Par Germain KRAMO
Créée en 1939, la Zone Franc regroupe désormais quatorze Etats d’Afrique centrale et de l’ouest regroupés en deux zones d’intégration (CEMAC et UEMOA). Ces pays utilisent en commun le franc CFA même si le franc CFA n’est pas le même dans les deux zones. Le CFA dispose d’une parité fixe avec l’euro. Cela signifie que la valeur du franc CFA évolue en fonction de celle de l’euro. Le franc CFA et l’euro évoluent dans le même sens alors que les économies des deux ensembles économiques n’ont pas les mêmes performances économiques. Plus de trois générations après, il est légitime de s’interroger sur la pertinence du franc CFA en tant que monnaie commune?
Malgré de nombreuses critiques, le franc CFA a résisté à la décolonisation et à l’avènement de l’euro. Alors y-a-il des avantages à adopter cette monnaie? Ses défenseurs soutiennent que le franc CFA a plusieurs avantages. Le franc CFA a toujours été un instrument de solidarité. La mise en commun des fonds à travers le compte d’opération permet aux pays en difficultés économique et financière d’être soutenus par les autres pays. Par exemple de 1985 à 1991, excepté le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Congo et le Gabon tous les autres pays de la zone franc avaient leur solde commercial déficitaire. La mise en commun des fonds dans les comptes d’opérations permettait aux pays ayant leur solde commercial déficitaire de régler leurs achats à l’étranger. La dévaluation du franc CFA n’est intervenue que lorsque ces pays auparavant excédentaires sont devenus déficitaires.
L’objectif assigné à la Banque Centrale des Etats d’Afrique de Ouest (BCEAO) est de sauvegarder les valeurs interne et externe du franc CFA pour garantir la stabilité des prix. L’un des avantages les plus perceptibles de cette monnaie est la faiblesse de l’inflation dans la zone franc au moment où certains pays voisins avaient des taux d’inflation à deux chiffres. En 2013, le taux d’inflation moyen était d’environ 1,5% dans l’UEMOA et 2,3% dans la CEMAC alors qu’il était de 11,9% en Guinée et 11,6% au Ghana. En effet, le fait que plusieurs pays aient une banque centrale commune assure une certaine cohérence et indépendance dans la conduite de la politique monétaire. Les pays de la zone ne peuvent pas actionner la planche à billets lorsqu’ils font face à des difficultés financières. D’où la maîtrise de l’inflation dans la zone. L’arrimage du franc CFA à l’Euro, bénéficie d’une assurance de stabilité et de sécurité, qui constituent des éléments rassurants pour les investisseurs étrangers. En effet, plus une monnaie est stable (c’est-à-dire son taux de change avec les autres monnaie ne varie pas ou peu), plus les investisseurs étrangers sont motivés à investir dans cette monnaie avec un risque de change minimal.
Bien que le franc CFA ait des avantages certains, nous ne pouvons pas perdre de vue ses nombreuses faiblesses. De nombreuses voix se sont élevées pour critiquer le fonctionnement du franc CFA. D’un point de vue politique d’abord, il est considéré comme un vestige de l’empire colonial français. La monnaie étant considérée comme un symbole de souveraineté nationale, l’intrusion de l’ancien colon dans la gestion du franc CFA est considérée comme un moyen de maintenir la domination sur les anciennes colonies. En contrôlant 50% des avoirs extérieurs des pays de la zone franc et en étant membre des conseils d’administration des deux banques centrales de la zone franc, la France contrôle la politique monétaire de ces pays. De plus, comme tout autre compte bancaire, l’ouverture des comptes d’opérations dans les livres du trésor français entraîne des coûts de gestion. Par ailleurs, lorsque le taux d’intérêt proposé par le trésor public français pour rémunérer les comptes d’opérations en cas d’excédent est inférieur au taux d’intérêt offert sur le marché international, cela constitue une perte pour les pays africains. L’existence des comptes d’opérations alimentés par 50% avoirs extérieurs des pays de la zone franc prive ces pays d’importantes ressources pouvant être investies pour le développement des pays africains.
D’aucuns disent que l’existence d’une monnaie commune ou l’arrimage du franc CFA au franc français puis à l’Euro, est supposé constituer un facteur de développement du commerce intra communautaire et d’attrait des investissements directs étranger (IDE). Cependant, force est de constater que le commerce intra UEMOA ou intra CEMAC et les IDE en direction des pays de la zone franc demeurent faibles. Le commerce intra UEMOA représente seulement 15% du volume total des échanges des pays de la zone. De plus, en 2011 les IDE en direction de l’UEMOA ne représentent que 2,9% du PIB de l’UEMOA. L’utilisation du franc CFA n’a pas permis d’accroitre significativement le commerce intra régional et le volume des IDE.
L’arrimage du franc CFA à l’euro constitue un handicap pour la conduite de la politique monétaire et la compétitivité des économies de la zone franc. Le taux de change doit refléter la santé d’une économie. Le taux de change Euro/FCFA n’est pas lié à la performance des économies de la région. Lorsque l’Euro s’apprécie, on a une surévaluation du franc CFA. Cela rend les exportations des pays africains chères et non compétitives sur le marché international. Certains analystes soutiennent que le maintien de la parité fixe malgré la mauvaise santé des économies de la zone dans les années 1980 a contribué à accentuer la crise.
Somme toute, il est vrai que le franc CFA a de nombreuses faiblesses mais le principe d’avoir une monnaie commune ne doit pas être remis en cause. Pour que cette monnaie commune soit pertinente pour les pays africains il est important que les économies africaines convergent vers le même niveau de développement et qu’il y ait l’homogénéité des politiques budgétaires, fiscales, commerciales et monétaires. Les pays africains doivent contrôler la gestion de cette monnaie commune. L’adoption d’une parité flexible devrait faciliter les ajustements. Mais pour trouver un compromis entre les adeptes de la parité fixe et les défenseurs de la parité flottante, il serait souhaitable d’arrimer le franc CFA à un panier de devises tout en lui offrant un intervalle dans lequel le taux de change peut flotter en fonction des performances des économies de la zone franc.
Par le passé, le franc CFA a plus été un instrument de solidarité qu’un instrument de développement économique. Les pays gagneraient à réformer la gestion du franc CFA afin qu’il puisse jouer pleinement son rôle d’instrument de développement économique à travers le contrôle de la politique monétaire par les banques centrales de cette zone
Par KRAMO Germain, Chercheur au CIRES – Côte d’Ivoire – Le 30 mars 2015
Article publié en collaboration avec Libre Afrique
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