Interview réalisée par Gbansé Douadé Alexis à Amsterdam avec SD à Abidjan | Connectionivoirienne.net
Comment Koné Cheick se sert du nom de Ouattara pour appâter avocats et victimes des déchets toxiques
Dans cette interview exclusive Maître Robert M. Berendsen du Barreau d’Amsterdam au Pays-Bas, avocat au fait du dossier des déchets toxiques explique les différentes entraves à la procédure. Entre révélations et dénonciations, il donne ses recettes pour un aboutissement des indemnisations des victimes.
Vous suivez le dossier des déchets toxiques depuis quelques années. En l’état actuel des blocages constatés, quel éclairage voudriez-vous apporter dans cette affaire ?
J’ai souhaité cette interview parce-que je constate en parcourant la presse en Côte d’Ivoire que des informations pas toujours justes concernant le dossier Trafigura/Probo Koala, sont véhiculées. Je travaille sur ce dossier depuis quatre années, depuis que j’ai été contacté par trois associations de victimes des déversements de déchets toxiques en 2006 en Côte d’Ivoire. Les trois associations de victimes qui avaient souhaité bénéficier de mes Conseils étaient l’UVDTAB de Ouattara Aboubacar Marvin, l’AJDP de Dosso Sinaly et l’Ong 3FC d’Edith Abeu. Ces trois associations avaient souhaité en son temps que je reprenne leur dossier de plainte qui était géré par le cabinet Beer Advocaten à Amsterdam. Ce cabinet avait créé une Fondation ici au Pays-Bas du même nom que celui de la plus grande de ces trois associations, UVDTAB. Plus tard, il s’est avéré que cette fondation n’avait qu’un seul dirigeant, à savoir monsieur Ouattara Marvin. La création de la Fondation était nécessaire en vue d’entamer une procédure en masse pour toutes les victimes, ici au Pays-Bas. Vu que les associations ne pouvaient pas s’accorder avec la façon dont Beer Advocaten voulait procéder, elles ont retiré leur mandat à ce cabinet. Plus tard, M. Ouattara Marvin s’est tourné vers un cabinet d’avocats en France, Hascoët & Associés. Ce cabinet a démarré une procédure au Pays-Bas au nom de cette Fondation néerlandaise, l’UVDTAB. Les deux autres associations, AJDP et ONG 3FC n’étaient pas d’accord avec cette action solitaire de M. Ouattara Marvin. Après m’avoir consulté, elles se sont dissociées de cette procédure dont j’avais prévu l’échec à venir.
Quelle fut la suite de cette procédure ?
Mes craintes ont été confirmées par la Décision de la Cour d’Amsterdam rendue le 10 avril 2014. La requête d’Hascoët & Associés fut rejetée.
Quelle est la situation actuelle après ce rejet ?
Le système judiciaire au Pays-Bas connait ce que nous appelons l’assistance aux personnes démunies, le système d’avocat pro deo connu en Côte-d’Ivoire. Nous avons fait un accord avec le Conseil de l’aide juridictionnelle au Pays-Bas afin que nous puissions traiter les cas de dédommagement pour les victimes sous le système d’assistance subventionnée par l’État néerlandais. Nous nous sommes accordés qu’au moins 200 victimes pouvaient être qualifiées de démunies et qu’ensuite nous nous engagerions à traiter les cas de toutes les victimes qui s’enregistreraient dans un délai raisonnable.
Concrètement, comment bénéficier de ce statut de victimes ?
Nous avons choisis de constituer les dossiers des victimes selon une méthode que je vous explique. Dans un premier temps les documents scannés (CNI, certificat médical etc.) devaient nous être acheminés en les faisant saisir sur un site web spécialement créé à cet effet. Mais vu la lenteur des connexions internet en Côte-d’Ivoire, j’ai décidé de créer une application [logiciel] qui, une fois installée sur un PC ou un ordinateur portable, nous facilitait les saisies et les envois par clé USB. Toutes les victimes sans distinction peuvent faire usage de ce système, et pas seulement celles appartenant aux associations qui m’ont contacté. Néanmoins, afin que l’authenticité des documents soit vérifiée, l’enregistrement doit être fait auprès d’une association de victimes agréée en Côte d’Ivoire. Ces associations ne feront aucune distinction entre membres et non-membres et ne demanderont pas de paiement ou quoi que ce soit.
