Par Serge-Nicolas N’zi
I – La crise postélectorale ivoirienne à fait perdre à l’université beaucoup de ses cadres enseignants et depuis lors la rentrée universitaire est devenue un casse-tête pour l’Etat, les enseignants, les étudiants et les parents. Les universités publiques ivoiriennes sont en panne. L’horizon s’assombrit de jour en jour dans l’attente de solutions souvent inatteignables dans un dialogue de sourds organisé bizarrement par le pouvoir lui-même.
L’institution universitaire s’est considérablement dégradée ces dernières années. Nous n’insistons même pas sur le fait que l’université était hier encore un foyer de violence avec les règlements de comptes à la machette entre étudiants, de personnes brulées vives et autres bastonnades en règle de professeurs par leurs étudiants.
Tout cela fait que l’université est considérée par le pouvoir ivoirien comme un foyer de subversion, d’activité et d’agitation politique. Mais ce n’est là que le reflet de la société ivoirienne qui est une société de violence au quotidien. Pour ne pas dire une crise de la société ivoirienne elle-même. L’université et la société sont en interaction permanente, c’est cela la réalité ivoirienne.
Dans ce sens on peut dire ici que l’université, ses professeurs et étudiants constituent le baromètre politique et culturel de la société ivoirienne. Les crises sociales, morales et politiques ont toujours commencé à se manifester à l’université avant de s’exprimer dans la société ivoirienne. Nous rappelons pour ceux qui ont encore de la mémoire cette expédition punitive des paras commandos de la gendarmerie nationale sur le campus universitaire de Yopougon.
Dans la nuit du 17 au 18 mai 1991, entre minuit et 02h00 du matin, le gouvernement ivoirien ordonne une expédition punitive sur la cité universitaire de Yopougon dans la banlieue abidjanaise. Les étudiants et surtout les étudiantes de l’époque ont gardé un mauvais souvenir de cette intervention plus que musclée menée par les commandos de la FIRPAC, force de réaction rapide, l’unité d’élite de la gendarmerie ivoirienne.
Des filles seront violées, des étudiants battus à coup de crosses et de rangers, membres brisés après défenestration. Des étudiants obligés de ramper sur le bitume et dans les caniveaux, des pratiques sadiques, perverses et humiliantes telles que l’obligation faite à certains de laper le sang de leurs camarades blessés. Cela avait scandalisé l’opinion ivoirienne dans un pays où le SIDA est devant la porte de chacun.
C’était l’horreur, les soit disant houphouëtistes comme Allassane Ouattara était le premier ministre du gouvernement ivoirien de l’époque, Henri Konan Bédié était le président de l’assemblée nationale, ils n’ont élevé aucune protestation devant des faits aussi graves. Le ministre de l’intérieur, M. Emile Constant Bombet, dira sans sourciller que c’était « une banale opération de maintien de l’ordre. »
Devant l’émotion suscitée par cette barbarie, Houphouët-Boigny accepte, du bout des lèvres, la création d’une commission d’enquête. Cette commission établira la responsabilité du chef d’État major de l’armée ivoirienne, le Colonel de l’époque Guei Robert, mais Houphouët refusera de prendre les sanctions qui s’imposaient. Cette impunité et l’usage de la force armée contre sa propre jeunesse sont les signes extérieurs communs, les plus dégoûtants des dictatures criminelles africaines.
Cet esprit contestataire de l’université doit être vu comme un détonateur appelant à des solutions appropriés à toute crise profonde qui ronge la société ivoirienne. Il faut faire observer ici que c’est le mépris de l’état pour l’institution universitaire dont-il est pourtant le propriétaire qui est à la base de tous les remous de la vie universitaires sous nos cieux.
