« Nous ne sommes pas encore sortis de l’auberge » par Bally Ferro
Le Nigeria et nous
Des résultats de l’élection présidentielle de la première puissance économique africaine, nous n’avons retenu qu’une chose: la défaite du sortant, Goodluck Jonathan, et la victoire du général Muhammadu Buhari.
Les enseignements multiples sont pourtant visibles et devraient nous interpeller. Si en 2011, l’élection de Jonathan a été suivie de troubles occasionnant des milliers de morts, cette année, tout le monde s’est montré fair-play.
D’une part, la victoire de Buhari, éclatante et sans bavures, ne laisse de place à aucune contestation: il a obtenu plus de 2,5 millions de voix d’avance sur une population électorale d’au moins 69 millions.
Opacité et violations.
D’autre part, la célérité de la Commission électorale nigériane a confondu ses détracteurs. Pour une élection organisée les 28 et 29 mars, elle a proclamé les résultats le 31 mars, soit 48 heures après.
Chez nous, malgré un coût exorbitant (261 milliards de nos francs), notre scrutin présidentiel de 2010 a été frappé d’opacité et de violations flagrantes des procédures en vigueur. Au Nigeria, même si on a connu quelques incidents techniques avec des machines biométriques qui tombaient en panne, les électeurs ont été, pour ce scrutin, identifiés par des lecteurs d’empreintes digitales.
Chez nous, nous avons échoué dans cette lutte contre la fraude électorale en 2010. Car, si au premier tour, le 31 octobre, deux modes simultanés de comptages des voix (manuel et électronique) ont été utilisés pour garantir la transparence et la sincérité des résultats, au second tour, le 28 novembre, le RHDP (coalition de partis alors dans l’opposition), qui avait mainmise sur la CEI, a refusé le croisement entre l’addition manuelle et l’addition numérique opérée par la société d’informatique Sils Technology.
Pataquès juridico-politique.
Ce n’est pas tout. La CEI, paralysée par ses divisions politiques internes, allait se montrer incapable de respecter le mode opératoire. Les mises en garde de Nicolas Sarkozy, le président français (« Il est essentiel que la CEI annonce les résultats avant ce mercredi 1er décembre au soir« ) et les inquiétudes du candidat Ouattara (« Nous nous permettons de rappeler que le délai de trois jours imparti à la CEI expire ce mercredi 1er décembre 2010, avec comme conséquence le risque de voir la CEI dessaisie ») n’ont servi à rien.
Notre Commission a été frappée de forclusion, mais son président, Youssouf Bakayoko, allait réaliser des performances: d’un, sans avoir épuisé les délibérations avec les autres membres de la commission centrale et donc sans validation, il annonçait seul, le 2 décembre, des résultats; de deux, il s’installait dans une irrégularité consistant à la fois dans la rupture de l’égalité des candidats et dans sa partialité, en proclamant ces résultats contestés et contestables au QG de campagne du candidat Ouattara, déclaré vainqueur sous les yeux des ambassadeurs français et américain.
Le Conseil constitutionnel, sous influence, ne fut pas en reste dans ce pataquès juridico-politique. Le 3 décembre 2010, suite aux requêtes en annulation du président sortant, il annulait les résultats de sept départements pour donner vainqueur du scrutin Laurent Gbagbo. Il violait la lettre et l’esprit de trois dispositions: d’une part, les articles 63 et 64 de la loi portant Code électoral; d’autre part, l‘article 28 de l’ordonnance du 14 avril 2008 qui précisait que dans le cas où le Conseil constitutionnel se rendait compte d’irrégularités de nature à entacher la validité du scrutin et affecter le résultat d’ensemble, il devait prononcer l’annulation de l’élection.
Mais, nous avons tous été possédés par le diable, comme l’a déclaré Paul Yao N’Dré, président sorti du Conseil constitutionnel, et nous nous sommes entretués. Les Nigérians ont connu cette descente aux enfers en 2011 et viennent de nous donner une grande leçon de démocratie.
Notre scrutin est pour octobre prochain et rien ne dit que nous sommes guéris de notre pacte avec le diable: la CEI reste caporalisée, le gouvernement a introduit unilatéralement, donc sans consensus, un projet de modification de 16 articles du Code électoral pourtant adopté par référendum en 2000 et Youssouf Bakayoko reste encore et toujours à la tête de l’autorité chargée d’organiser nos élections. Nous ne sommes pas encore sortis de l’auberge.
FB
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