Policiers, gendarmes, militaires, appartenant aux anciennes Forces de défense et de sécurité (FDS) et aux ex-rebelles des Forces nouvelles qui ont occupé près d’une décennie la partie Nord de la Côte d’Ivoire, fument désormais le calumet de la paix. Les armes s’étant tues, place à la réconciliation entre frères d’armes. Après toutes ces années de guerre fratricide, les ex-belligérants ont vite fait de rattraper les temps perdus à se combattre. Et le racket, tare la mieux partagée de ces chaleureuses retrouvailles, constitue désormais le trait d’union qui cimente le vivre ensemble entre les anciens frères ennemis.
Une pratique qui coûte plus de 100 milliards
Selon une étude publiée en 2008 par la Banque mondiale, le racket des forces de sécurité ivoiriennes, aussi bien sur les transports de voyageurs que de marchandises, coûte ‘illégalement’ entre 95 et 150 milliards de francs CFA par an. Un état de fait d’agents véreux qui constitue un obstacle à la libre circulation des biens et des personnes en Côte d’Ivoire, en même temps qu’il porte un impact négatif sur l’activité économique du pays, indique l’étude.
A Abidjan comme en province
A Abidjan comme en province, les forces de l’ordre ivoiriennes restent fidèles à l’exercice du racket. Lieux de prédilection, les routes, les gares routières dont certaines sont gérées, en sous-main, par des militaires à dans la capitale économique. Et les usagers (transporteurs comme passagers) continuent d’en faire les frais. Entre menaces, intimidations, trafics d’influence et très souvent agressions physiques, tous les moyens sont utilisés par les « racketteurs » en uniforme pour parvenir à leurs fins. Dans certaines gares routières comme le « Lavage » de Yopougon et la gare de taxis intercommunaux de Koumassi, des « éléments » des Forces républicaines de Côte d’Ivoire passent une fois par semaine, selon des acteurs du milieu, pour prendre la « ration » de leur « commandant ». Et lorsque les syndicats des transporteurs ne s’exécutent pas, ils doivent s’attendre à en assumer les conséquences. Début septembre 2014, la gare de taxi intercommunaux de Koumassi fut le théâtre d’une décente musclée d’hommes en armes dans une nuit, tirant en l’air, et agressant au passage tous les chauffeurs présents sur les lieux. La pomme de discorde, le refus par les chauffeurs, selon ceux-ci, de verser à un chef militaire sa ration habituelle. « Nous avons récemment décidé de ne plus verser les 300 000 FCFA que nous ont imposé, chaque lundi, les militaires. Voici tout le problème ! », a révélé un responsable des transporteurs sous le couvert de l’anonymat.
Sur certaines voies express des communes d’Abidjan, tel que le boulevard principal de Yopougon ou la rue passant devant l’ex-cinéma « Liberté » à Adjamé, l’on constate fréquemment des agents de police ou militaires opérer le plus souvent à deux dans des conditions non orthodoxes. Discrètement planqués derrière un arbre ou un arrêt de bus, ils observent la circulation avec une attention particulière. Et « gare au chauffeur qui gare mal ! » Il n’ira pas sans laisser au moins un billet ou une pièce de 500 FCFA. Il se raconte même dans le milieu que les gendarmes d’acceptent jamais moins de 1000 FCFA. Ces derniers, devenus de moins en moins visibles sur le terrain à Abidjan, continuent tout de même de sévir sur les routes à l’intérieur du pays.
Un tableau pas du tout reluisant, qui a poussé les autorités ivoiriennes, après la crise-postélectorale de 2010-2011, a mettre en œuvre des réformes et initiatives, visant à lutter efficacement contre ce fléau qui concerne.
Des reformes et initiatives contre le fléau
A commencer par l’activation de la brigade anti-racket, l’accélération de la Réforme du secteur de la sécurité (RSS), l’intensification des sanctions contre les forces de l’ordre véreux dont plusieurs ont été condamné pour racket ces trois dernières années par le tribunal militaire, la création d’une police militaire, la diminution drastique du nombre de barrage de contrôle routier.
A cela, il faut ajouter l’apport des partenaires aux développements tels que le Japon qui, à travers la l’Agence japonaise de coopération internationale (JICA), a financé à hauteur de plus de près d’un milliards de francs CFA le renforcement des capacités professionnelles et opérationnelles des animateurs-relais de la police nationale ivoirienne. Mais aussi l’Union européenne qui a Financé à hauteur de 1,4 milliards de FCFA, le projet d’appui à la réconciliation entre la population et la police nationale, mis en œuvre par le PNUD et l’ONUCI. En plus d’avoir permis la réhabilitation et l’équipement des locaux de huit services de police, visait à restaurer le dialogue socio-sécuritaire pour favoriser la réconciliation entre la Police ivoirienne et la population, à travers l’animation d’ateliers d’échanges, de forums publics, d’activités sportives et culturelles de proximité.
Des initiatives qui, selon certains observateurs, ont eu un impact considérable sur la pratique du racket dans le pays. Mais la tâche demeure difficile, tant le racket des forces de l’ordre, forme la plus visible de la corruption sous tous les tropiques, semble résister étanchement en Côte d’Ivoire à la peau de la Réforme du secteur de la sécurité. Une réforme dont l’une des composantes essentielles qu’est « Contrôle démocratique », en principe dévolu aux pouvoirs publics en charge du contrôle de la gouvernance et de l’éthique, ainsi qu’à la société civile et les médias, reste un angle mort.
Abdoul Razak Dembélé
Ladiplomatiquedabidjan.com
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