Quand les leaders de la Coalition nationale pour le changement (CNC) ont appelé au changement dans notre pays, comme nombre d’Ivoiriens fatigués de subir un régime tribaliste, sanguinaire et dictatorial, je me suis dit: “Pourquoi ne pas leur donner leur chance? Pourquoi ne pas les soutenir? Faisons-leur confiance jusqu’à ce qu’ils nous prouvent par A+ B que rien ne les distingue fondamentalement de ceux qu’ils ont l’intention de chasser du pouvoir.” La CNC n’ayant que 5 semaines d’existence (elle a été portée sur les fonts baptismaux le 15 mai 2015), il me semble prématué et injuste de dire aujourd’hui si ses leaders ont menti ou non aux Ivoiriens désireux d’un changement profond (une transformation à opérer aussi bien dans les structures que dans notre manière de voir, de faire et d’être) et non d’un simple remplacement de X par Y. Mais ne pas se prononcer sur une expérience qui ne fait que commencer ne devrait pas nous dispenser d’attirer l’attention des uns et des autres sur de petits dysfonctionnements qui, s’ils ne sont pas corrigés à temps, risquent de nuire à la belle cause dont chacun d’entre nous ne souhaite que la réussite. Ne dit-on pas que c’est très tôt qu’il faut redresser l’arbre qui est en train de se tordre? Et nous, qui croyons à la CNC et ne lui voulons que du bien, ne sommes-nous pas semblables au “veilleur qui veille quand tout le monde se repose ou vaque tranquillement à ses affaires sans penser à mal”? N’avons-nous pas le devoir de rester vigilants “parce que le calme de la nuit peut être trompeur, que l’apparence tranquille des choses peut servir de couverture à des activités de l’ombre et à des desseins pervers.”? L’histoire des nations et des peuples ne nous enseigne-t-elle pas qu’une société est “toujours en situation de s’assoupir sur ses acquis et donc de laisser se développer des germes d’injustice, d’inégalité, de rancœur” et que nous devrions “nous méfier par conséquent des marchands de sommeil qui caressent la paresse sociale et endorment la lucidité” (Paul Valadier in “Christus” de juillet 1994)? Si les dirigeants de la CNC sont loin d’être des “marchands de sommeil”, il n’en demeure pas moins vrai que certains des propros tenus par eux, le samedi 20 juin 2015 à la mythique place Ficgayo, pourraient démobiliser les militants et sympathisants de la CNC et les amener à penser que, dans les discours et peut-être dans les comportements, les leaders de la CNC ne leur proposent pas mieux que ce qu’ils ont entendu et vu de 1960 à maintenant. Ce 20 juin, qu’est-ce que nous avons entendu? Que la CNC remercie Hamed Bakayoko et Dramane Ouattara d’avoir autorisé le meeting et de l’avoir laissé se tenir sans qu’il soit perturbé et sans que les participants à ce meeting soient brutalisés. Entendant cela, je me suis demandé si Koulibaly et KKB avaient bel et bien prononcé ces paroles ou bien si c’est moi qui étais en train de rêvasser. Sauf erreur ou ignorance de ma part, les marches et meetings font partie des libertés publiques que la démocratie et l’État de droit reconnaissent à l’opposition dans un pays. C’est un droit et non une faveur accordée par le prince après un bon somme ou après avoir ingurgité un bon litre de “gbêlê”. Quand les opposants veulent marcher, ils ne demandent pas la permission au ministère de l’Intérieur. Ils sont, en revanche, tenus de l’informer de la date, du lieu et de l’itinéraire de la marche afin que la police puisse sécuriser non seulement les marcheurs mais aussi les biens publics et privés. Marcher, se réunir, s’exprimer ou circuler dans un pays est un droit au même titre que la construction par l’État d’un dispensaire, d’une école ou d’une route. Un président, un maire ou un député n’a pas à être remercié pour un meeting, une marche, un hôpital ou une ambulance. Il a été élu et, qui plus est, il est payé pour que les citoyens puissent jouir de ces droits élémentaires. Messieurs les leaders de la CNC, on vous aime bien, on vous supporte, mais, de grâce, ne nous faites pas revivre ces sombres années où les populations étaient obligées de parcourir plusieurs Km pour aller dire merci au chef qui leur aurait donné ceci ou cela. Nous n’avons pas besoin de ce folklore. Nous attendons mieux de vous. C’est la première remarque je tenais à faire.
