Côte-d’Ivoire Tout n’est pas encore gagné – Armée divisée, réalités sociales et politiques explosives (Lepoint.fr)

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Côte d’Ivoire : tout n’est pas encore gagné

La bonne orbite économique sur laquelle est lancée la Côte d’Ivoire est menacée par toutes sortes de réalités sociales et politiques. Revue de détail.

Source Le Point Afrique

Alors que le scrutin présidentiel doit se dérouler en octobre prochain, la situation sécuritaire en Côte d’Ivoire n’est pas des plus sereines. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle n’est pas au diapason de l’enthousiasme et de l’euphorie économiques actuellement de mise dès que l’on pense à Abidjan. C’est le constat fait par le groupe d’experts de l’ONU, dans son dernier rapport sur le pays. En dépit des progrès constatés et des appels du président Alassane Ouattara, l’ONU a donc décidé fin avril de maintenir les sanctions imposées à la Côte d’Ivoire jusqu’en avril 2016 et prolonge l’embargo sur les armes qui vise le pays. De nombreux éléments menacent en effet la stabilité nationale et internationale : alors que de vastes quantités d’armes et de munitions non identifiées sont en circulation, d’anciens dirigeants politiques et militaires du clan Gbagbo continuent d’influer sur le climat politique sur place, à partir du Libéria et du Ghana. Une source de déstabilisation potentielle pour la sous-région.

Le problème des ex-combattants toujours pas soldé

Priorité pour assurer la cohésion sociale, la démobilisation des anciens combattants. Issus des milices pro-Gbagbo ou des Forces nouvelles favorables à Ouattara, 45 000 éléments ont déjà été réintégrés à l’armée régulière, mais aussi via le secteur privé, largement sollicité par l’autorité chargée de ce programme. Mille jeunes devraient être employés cette année par les entreprises, dans les transports notamment. Mais quatre ans après la chute de Laurent Gbagbo et la crise post-électorale, leur resocialisation apparaît plus facile sur le papier que sur le terrain. Ils sont encore près de 30 000, hors du circuit. Entre trois mille et cinq mille d’entre eux ne seraient même pas enregistrés. Alors que la date limite officielle est fixée au 30 juin 2015, l’échéance pourrait ne pas être respectée. Toujours en activité, ces anciens combattants seraient aujourd’hui principalement employés au sein d’activités illégales, notamment dans l’exploitation de ressources naturelles. Parallèlement, la réforme de l’appareil de sécurité engagée en 2013 et destinée à assurer le contrôle et la stabilité du territoire accuse également un retard important. Les lois et réglementations tardent à voir le jour, tandis que l’armée manque d’unités pour jouer pleinement son rôle. L’Assemblée nationale, de la société civile et des médias, gages démocratiques, n’ont toujours pas été mis à contribution dans le processus de réforme.

L’ombre de Gbagbo plane toujours

Phénomène inquiétant dans ce contexte fragile, d’anciens commandants de zone liés à l’aile radicale pro-Gbagbo sont également toujours actifs. À la tête de réseaux composés de combattants irréguliers recrutés jusque dans les pays voisins, ils mènent des assauts sur les zones transfrontalières où les contrôles demeurent insuffisants, malgré les réformes engagées. Depuis février 2014, plusieurs séries d’attaques ont notamment eu lieu dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, à Grabo et Feteh. Mis sur le compte de conflits fonciers, ces assauts, planifiés et financés, s’inscrivent en réalité « dans un plan plus vaste visant à porter atteinte à la sécurité et à la stabilité en Côte d’Ivoire », note le groupe d’experts de l’ONU. C’est ce qu’a affirmé l’un des commandants de zone, Théophile Zahourou, dit « Commando Binguiste », arrêté en début d’année. Passé aux aveux, il a expliqué recruter des combattants au Togo ou dans des camps de réfugiés au Ghana et réaliser des levées de fonds en Guinée-Bissau. La Compagnie Armageddon, formation liée à l’aile extrémiste des partisans de l’ancien président et dont la plupart des éléments sont exilés au Ghana, aurait également eu l’intention de mener des attentats contre des personnalités politiques et des institutions gouvernementales.

Une opposition en charpies

Dans ce contexte incertain, le paysage politique s’organise autour des préparatifs de l’élection présidentielle d’octobre 2015. Le dialogue qui a repris depuis la fin de l’année dernière entre le gouvernement et le FPI, ancien parti au pouvoir, s’inscrit dans une volonté de réconciliation nationale. Au sein du camp Ouattara, investi candidat fin avril par le RDR, « l’appel de Daoukro », lancé en septembre 2014 par Henri Konan Bédié, réclamait un rassemblement du RHDP et du PDCI avec la majorité, en vue d’une candidature unique de l’actuel président. En ordre de marche, malgré quelques oppositions internes, la majorité affiche sans ambages sa volonté de gagner dès le premier tour. Au sein de l’opposition en revanche, la crise se poursuit. Deux camps s’affrontent au FPI, entre loyalistes, restés fidèles à l’ancien président, et soutiens de Pascal Affi N’Guessan, son ancien Premier ministre et actuel président du parti. Les « frondeurs », dirigés par Aboudramane Sangaré, ont organisé un meeting fin avril à Mama, au cours duquel ils ont déclaré Laurent Gbagbo président du parti. Problème, alors que ce dernier attend son procès à La Haye, la justice a récemment tranché en faveur de Pascal Affi N’Guessan, confirmant son statut de président unique du parti. Une décision importante, qui lui permet de garder la main sur les comptes, alors que le gouvernement a annoncé son intention de participer au financement des partis politiques. Les arrestations de trois cadres du parti qui ont suivi cet événement ont encore attisé les divisions. Une situation tendue, exacerbée par le sentiment de « justice des vainqueurs », alors que les poursuites à l’encontre des partisans de l’ancien régime se succèdent. Sous l’impulsion de Konan Bédié du PDCI, une opposition semble néanmoins émerger : la Coalition nationale pour le changement (CNC), qui ratisse jusque chez les dissidents des partis de la majorité. Pour l’instant, le programme semble néanmoins limité à un seul mot d’ordre, « Tout sauf Ouattara ».

Par Laurène Rimondi

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