Par Yao Aquilas sur Libreafrique.org
A quelques mois des élections présidentielles en Côte d’Ivoire, les différentes forces politiques se mobilisent. Le parti au pouvoir comme les partis d’oppositions, promettent un avenir radieux pour les cinq années à venir avec à la clé (pour certains) une émergence à l’horizon 2020. Mais, force est de constater que les discours abordent de nombreux sujets (emploi, réconciliation, développement etc.) sans toucher à l’essentiel : le terreau institutionnel base du changement : le régime politique. Peu importe qui sera le prochain président, si le système présidentialiste actuel est maintenu, la Côte d’Ivoire est condamnée à rester à la traine.
Les effets pervers du système présidentiel
Depuis les indépendances, les populations ivoiriennes ont tendance à idéaliser ou à accuser le détenteur du pouvoir exécutif : le président de la République. Pourtant le problème ivoirien va au-delà des hommes qui se sont succédés à la tête de l’Étatdepuis 1960 et réside plutôt dans la faiblesse de ses institutions. Avec la constitution du 1er août 2000, le paysage socio-politique n’est pas vraiment différent de l’ère du parti unique car elle consacre un régime présidentialiste qui fait du président de la République un « monarque ». En tant que « détenteur exclusif du pouvoir exécutif » ; il a l’initiative des lois concurremment avec les députés, il est le chef de l’administration, le chef suprême des armées et même président du conseil supérieur de la magistrature. Pour Jean-Philippe Feldman, « le Président de la République ivoirien cumule les pouvoirs tirés de la Constitution française de 1958 et de sa pratique, tout en y ajoutant un certain nombre d’attributions dont se trouvent dotés les présidents américain et tunisien. » La conséquence direct est le déséquilibre des pouvoirs marqué par l’hégémonie du pouvoir exécutif qui échappe à tout contrôle de la part du pouvoir législatif qui n’est en réalité qu’une caisse de résonance au service de l’exécutif. Notons que le président peut outrepasser cette institution en gouvernant par ordonnances.
Ce déséquilibre s’étend aussi au pouvoir judiciaire. En effet, le président de la République préside le conseil supérieur de la magistrature rendant ainsi l’appareil judiciaire dépendant de l’exécutif. Il devient légitime alors de douter de l’efficacité de la justice.
Dans un tel système, la majorité instrumentalise l’Étatà sa guise. Les medias d’État monopolisés par les gouvernants font la propagande du président de la République qui est considéré comme un démiurge. Petit à petit la pluralité se transforme en pensée unique ne laissant aucune lucarne aux contrepouvoirs.
Le système actuel a un effet néfaste sur le plan socio-économique
Malgré les efforts consentis par le gouvernement depuis quelques années, la Côte d’Ivoire reste parmi les mauvais élèves dans les différents indices de libertés économiques car l’état perturbe le fonctionnement de l’économie en s’immisçant dans ce domaine qui n’est pourtant pas de son ressort. Dans une démocratie libérale, le rôle de l’État n’est pas d’être transporteur, banquier où encore boulanger, mais plutôt de créer les conditions pour inciter les populations à créer la richesse elles-mêmes. L’absence de liberté économique est la résultante d’un régime trop fort car les lourdeurs administratives, la corruption, l’absence de justice crédible, freinent les populations dans leur volonté de créer de la valeur ajoutée. Différents indices nous en donnent la preuve : l’indice Mo Ibrahim de la gouvernance africaine 2013 classe la Côte d’Ivoire au 44ème rang sur les 52 pays africains classés. L’indice de la liberté économique publié par l’institut Fraser quant à lui classe la Côte d’Ivoire à la 134ème place mondiale sur les 154 pays classés. Au-delà de la Côte d’Ivoire, il faut noter qu’en termes d’instabilité, la quasi-totalité des coups d’État ou changements anticonstitutionnels en Afrique se sont opérés dans les pays à régime présidentiel.
« Que l’autorité se borne à être juste, nous nous chargerons d’être Heureux » Benjamin Constant
Le bonheur des populations ivoiriennes est certes la chose la plus souhaitée par tous mais pour y parvenir il y a des préalables et conditions. Le passage d’un régime fort à un régime qui donne le pouvoir aux populations à travers des institutions fortes et responsables apparaît impératif. La piste proposée est un régime parlementaire avec un système majoritaire à un tour (le type de scrutin est important pour éviter les blocages). En effet, la réussite ou l’échec des pays est étroitement lié aux types de régimes. La quasi-totalité des régimes présidentiels en Afrique ont échoué sur tous les plans. Le régime parlementaire n’est pas parfait mais il implique une notion très importante dans la gouvernance à savoir la responsabilité du gouvernement devant les représentants du peuple. Certes, dans une démocratie la majorité gouverne, mais celle-ci est soumise à des contrepouvoirs. Dans un régime parlementaire, l’opposition a un statut clair et se fait entendre. La protection la société civile est grande et celle-ci apparait comme une puissante force de proposition. Les populations ont plus de liberté donc peuvent créer de la richesse.
Le régime parlementaire est le catalyseur du développement et de la stabilité des pays. L’Ile Maurice et le Botswana, deux pays à régime parlementaire illustrent le cercle vertueux créé par le régime parlementaire. L’Ile Maurice est le 1er pays Africain le plus libre économiquement et 1er plus pacifique d’Afrique. Le Botswana, quant à lui, est 2ème pays Africain le plus libre économiquement et le 2ème plus pacifique d’Afrique. Les pays africains à régime parlementaire sont ceux qui offrent plus de liberté, de bonheur et de stabilité. Les droits de propriété y sont mieux protégés. La rationalisation des interventions étatiques a des conséquences positives sur la bonne gouvernance et le respect de l’état de droit. Pour preuve, L’Ile Maurice, le Cap Vert et le Botswana occupent le trio de tête des États ayant les meilleurs principes de gouvernance (http://www.moibrahimfoundation.org)
En Côte d’Ivoire, ce ne sont pas les institutions qui manquent. Au contraire, elle connait ce qu’il convient d’appeler une « inflation institutionnelle » mais le problème réside dans leur qualité et leur efficacité. Le défi qui attend les Ivoiriens ne réside pas dans la personne qui dirigera le pays, mais plutôt dans les institutions fortes dont ils doivent se doter. Les hommes passent mais les institutions demeurent.
Yao Aquilas, analyste pour Libre Afrique. 20 mai 2015.
Les commentaires sont fermés.