Ma seconde observation a trait au conseil donné par Koulibaly. Pour ce dernier, il doit y avoir un changement dans notre langage. En clair, il invite les militants et sympathisants de la CNC à ne pas menacer les déçus du RDR et du PDCI mais à leur parler d’une façon qui leur donne envie de rejoindre la CNC. Je suis entièrement en phase avec lui sur ce point. Je suis, par contre, en désaccord avec lui, quand il affirme que 5000 personnes, ce n’est pas assez pour faire peur à Dramane Ouattara. Cette facon de parler convient parfaitement à un militant du RDR. Les responsables de la CNC ne peuvent faire la fine bouche, ils n’ont pas le droit de rougir du nombre de personnes venues les écouter, d’autant qu’ils ne contrôlent pas les médias publics pour annoncer leurs activités plusieurs semaines à l’avance, ni ne disposent de la Sotra pour transporter les militants d’un endroit à un autre. À la place du président de Lider, j’aurais commencé par féliciter et remercier ceux et celles qui ont bravé la peur et payé eux-mêmes leur transport pour passer 4 h avec les dirigeants de la CNC. Pour que plus de monde soit présent aux prochains meetings, je dirais, par exemple, ceci: “Camarades, je m’attendais à voir moins de monde au premier meeting de la CNC, étant donné que ce pouvoir a pris la mauvaise habitude de réprimer les meetings et marches de l’opposition. Je salue donc votre courage qui prouve que vous avez vraiment soif de changement. Et, comme votre désir est que ce régime soit balayé le plus tôt possible, je suis certain que vous serez beaucoup plus nombreux à Koumassi et au Plateau.”
En ce qui concerne la question des listes électorales, le groupe de réflexion et de proposition auquel j’appartiens estime que, du moment qu’il est peu sûr que le pouvoir fasse droit aux légitimes revendications de la CNC, condition sine qua non d’une élection juste, sécurisée et transparente, il est inutile d’appeler les Ivoiriens à s’inscrire sur des listes déjà faussées par l’enrôlement de 3 millions de Burkinabè, Guinéens et Maliens qui permettront à Dramane Ouattara de battre à plate couture n’importe quel opposant, même s’il est soutenu par François Hollande. Par conséquent, le combat le plus réaliste que la CNC devrait mener, à mon humble avis, c’est celui de la transition politique. Autrement dit, la Coalition doit se battre pour qu’il n’y ait pas d’élections en octobre 2015. Mais comment peut-on empêcher la tenue d’un scrutin présidentiel où tout est mis en place pour la victoire de Dramane Ouattara? En multipliant les marches et les meetings sur toute l’étendue du territoire. Cela bloquerait pacifiquement le pays et ferait perdre de l’argent à l’État et aux investisseurs étrangers. En politique, il y a ce qu’on appelle le rapport de forces. Les marches, meetings et boycotts pacifiques permettent à l’opposition d’inverser le rapport de forces. Ils constituent surtout une force indéniable dont elle peut se servir pour se faire entendre et respecter. À la longue, cette force peut, sinon chasser un tyran comme au Burkina fin octobre 2014, du moins le contraindre à lâcher du lest ou à faire machine arrière sur telle ou telle question d’intérêt général comme en RDC.
Je dis bravo aux camarades et aux leaders de la CNC pour le meeting de samedi dernier. Participons massivement à ceux de Koumassi et du Plateau. Tenons bon car nous sommes sur la bonne voie!
Jean-Claude Djereke
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