Et pourquoi le dossier n’a pas beaucoup avancé avec ces conseils que vous avez donnés depuis ?
Nous étions à cette étape de la procédure lorsque je fus joint par Dosso Sinaly de l’Action de la Jeunesse pour le Développement et la Paix (AJDP), selon lui au nom du jeune frère du chef de l’État ivoirien [Birahima Ténè Ouattara, ministre délégué auprès de la Présidence]. Ce dernier souhaitait régler une bonne fois pour toute l’affaire Trafigura. Son souhait était donc que je rencontre Koné Cheick Oumar [alias Konéco] à Paris. La rencontre avec Koneco a eu lieu le 27 février 2015 à l’Hôtel du Collectionneur au prix de chambre à partir de 307.000 FCFA la nuit, à Paris. Il était en compagnie de Gohourou Claude et d’une avocate tunisienne lorsque je les croisais à l’hôtel. La rencontre entamée dans cet hôtel a pris fin dans les locaux du cabinet de Me Edouard Campbell, un avocat. Durant tous les échanges Gohourou resta scotché à son téléphone portable, entre appels, sms et whatsapp. Cela m’a paru très bizarre et intrigant.
Que vous a dit Koné Cheick au cours de cette rencontre ?
Le message de Koné Cheick Oumar était simple. Il a reçu mission du président Alassane Ouattara de trouver une issue rapide et définitive à l’affaire Probo Koala. Il me proposait d’arrêter mes actions et de m’associer à son initiative. Le président Ouattara s’opposerait selon ses dires à toute autre action dans le dossier Probo Koala. Il [Ouattara] désirait avant tout clôturer l’affaire avant les élections. Je devrais accepter de travailler avec, entre autres, Me Hascoët. J’ai demandé à Koneco avant de se quitter de mettre le tout sur papier et de me le faire parvenir par courrier postal ou courriel. Ce qu’il n’a pas fait.
Etiez-vous informé des condamnations en Côte d’Ivoire de messieurs Koné Cheick Oumar et Gohourou Claude ?
Il faut indiquer que lorsque je croisais Koneco, je n’avais pas encore connaissance de sa condamnation par le tribunal d’Abidjan dans la même affaire à 20 ans d’emprisonnement, ensemble avec Gohourou Claude. En me rendant à Paris, j’avais toujours l’impression aller rencontrer le frère du Président de la Côte-d’Ivoire. Konéco était, selon ce qu’il m’a raconté, l’ancien Conseil des deux dirigeants de Trafigura arrêtés en 2006 à l’aéroport d’Abidjan, à savoir Claude Dauphin et Jean-Pierre Valentini.
Quelle est votre impression de Koneco ?
Je pense qu’il n’est pas décent de travailler avec Koneco dans cette affaire. A vrai dire je doute de lui. Je doute même qu’il soit avocat en fonction car il ne figure pas dans l’annuaire de l’ordre des Avocats de Côte-d’Ivoire.
Après l’entretien qu’avez-vous décidé ?
Je voudrais me dissocier de l’AVDT-CI ainsi que de Me Koné Cheick Oumar, pour diverses raisons, que je vais vous expliquer.
Lesquelles ?
