Côte d’Ivoire – Si la route ne précède pas l’émergence, où allons nous ? (Assalé Tiémoko)

Routes

Sous-Préfecture de Morokro dans le département de Tiassalé. Notre président était dans ce département le 16 avril dernier en visite d’Etat. Il a annoncé qu’il a réservé pour ce département, au titre de l’année 2015 (rien pour les trois années précédentes?), la somme de 10 milliards de FCFA. De sources proches du Programme Présidentiel d’Urgence (PPU), cet argent serait bien disponible et en grosses coupures.

Mais voilà, d’ici à ce que les populations sentent les effets de sa libre circulation dans le Département de Tiassalé, il en faudra peut-être du temps. En attendant, voici des images de la route principale qui mène dans la sous-préfecture de Morokro, une grande zone de production de cacao, environ 40 mille tonnes par an, soit près de 8 milliards de Droit Unique de Sortie (DUS) dans les caisses de l’Etat. Je dis bien 8 milliards dans les caisses de l’Etat, chaque année. Mais regardez le résultat sur le terrain. Pas un rond sur ces 8 milliards, n’est utilisé ne serait-ce que pour offrir une voie au moins à peu près respectueuse des producteurs qui vivent dans cette sous-préfecture.

Me prenant pour un « blanc », pour parler comme un ami Rwandais, ou un « grand type » pour parler comme mon grand frère Venance Konan, je me suis rendu au village le vendredi 29 mai pour rendre hommage à mes « mamans » en ma qualité de président de mutuelle, à la faveur de la fête des mères, mon véhicule remplis de cadeaux.
En raison de nombreux impératifs ce lundi 1er juin, dont le bouclage de votre journal préféré, je tenais à rentrer le dimanche 31 dans l’après-midi après avoir partagé un bon repas concocté par maman. Mais j’ai dû rebrousser chemin, un gros camion s’étant embourbé à cet endroit après la grande pluie du samedi. Jusqu’à 18 heures, il a été impossible de passer. Dans la nuit du dimanche à lundi, les populations habitant dans des campements non loin de là ont tout mis en oeuvre pour sortir ce camion de là. Bonne nouvelle.

Sauf que ce lundi 1er juin, quand je suis arrivé au même endroit à 7h30, j’ai réalisé avec amertume que la route était de nouveau coupée, un véhicule de 22 places communément appelé « badjan » (pourtant considérés comme les rois de genre des pistes d’éléphant), s’était aussi embourbé. Il a fallu quatre heures pour le sortir de la boue. Cela fait, il a fallu encore près de trois heures pour parcourir les 25 kilomètres qui séparent cet endroit de l’autoroute du nord. Résultat des courses, je n’ai pu honorer le moindre de mes rendez-vous, ni contribuer intellectuellement à rien du tout, totalement cassé par la route. Et que dire de mon véhicule? Il n’est pas sûr que je le revois (une 4X4 pourtant), avant au moins une semaine avec une facture particulièrement salée. ça m’apprendra d’aller jouer « les blancs ».
L’année dernière, à la même période, après avoir vécu le même enfer, j’ai dû aller protester, images à l’appui, auprès du ministre Lambert Kouassi Konan, Président du Conseil d’Administration du Conseil Café-Cacao (CCC). J’ai été très bien reçu, on m’a dit que ce n’était pas normal qu’une zone qui produit 40 mille tonnes de cacao ait une voie principale d’accès aussi misérable, que quelque chose allait être faite cette année pour mettre fin à ce cauchemar. On m’a prié de prendre contact avec le préfet de Tiassalé, de lui remettre ma lettre de protestation avec les images de l’enfer vécu (ce jour-là j’avais abandonné mon véhicule sur la route pour parcourir des kilomètres à pieds pour arriver à l’autoroute) et que c’était la procédure. Le préfet a reçu le dossier, l’a traité et l’a transmis au directeur départemental du CCC basé à Divo. A charge pour ce dernier de transmettre les conclusions à Abidjan. Et cela fait un an. Quand j’appelle pour savoir à quel niveau se trouve ce dossier, on dit « qu’on va me revenir avec des infos » et ça dure depuis trois. Et la saison des pluies vient de commencer. Comment veut-on qu’un acheteur de cacao aille casser son camion sur cette voie et acheter le cacao aux producteurs au prix garanti? Simple question de bon sens?

Une zone qui permet à l’Etat d’engranger bon an mal an 8 milliards de FCFA et qui a une voie d’accès dans un tel état? Est-ce normal? Est-ce simplement juste?
Manifestement, l’émergence, il y a ceux qui en vivent et il y a ceux qui en entendent parler…alors qu’ils font partie de ceux qui engraissent ceux qui parlent d’émergence. Les élections, c’est dans à peine quatre mois. Il y en a dont les oreilles vont siffler quand ils se rendront dans cette zone pour la campagne d’enfumage…
Vous rendez-vous compte? Le Conseil Régional de l’Agnéby-Tiassa dont fait partie la sous-préfecture de Morokro n’a qu’un budget d’investissement d’environ 200 millions pour à la fois le département d’Agboville et ses centaines de gros villages, de Taabo, de Sikensi, de Tiassalé et j’en oublie… C’est le même sort pour la quasi-totalité des Conseils Régionaux.

Elle n’est pas belle l’émergence, quand on sort d’Abidjan?

Assalé Tiémoko

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