«En politique, Il n’existe pas de victoire ou d’échec définitif : tout est mouvement !»
Laurent Gbagbo a eu 70 ans ce dimanche 31 mai 2015. A cette occasion, l’un de ses admirateurs par ailleurs co-détenu, Charles Blé Goudé lui a adressé cette lettre pour souhaiter le traditionnel « bon anniversaire »
Excellence Monsieur le Président,
Aujourd’hui Dimanche 31 Mai 2015, vous célébrez la soixante-dixième année de votre passage sur la terre des Hommes. Voici encore un autre 31 Mai que vous célébrez entre quatre murs pour la quatrième fois consécutive depuis le 11 Avril 2011, loin des personnes qui vous sont chères et pour qui vous comptez.
Un passage sur terre, plein de peines, de douleurs et de privations. Mais un passage surtout plein de valeurs, d’expériences et d’enseignements. Aux coups durs de la vie, vous avez survécu au point que le nom GBAGBO Laurent se confond désormais avec l’histoire de la Côte D’ivoire et celle de l’Afrique. N’en déplaise aux myopes politiques qui se contentent de regarder sans jamais voir ! Plus des trois quarts des 70 années que vous fêtez aujourd’hui ont été consacrées au combat pour les libertés et la justice sociale. Pour sauver la vie de vos concitoyens, vous avez sacrifié votre vie. Même certaines formations politiques qui vous jettent aujourd’hui l’anathème vous doivent leur naissance et leur survie face à la répression et autres persécutions auxquelles les soumettaient leurs nouveaux alliés d’aujourd’hui. Ainsi va la vie ! Ce n’est donc pas faux quand un soir vous m’aviez dit : « saches jeune homme qu’un Leader ne peut pleinement être heureux en sachant que tant d’hommes sont dans le malheur sans qu’il puisse se soucier de ne rien faire pour les aider. Le Leader doit se réveiller à des heures qui ne lui conviennent pas, parler à des gens qui ne lui apportent rien, consentir des sacrifices sans rien attendre en retour. » Mais le conseil qui m’a le plus fait réfléchir toute une nuit reste à jamais cette phrase que vous m’avez lancée à la fin d’une journée où vous m’aviez fait l’honneur de me raconter les pires humiliations que vous ont fait subir vos geôliers pendant votre détention à Korhogo. Face à mes larmes que je n’ai pas pu retenir ce jour, juste avant que les gardes nous enferment chacun dans sa cellule, me tapotant l’épaule en guise de consolation, vous m’avez dit : « le plus jeune, tu veux cuire du pain ? Alors n’oublie jamais que dans un four ouvert, le pain ne cuit jamais.»
Toute la nuit durant, je me suis posé toutes les questions existentielles que beaucoup de personnes dans ma situation ont dû se poser avant moi depuis la nuit des temps ou doivent certainement continuer à se poser. Au regard des largesses et de la générosité dont vous avez fait montre en faveur de vos opposants d’hier devenus vos bourreaux d’aujourd’hui, dois-je continuer de croire que l’on récolte ce que l’on a semé ? Président, avez-vous vraiment semé toute cette méchanceté dont vous êtes aujourd’hui victime ? Tout comme les plans les mieux conçus ne sont jamais à l’abri d’une faille que peut commettre un simple mortel contre les caprices de la nature, trop d’eau, un peu d’eau ou pas assez et vous passez du malheur au bonheur ou vice versa. Le rôle de l’homme dans la semence a-t-il vraiment un impact sur la qualité de la moisson ? Même s’il est vrai que la nature n’est pas encore parvenue à transformer les grains de gombo que vous avez semés en tige de tomate, est-on bien certain de récolter un jour du gombo parce que l’on a semé du gombo ? Président, perdu dans ces réflexions drôlement philosophiques qui n’ont pour but en fin de compte que d’apporter plus de mélancolie dans cette triste existence carcérale, j’étais impatient qu’il fessât jour pour vous retrouver afin de m’abreuver à cette source intarissable de connaissances dont vous êtes le détenteur exclusif. Le matin venu, comme réponse aux questionnements qui ont occupé la place de mon sommeil toute la nuit, vous m’avez, sourire aux lèvres, dit de considérer qu’il nous arrive des moments où la vie ressemble souvent à un arbre qui se vide sa sève. Pendant ces moments où la réalité et nos convictions se livrent un véritable combat, les difficultés nous plongent dans la tentation d’emprunter des raccourcis pour échapper aux responsabilités de l’histoire. Mais la conscience que nous avons de nos devoirs nous oblige à puiser en nous-mêmes pour venir à bout de ces obstacles afin de faire aboutir nos objectifs de départ. Pour finir, vous m’avez dit que le monde s’apprête à faire le deuil d’une époque. Ainsi, les derniers coups de griffes d’une panthère agonisante faisant très mal, nous devons tenir.
Alors que la justice Burkinabé vient d’ouvrir le dossier sur l’assassinat de Thomas Sankara, l’ex président Blaise compaoré se trouve en exil en Côte D’ivoire. En Egypte, alors que l’ex Président Moubarak et sa famille sortent de prison, Mohamed Morsi vient d’être condamné à vie.
Eh bien, Président, vous n’avez pas du tout tort ! Un simple regard sur les récents évènements sur notre continent suffit à conclure qu’en politique, Il n’existe pas de victoire ou d’échec définitif : tout est mouvement !
Merci Président !
Merci pour nous !
Merci pour les peuples de Côte D’ivoire et d’Afrique !
Merci pour toute cette jeunesse africaine qui partout sur le Continent est aujourd’hui en lutte, s’inspirant de votre combat !
Vous êtes certes entre quatre murs, mais monsieur le Président, vos idées planent sur toute l’Afrique et se sont enracinées en chaque jeune africain.
De vous, nous sommes et nous resterons toujours fiers.
Cet autre icône et combattant de la liberté, fierté à vie de l’Afrique, Nelson Rolihlahla Mandela a eu raison de dire que « les chaines du corps sont les ailes de l’esprit ».
Joyeux anniversaire, Président !
Joyeux anniversaire Papa !
Fait à La Haye, le 31 Mai 2015
Votre voisin de cellule
Charles Blé Goudé
Président fondateur du COJEP
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