Konan Roger LANGUI est Maître de Conférences à l’université Félix Houphouet-Boigny de Cocody. Militant du PDCI-RDA, membre de Conseil Politique des Jeunes du PDCI-RDA de l’ex-Président des jeunes KKB, il est également écrivain et directeur de publication de la revue universitaire « Revue Didiga ». Dans cet entretien, il parle du congrès extraordinaire du PDCI-RDA, de la candidature d’Essy, Banny, KKB et Kablan, des grèves intempestives au niveau de l’école ivoirienne…Pour lui, seul le changement de pouvoir est la solution pour une Côte d’Ivoire nouvelle. (Source le Bélier N°098 du samedi 11 et du dimanche 12 avril 2015).
Le congrès extraordinaire pour choisir le Président Alassane Ouattara comme candidat à la présidentielle de 2015 est-il le bien venu ?
Le PDCI-RDA ne se sent pas concerné par ce congrès et n’a jamais choisi Monsieur Ouattara comme candidat à cette élection. Nous savons que Monsieur Bédié a décidé de rejoindre le RDR et de soutenir son Président ! D’ailleurs, je n’ai jamais compris pourquoi sa destitution n’a pas encore été prononcée. Pour nous autres, il s’est rendu coupable de haute trahison. Et cela n’engage que lui.
Il y a KKB, Essy, Banny et Kablan Brou, issus du Pdci qui ont décidé de se dresser contre ce qu’il est convenu d’appeler l’« appel de Daoukro » en maintenant leur candidature pour la prochaine élection présidentielle. Ont-ils bien fait ?
Bien sûr ! Il fallait des gens pour nous sortir du ridicule et ils l’ont fait.
Croyez-vous que la paix et la réconciliation tant voulues par les Ivoiriens peut venir de ces candidats ?
Je crois que c’est faire injure que d’affirmer qu’un vrai fils d’Houphouët ne peut pas réconcilier ; et même si j’ai des réserves sur les économistes en général, Banny a beaucoup accumulé pendant sa gestion de la CDVR ; l’on sait aussi le talent de diplomate d’Amara Essy et KKB a au moins eu le mérite d’avoir rapproché Bédié et Ouattara, aujourd’hui c’est qui nous ouvre les voies de la Haye.
Qui selon vous semble mieux outillé parmi eux pour affronter Ouattara ?
Là n’est pas la question ; je dirais que ces candidats nous doivent les meilleurs individuellement et collectivement ! Banny, par exemple semble avoir eu le langage qu’il faut pour neutraliser Ouattara. Son expression « je connais les chiffres » sera imparable pour Ouattara. Essy Amara, en ce qui le concerne, est plus structuré à mon avis. De plus, sa candidature est une réponse à une vielle insinuation de Ouattara selon laquelle l’on ne voudrait pas de lui parce qu’il est du nord et musulman. La vérité qui va apparaître avec Essy est que dans ce face à face, désormais, l’on aura la certitude que l’un des candidats musulmans est ivoirien et que l’autre l’est au bénéfice du doute. Avec KKB par contre, c’est le renouvellement des classes politiques qui implique un renouvellement des vertus ; c’est un langage nouveau qu’il apporte et peu importe qu’il soit jeune, car si les jeunes veulent le pouvoir aujourd’hui, ils l’auront. Mais rassurez-vous on aura notre candidat unique.
Croyez-vous en l’alternance de 2020 avec le retour du Pdci au pouvoir ?