Ces derniers mois, le sujet Koné Cheick Oumar a été largement abordé par la presse ivoirienne. C’était l’un des principaux sujets d’actualité. Dans un article du quotidien ivoirien « Le Jour plus » du 24 avril 2015 il a été présenté comme « l’homme d’affaire ivoirien » qui «a également révélé que l’Etat d’Amsterdam vient d’offrir l’assistance judiciaire à toutes les victimes ivoiriennes des déchets toxiques». Koné Cheick Oumar m’a en effet contacté. A part la correspondance par e-mail que nous avons eue, nous nous sommes une fois rencontrés à Paris comme je l’ai indiqué plus haut. C’était la seule fois que j’ai eu à prendre rendez-vous en personne avec lui. À cette occasion Me Koné Cheick Oumar m’a demandé de collaborer avec lui et M. Gohourou Claude, une avocate dont j’ai oublié le nom, mais connue au Barreau de Paris pour infractions déontologiques, Me Edouard Campbell, avocat à Paris et Me F. Hascoët, également avocat à Paris. L’idée présentée par Me Koné Cheick Oumar était que les victimes se réunissent dans une grande alliance afin d’entrer dans des négociations avec Trafigura le plus rapidement possible, notamment avant les élections présidentielles prévue en octobre prochain en Côte-d’Ivoire, car le Président Ouattara lui avait demandé d’intervenir et d’assurer une fin aux incertitudes des victimes une fois pour toutes. Il aurait été saisi par le Président de la Côte-d’Ivoire, car il aurait des liens directs avec les dirigeants de Trafigura, étant donné qu’il avait assisté MM. Claude Dauphin et Jean-Pierre Valentini lors de leur incarcération en Côte d’Ivoire en 2006.
Je vous repose ma question avec votre permission. Ou en êtes-vous avec Koneco et les avocats de Paris depuis la rencontre ?
J’ai directement refusé de m’associer avec Me Hascoët et tout autre avocat français, car je n’y vois aucun intérêt français. En plus, Me Hascoët s’est déjà montré comme mauvais avocat lors de la procédure qu’il avait entamée en 2014 pour l’UVDTAB. Je l’avais averti qu’elle ne pourrait qu’échouer. Et effectivement, par la décision de la cour d’Amsterdam du 10 avril 2014 la requête a été rejetée. Je ne voulais pas, non plus, m’associer avec une avocate qui était, selon elle-même, débarrée pour infractions déontologiques. En plus, je voyais des problèmes déontologiques avec la position de Me Koné Cheick Oumar également, car il y aurait un conflit d’intérêts : Il proposait de négocier pour les victimes avec des personnes dont il a été l’avocat avant. Finalement, il s’est avéré plus tard, qu’il est impossible de vérifier que Me Koné Cheick Oumar est effectivement avocat en Côte d’Ivoire, car il ne figure pas dans l’annuaire de l’ordre des avocats de Côte d’Ivoire. En plus, Claude Gohourou et Me Koné Cheick Oumar ont été condamnés à vingt ans de prison pour détournement de fonds de 4,658 milliards de FCFA et une amende de 3 millions de FCFA. La somme d’argent qui fait l’objet du détournement de fonds était notamment destinée à l’indemnisation des victimes des déchets toxiques et provenait de l’accord entre les victimes représentées lors de la procédure au Royaume-Uni contre Trafigura. Naturellement, ces condamnations de Koneco et Gohourou ne sont toujours pas définitives, car la cour d’appel ne s’est pas encore prononcée, mais tant que ces deux personnes sont sujettes d’une telle suspicion, il ne serait pas opportun de s’associer à elles dans une initiative qui vise à dédommager les victimes, car il faut, en tout cas, éviter de donner l’impression aux victimes que leurs représentants travaillent pour leurs propres intérêts.
Avec toutes ces révélations que vous faites, à quoi devrait s’attendre les victimes ? Peuvent-elles encore espérer une indemnisation dans de meilleurs délais ?
Je voudrais dire qu’aucune procédure n’a été arrêtée à Amsterdam. La procédure doit toujours commencer et les victimes peuvent toujours se faire identifier afin que nous déposions leurs plaintes. Toutes les dispositions ont été prises dans ce sens. Elles savent où me joindre. Je ne crois pas que dépenser de l’argent pour un déplacement en Côte-d’Ivoire ou faire venir des représentants de victimes au Pays-Bas soit nécessaire. Je tiens à éviter tout gaspillage d’argent au détriment des victimes. Tout le travail peut se faire à partir de mon bureau. Notre intention est de trouver un règlement définitif à cette affaire qui dure depuis 2006.
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