II – Dans le cas des universités ivoiriennes
Les étudiants réclament des laboratoires bien équipés pour leurs travaux. Plus d’amphithéâtres et surtout avec une bonne sonorisation pour que le professeur puisse se faire entendre de sa chair au fond de la salle. Mais enfin si cela n’est pas possible à quoi doit servir la fonction d’enseignant à ce niveau de responsabilité universitaire ? Les étudiants réclament plus d’enseignants car de nombreux titulaires ont quitté le pays pour aller se faire valoir sous d’autres cieux.
Ils réclament avec leurs enseignants un médiateur pour un dialogue utile permettant au gouvernement de mieux comprendre leurs difficultés et d’y apporter des solutions. Pourquoi un médiateur ? Parce que le déficit de dialogue et de communication entre les étudiants, les enseignants, d’une part et l’administration universitaire tribaliste et le ministère de l’enseignement supérieur est bien réel et durablement installé au cœur même de la crise universitaire. Issiaka Ouattara dit Watao était sur le campus pour jouer au médiateur sur des problèmes qui dépassent son entendement. Tous simplement Parce que l’Etat tribaliste ne savait plus quoi faire devant les protestations et les grèves à répétition.
Ne parlons même pas des conditions d’inscription et du paiement des bourses universitaires, du logement avec des cités d’étudiants occupées depuis de nombreuses années pas les dozos du groupe ethnique présidentiel, ainsi que du transport des étudiants entre leur lieux de résidence et l’université. Ne pas résoudre ces problèmes et faire des voyages de par le monde avec ses molaires en or, ses boutons de manchettes en or et sa cravate en soie pure, c’est non seulement de la plaisanterie, mais faire le pari du plus lamentable des fiascos.
Quand on regarde les revendications universitaires que le gouvernement d’Allassane Dramane Ouattara n’arrive pas à satisfaire on se demande si c’est ce pays qui veut être émergeant en 2020, dont-on parle.
– Paiement des arriérés de salaires dus au titre de la grille particulière depuis 2009 ;
– Application des recommandations du REESAO consécutives à la mise en œuvre du LMD ;
– Application des nouveaux taux horaires
– Instauration d’indemnités liées aux commissions d’examens et aux corrections de copies, cela existe dans toutes les universités dignes de ce nom.
– Revalorisation des indemnités d’encadrements des mémoires de Master 1, Master 2 et Thèse de Doctorat ;
– Revalorisation des indemnités de participation aux jurys de Master1, Master 2 et Thèse de Doctorat ;
– Revalorisation de la prime de recherche et trimestrialisation de son paiement ;
– Construction de bureaux d’enseignants ;
– Installation de connexion intranet et extranet sur tout le campus ;
– Equipement des salles de travaux pratiques et des laboratoires en matériel didactique ;
– Ouverture et équipement des bibliothèques universitaires ;
– Ouverture de restaurants sur le campus ;
– Fourniture ininterrompue d’électricité sur le périmètre de l’Université.
La difficulté de l’opinion nationale et internationale à comprendre cette situation, est que l’état dit aux ivoiriens qu’il y a la croissance, il dit qu’il a incorporé 46 000 personnes dans l’armée. Il a inauguré un pont de 154 milliards et pour l’université il n’y a pas l’argent. Ne sommes nous pas en droit de demander aux amis du président, les Bouygues et Bolloré de nous construire deux ou trois amphithéâtres sur le campus de l’université. Combien aurions nous épargné si tous ces marchés de gré à gré étaient tombés aux mains des chinois, indiens et autres japonais ?
Doit-on vraiment en Côte d’Ivoire, discuter de l’ouverture du restaurant universitaire ? Doit-on discuter avec le gouvernement de l’équipement et de l’ouverture d’une bibliothèque digne de ce nom dans l’enceinte universitaire ? L’installation d’une connexion internet sur le campus universitaire va de soit même les petits collèges de province ont la connexion sans que cela ne fasse l’objet d’une revendication. Le paiement d’une indemnité relative à l’encadrement d’une thèse ou à sa participation à un jury de thèse, ne devrait pas faire l’objet d’une grève devant un gouvernement digne de ce nom. C’est cela la république pour laquelle nos pères se sont battus.