Bédié lui-même y croit-il ? Rien ne prouve du reste que l’appel de Daoukro n’est pas un cri de détresse. Bédié dit avoir agi par peur de représailles de ses nouveaux partenaires qu’il trouve violents. D’autre part, ce qui aurait pu le justifier, à mon avis, démontre malheureusement qu’il s’est fourvoyé. En effet, il y a une thèse en dialectique sociale qui démontre que lorsque trois entités d’égale force se disputent une chose, personne ne peut l’avoir de façon permanente ; ce qui peut installer un certain désordre. Lorsque dans une république l’on a trois partis d’égale puissance comme le PDCI, le RDR, le FPI, il s’installe un cycle d’instabilité. Quand un des partis accède au pouvoir, il ne peut contraindre longtemps les deux autres dans l’opposition. La solution que Bédié propose en neutralisant ainsi le parti d’Houphouët-Boigny, semble être de croire qu’en rejoignant le RDR, il romprait cette organisation triadique pour en faire un système dualiste. C’est une erreur et de cette manière, il ne mènera qu’à la révolte car tout le monde ne peut pas faire allégeance aux armes. Ce sont des principes et il faut qu’il nous dise au final, qui est finalement ce monsieur dont il est tombé si amoureux des ponts.
On parle de candidature de Ouattara par jurisprudence, ou la modification de l’article 35 de la constitution. La Côte d’Ivoire est-elle à l’abri d’une autre crise avec cette situation ?
On ne saurait se prévaloir de sa propre turpitude dit-on. De même, on ne peut élire sa propre condition en principe de jurisprudence, sinon qu’on m’explique ce que ce terme veut dire. La jurisprudence est une décision de justice qui rompt pour la première fois, un principe de loi connu et établi. Ce serait donc insensé ; un vrai mépris du droit. D’ailleurs, ont-ils jamais eu besoin du droit puisque les armes les servent si bien ? Souhaitons pour notre part que le peuple prenne sa démocratie en main. Vous savez, c’est cet amalgame qui montre que l’Onu a failli. C’est une de ses résolutions qui a quand même consacré la guerre, une autre aurait pu à mon sens, contraindre à l’équité ; du moins à un procès équitable et à une projection sur l’avenir de notre démocratie ! Mais je crois que ce n’est pas à eux non plus d’instaurer notre démocratie. En clair, c’est évident que Ouattara est bloqué par la constitution. D’ailleurs, en prenant fait et cause pour de supposés apatrides, il revendique son propre statut. Or le terme même d’apatridie est étymologiquement un abus moral et constitutionnel. À la naissance, tout être humain a au moins la nationalité de ses parents ; à moins d’être né in vitro. Et ceux qui souhaitent changer de nationalité en font la demande auprès du pays qui les intéresse tout en sachant qu’il peut y avoir refus.
Vous êtes enseignant à l’université, depuis quelque temps les grèves ont repris tant au niveau des enseignants que des étudiants. Est-ce à dire que les problèmes de l’école ivoirienne demeurent intacts ?
Effectivement. Ils les aggravent d’ailleurs. Un État peut-il mentir ou se dédire sur son école ? C’est le cas chez nous. Et tout est accompagné de mépris. Je n’en revenais pas devant l’affirmation du Ministre Gnamien Konan pour qui les littéraires sont à exclure de leur projet d’émergence. Mais il ya aussi, à mon avis, des causes plus sournoises. Au plan endogène, pourquoi malgré la laïcité prônée, l’université de Cocody porte l’effigie d’un masque, cela, même quand il a été dédié à Houphouet-Boigny dont le symbole est le bélier ? N’allez surtout pas me demander ce que je vais chercher là ; sinon je vous demanderais pourquoi c’est un fils senoufo qui a tenu dans cette arène, l’un des syndicats estudiantins les plus virulents, pour n’en sortir que pour piloter une des plus sinistres rébellions ? Au plan exogène et relativement à son propre fonctionnement, le rapport entre enseignants dans ce milieu n’est pas aussi fraternel qu’on pourrait le croire. Nous sommes parfois à la limite du tolérable. Le professeur Bernard Zadi comparait souvent cette université