La nouvelle est tombée hier matin : la Pyramide est ravagée par les flammes. Au moment où j’écris ces lignes, j’ignore les dégâts que le feu aura occasionnés à ce bâtiment. La Pyramide, c’est cet immeuble pyramidal qui se trouve au Plateau, à côté de l’Institut français, ex- Centre culturel français.
Nous étions des gamins lorsque ce bâtiment fut construit, mais nous nous souvenons très bien de la controverse qu’il avait soulevée. Certains lui reprochaient son architecture qui détonait dans le paysage du Plateau d’alors, tandis que d’autres louaient son audace, son originalité. Au fil du temps, la Pyramide devint le symbole de la ville d’Abidjan, comme l’est, toute proportion gardée, la Tour Eiffel pour la capitale française. Oui, même ses détracteurs finirent par l’aimer. Comme ce fut le cas de la Tour Eiffel que de nombreux intellectuels et artistes de renom de son époque rêvèrent de voir rasée, tant ils la trouvaient laide et ridicule.
Notre Pyramide était un endroit prestigieux que tous ceux qui découvraient Abidjan se devaient de visiter, comme l’hôtel Ivoire, autre symbole de notre capitale économique. à cette époque, le Plateau était un quartier prestigieux et les magasins que l’on y rencontrait étaient tous de luxe. N’achetait pas ses habits au Plateau qui voulait. Même les salles de cinéma du Plateau étaient d’un standing au-dessus de ceux que l’on appelait cinémas de quartier. Ne s’installait pas à la Pyramide qui voulait.
Puis il y eut nos crises. Crises économique, politique, sociale, militaire, mais surtout morale. Un ressort se cassa en nous et nous n’eûmes plus de repères, plus de fondements, plus de valeurs. Le Plateau se clochardisa et tous les magasins de luxe qui nous faisaient rêver lorsque nous étions plus jeunes devinrent des boutiques de « bana-bana ». La Pyramide devint un immeuble pourri, sur lequel poussaient des plantes sauvages, dans l’indifférence totale des autorités et de la population. Des squatters vinrent s’y installer sans que personne bronche. L’immeuble finit par constituer un danger pour tout le monde, parce qu’il pouvait s’écrouler ou prendre feu à tout moment. Des alertes furent même lancées. Personne ne réagit. Et la Pyramide devint notre honte.
Faut-il s’étonner qu’elle ait pris feu hier ? Et faudra-t-il s’étonner que l’on la laisse telle que le feu l’aura laissée ? On ne la détruira pas, on ne la rénovera pas. Avant la Pyramide, d’autres bâtiments symboliques, à nos yeux, ont été laissés à l’abandon. Il en est ainsi de la première résidence du président Félix Houphouët-Boigny, qui fut aussi celle d’Henri Konan Bédié et d’Affi N’Guessan.
Elle est actuellement occupée par des squatters qui en ont fait un dépotoir. Cette résidence, située sur la Corniche, aurait pu être un monument historique que des générations d’Ivoiriens auraient pris plaisir à visiter. Idem pour les « Maisons du Pdci-Rda » à Treichville et Yamoussoukro, des bâtiments qui ont une place de choix dans notre histoire. J’ai vu sur les réseaux sociaux que le lycée scientifique de Yamoussoukro, créé pour former les techniciens et scientifiques appelés à projeter notre pays dans le développement, est aussi laissé à l’abandon. Grand-Bassam, notre première capitale, ville historique et touristique, a été classée au patrimoine de l’Unesco, après un combat épique mené par le ministre de la Culture et de la Francophonie, Maurice Bandaman.
Qu’en avons-nous fait après ? Que faisons-nous pour préserver cette ville, pour la valoriser ? Nous avons d’autres sites merveilleux tels que Sassandra, avec sa baie qui fait penser à celle de Copacabana ; Bingerville, notre deuxième capitale ; Grand-Béréby, Jacqueville, la forêt du Banco… Qu’en faisons-nous ? Nous avons laissé la baie de Cocody, l’une des plus belles au monde, se polluer complètement avant de chercher aujourd’hui des milliards pour la dépolluer.
Nous avons laissé des bidonvilles se construire sur toute la bordure de notre mer et de notre lagune, là où ailleurs, l’on construit des endroits agréables de loisirs ou de luxe. Quel genre de peuple sommes-nous pour ne pas comprendre que pour notre survie, il y a des symboles que nous devons respecter, des trésors à préserver pour notre développement ? Quelle histoire, quel patrimoine voulons-nous laisser à nos descendants ? Nous dépensons des sommes folles pour séduire des touristes, mais que leur offrons-nous lorsqu’ils se décident à venir chez nous ? Des sites pollués, détruits, abandonnés, transformés en décharges.
La nature a doté Abidjan d’une mer, de plusieurs lagunes, d’une forêt où l’on trouve des essences rares. Quel usage en faisons-nous ? Autant nous sommes heureux, lorsque nous visitons l’Europe, l’Asie ou l’Amérique, de découvrir des lieux où vécurent d’illustres personnages, des sites historiques bien conservés, autant nous mettons du zèle à détruire nos lieux similaires. En réalité, nous n’avons rien compris au développement d’un pays.
Un peuple qui ne sait pas d’où il vient, qui scie systématiquement la branche sur laquelle il s’assied ne peut jamais aller bien haut.
Venance Konan
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