combattants)

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De combattants à bâtisseurs

Ma note à la cellule de coordination et de suivi de réinsertion des Ex-combattants (ccsr)

Dans certains pays, les accords de paix ne sont pas définitifs; certains groupes n’ayant pas renoncé totalement à l’option militaire. Ainsi en est-il de l’Accord de Marcoussis signé en 2003. Au Zimbabwe, l’on se souvient que les mouvements nationalistes qui combattaient le régime minoritaire blanc de Rhodésie, avaient accepté de démobiliser et de participer aux élections nationales sans pour autant y croire. Ils ont donc gardé des troupes et de l’armement lourd en réserve, une sorte de “plan B” en cas de reprise du conflit. Comment éviter le syndrome du “Plan B” en Côte d’Ivoire ?

Nous essayerons de répondre à cette question en nous intéressant à la réintégration des ex combattants en milieu rural en mettant un accent particulier sur les régions de San Pedro, du Guémon, du Cavally et du Tonkpi.

POURQUOI LA REINTEGRATION DES EX COMBATTANTS?

Les conflits armés à grande échelle ont des effets dévastateurs sur les économies, les capacités de production et les moyens de subsistance, et entraînent l’appauvrissement d’une grande partie de la population. Signer un accord de paix ne revient pas systématiquement à embellir l’économie. Le chétif marché du travail qui en résulte a très peu de solution durable à apporter aux milliers d’ex-combattants et d’autres rapatriés tels que les réfugiés et les personnes déplacées internes.
Dans un tel contexte, les ex-combattants peuvent recourir à la violence pour subvenir à leurs besoins, détruisant ainsi les efforts de reconstruction, de promotion de l’investissement extérieur, de restauration de l’Etat. Il est ainsi essentiel d’apporter d’autres alternatives aux moyens de subsistance axés sur la violence. Ce soutien peut avoir des effets positifs immédiats sur la sécurité, et contribuer à l’amélioration des conditions de vie et de travail.
Il y a un obstacle à la facilitation des opérations de réintégration: la réticence de certains donateurs et d’organisations de la société civile à aider quiconque portait un fusil, sous prétexte qu’une telle assistance serait une récompense aux responsables de violences. En vue de lever cet obstacle, il convient d’apporter un appui aux communautés d’accueil.

APPUI AUX COMMUNAUTES D’ACCUEIL

Comme l’indique le Guide pratique des normes intégrées de désarmement, démobilisation et réintégration (IDDRS) : Il est essentiel de prendre en compte les besoins spécifiques et urgents des ex-combattants, tout en évitant de transformer ces derniers en un groupe privilégié au sein de la communauté. Permettre aux ex-combattants de continuer à se considérer comme un groupe spécial ralentira leur réintégration efficace dans les communautés locales, créera un certain ressentiment parmi ces communautés et augmentera le niveau d’insécurité, au lieu de le réduire. Par conséquent, fournir aux communautés les outils et les moyens de soutenir la réintégration des ex-combattants ainsi que celle des personnes déplacées internes, des rapatriés et autres groupes spéciaux.

Le manque de terres disponibles pour la réinstallation peut être un obstacle dans le Sud Ouest et l’Ouest de notre pays. (Nous y reviendrons dans un article en préparation sur la réintégration en Zone CNO). Il conviendrait de mener des évaluations foncières et déterminer la disponibilité des terres et les droits que les rapatriés et les membres de la communauté détiennent dans le cadre de l’acquisition et de l’utilisation des terres avec l’appui des préfets, des autorités coutumières, des directions régionales du ministère de l’agriculture, des délégations régionales de la filière café cacao, de l’AGEPE… De toutes les façons, un tel projet n’est ni plus ni moins qu’une certaine forme de redistribution des terres.

Comme tout projet basé sur la rentabilité, d’abord estimer les besoins des zones d’accueil. Il faudra éviter des villages avec trois tailleurs et quatre coiffeurs « réintégrés », alors qu’un seul suffisait. Une affaire d’indicateurs de gestion axée sur les résultats (GAR). Diverses activités sont à encourager dans le milieu rural que nous ciblons: la production d’électricité par la biomasse, les transports inter-villages, l’entretien des installations capables d’entreposer des marchandises (experts chaud/froid), des logisticiens pour l’acheminent des denrées et des biens dans les meilleures conditions…Bref, le secteur tertiaire existe aussi dans les campagnes! Encourager la culture du riz, maïs, mil sorgho, manioc, arachide… L’enjeu stratégique d’une telle orientation est d’augmenter la production des principales cultures consommées en Côte d’Ivoire afin d’assurer plus rapidement la sécurité alimentaire, de réduire la dépendance aux importations.
Cela demande des subventions se traduisant par une forte injection d’intrants dans le secteur agricole. Il faudra également des mécanismes inclusifs de gestion en vue de statistiques fiables concernant le milieu rural, des séminaires de renforcement de capacité sur la mécanisation de l’agriculture, la conservation des semences, l’irrigation…Traduire et expliquer la loi sur le foncier rural et s’entendre avec les autorités coutumières sur les conditions d’octroi des espaces à mettre en valeur. Des locations ? Pour quelle durée ? Comment répartir les fruits du lopin de terre octroyé ? Quel droit pour les descendants ?

Rendre le fusil peut être un pas facile à franchir, de même qu’abandonner les milices avec les titres ronflant. En revanche, réussir la réinsertion dans la vie civile dans des pays qui souffrent encore des conséquences de la guerre n’est pas gagné d’avance. La réintégration constitue un parcours long et tortueux, semé d’embûches, dont l’issue dépend des succès holistiques enregistrés dans les domaines politiques, économiques, sociaux. Erythrée, Mozambique, Sierra Leone, Angola, Libéria, Zimbabwe, République démocratique du Congo (RDC), Burundi, Ouganda, Rwanda… sont des exemples qui pourraient inspirer.
Notons que le processus DDR aura atteint son objectif lorsque les ex-combattants ne seront plus désignés par cette étiquette, lorsqu’on se référera à eux comme des jeunes gens, des agriculteurs, des ouvriers, des plombiers, des éleveurs, des électriciens, … tout comme les autres membres de la société ivoirienne.
Le mandat de l’Autorité du Désarmement, la démobilisation et la réintégration (ADDR) vient de prendre fin ce 30 juin. Le plus dur commence avec la Cellule de coordination et de suivi de réinsertion des ex-combattants (CCSR) qui devra veiller à consolider la paix, avec l’appui de tous ! En contexte de menace terroriste et les probables recrutements d’ex combattants frustrés, la question de la réintégration des ex combattants devient l’affaire de tous !

Sylvain N’GUESSAN
Consultant en Gouvernance et Justice transitionnelle

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