à un panier de crabes mais certains collègues utilisent volontiers le terme de « sorcellerie » pour qualifier parfois ce qui s’y passe. Je crois qu’au nom de la franchise universitaire, l’université a versé un peu trop à mon sens dans les problèmes de personne et de clans. Par contre, avec les mesures administratives, les programmes et procédures, étudiants et enseignants se perdent constamment dans les nouvelles mesures. Voyez comment nous nous sommes précipités avec le LMD ? Le système UV nous a apporté quoi ? On ne le saura jamais parce que nous n’avons pas la culture du bilan. Je n’ai jamais vu une institution aussi contrastée et déroutante qui a tous les moyens de son autonomie, mais qui vit aux dépends des innovations extérieures. Au plan syndical, ce qui se passe à l’université aujourd’hui entre Enseignants et dirigeants, c’est qu’on refuse de payer les reliquats nés des accords partiels sur les salaires parce que les acquis seraient de Gbagbo. Mais en même temps, le temps mis pour réagir a rendu ces accords désuets ; ce qui veut dire que même si on les réglait aujourd’hui, l’on basculerait demain dans une nouvelle crise. La vérité est qu’un enseignant burkinabé, sénégalais, gabonais ou nigérien est mieux payé (parfois trois fois plus) que son homologue ivoirien. Nos dirigeants préfèrent manipuler les syndicats plutôt que de traiter des problèmes de l’heure.
Que faut-il faire pour que l’école ivoirienne retrouve son lustre d’antan ?
En changeant ce régime déjà parce que quand un ministre affirme que les littéraires ne sont pas utiles au projet d’émergence, c’est un nouvel analphabétisme qui avait déjà consisté à faire croire aux ivoiriens que l’économie est une solution. Pour que cela soit vrai, il eût fallu que l’économie soit une politique ; ce qui est faux d’ailleurs. L’économie n’est que la conséquence d’une politique. Une société humaine qui expérimente comme la Côte d’Ivoire, les dérives du « rattrapage » et de la justice des vainqueurs, n’aura même avec une croissance à trois chiffres, qu’une économie de château de cartes. Donc quand on aura changé de régime, il faudra reprogrammer les capacités de l’État à partir de la base. Sinon vous savez que nous sommes un pays sans statistique donc sans source de planification objective ; et c’est l’un des objectifs de la guerre que nous subissons. Par ailleurs, pourquoi notre système scolaire n’arrive-t-il pas à ravaler ses diplômés alors que notre pays est à peine centenaire ? Comment se fait-il que nos licenciés sont livrés à eux-mêmes alors que le secondaire privé est tenu par des gens sans rapport objectif avec le système éducatif ? L’ENS et les universités en tant qu’EPN, peuvent employer la totalité de leurs étudiants en ouvrant des lycées pilotes semi-privés. Aussi, comment peut-il se faire qu’on renvoie des étudiants après 4 ou 5 ans d’étude en médecine alors que notre couverture santé est l’une des plus faibles au monde ? Voici quelques questions. Alors, tant que nous croirons que c’est le culte de l’économie qui fait l’économie, nous engagerons nos peuples dans l’incertitude des guerres d’annexion.
Avez-vous un appel particulier ?
À nos candidats déclarés, je voudrais dire que c’est déjà une victoire d’avoir rejeté l’imposture. Je veux leur réitérer mon soutien infaillible. Nous avons affaire à des gens qui ont déjà scié la branche sur laquelle ils sont assis. Ils n’attendent plus qu’un coup de vent. Ouattara ne peut pas avoir offert le pire aux régimes qui l’ont précédé et vouloir à son tour que tout le monde perde la mémoire. Même face à des armes cela doit être impensable. Aux ivoiriens, je demande de rester confiants et de voir ce qui se passe autour de nous au Nigeria, au Burkina, au Sénégal…Notre espérance en Félix Houphouet-Boigny sera notre boussole. Nous irons à cette élection pour le déboulonner. Je voudrais saluer M. Anaky Kobenan parce qu’il s’installe peu à peu comme le flotteur de la démocratie ivoirienne.
Bénoit Kadjo
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