Soyons sérieux. Pour mourir idiot, il faut naitre dans ce genre de pays. Dans un pays normal le chef de l’Etat arbitre et veille avec une attention particulière à tout ce qui peut perturber l’équilibre et l’harmonie du pays. Chez les ivoiriens c’est le président de la république lui même qui va dans les ordures pour rechercher le virus destructeur de l’unité et de la cohésion nationale pour venir l’inoculé dans le corps social du pays qu’il gouverne.
De l’ivoirité d’Henri Konan Bédié au rattrapage ethnique d’Allassane Dramane Ouattara, la malfaisance politique est profondément enracinée dans la vie nationale, il ne faut donc plus espérer de la cohérence de la pars des autorités ivoiriennes. La réhabilitation des cités universitaires est repoussée au calandre grecque. On dirait que personne n’a envie d’offrir aux étudiants de bonnes conditions d’études.
La plupart des membres du gouvernement ont pourtant fait des études universitaires, ils devaient tous comprendre qu’un professeur à besoin d’un bureau et qu’on n’encadre pas la préparation d’une thèse de doctorat gratuitement. Quel est ce pays bizarre ou tout ce qui est simple et normal ailleurs devient plus que compliqué ? Quel est la valeur d’un étudiant formé à Abidjan dans une Université dont les laboratoires de recherche manquent de tous en équipement ?
N’est ce pas là du mépris et une volonté politique réelle d’affaiblir les Universités publiques au profit de celles du privés ou fréquentent déjà les enfants de la nomenklatura ivoirienne, dont certains ont aisément des bourses d’études pour l’étranger ? à propos des bourses d’études à l’étranger, il faut craindre que le rattrapage ethnique passe par là pour régler les comptes d’hier en empêchant, Sery, Zokou, Zady, Yao, Koffi, Zion ou Mambéa d’aller étudier à l’étranger.
Tout cela sent la poudre dans une marmite pleine devenue un immense chaudron en ébullition. Au lieu de regarder ceux qui en parlent comme des ennemis, il faut plutôt voir ici des signaux et les alertes qui viennent d’eux pour que nous évitions l’irréparable.
III – Il faut absolument sortir des fausses solutions
Dans les années 90, la Banque mondiale avait présenté le privé comme une alternative à la crise de l’université publique. Mais le constat est tout autre. Deux décennies après, l’enseignement supérieur privé en est toujours à décerner des diplômes d’établissement, toutes choses qui nuisent à la mobilité des étudiants.
N’oublions pas que 60% des enseignants des universités privées sont fournis par le public. Une anomalie qui nous pousse à y voir un problème d’éthique. Quand on considère que l’enseignant du supérieur divise son temps entre l’enseignement et la recherche, c’est le temps consacré à la recherche qui se trouve englouti dans l’activité d’enseignement. Difficile dans ces conditions de cultiver l’excellence.
Quelles sont les clés pour sortir les universités publiques ivoiriennes de l’ornière ? Les réponses fusent: régler la question des infrastructures, mutualiser les moyens, améliorer la gestion à travers une plus grande traçabilité, penser le fonctionnement des Universités dans la durée, toutes choses que nous résumons par l’argent à mettre à disposition, le nerf de la guerre, ce sans quoi aucune amélioration ne semble possible.
Mais où trouver l’argent ? Pas de miracle. Trois sources de financement disponibles : l’Etat, l’Université, la Société. Il faut repenser ces trois modes d’intervention. Par exemple, pourquoi ne pas développer les rapports entre universités publiques et universités privées. Dans quelle mesure les secondes qui bénéficient de l’apport en enseignants du public peuvent-elles contribuer au financement de l’université public? Des entreprises ou personnes privées peuvent financer à titre de don la construction d’amphithéâtres et de laboratoires etc.
Mais aussi l’argent doit-être mis au service de l’Université et géré pas des gens honnêtes et non par des professionnels patentés de la surfacturation qui dépensent 4 milliards pour réhabiliter des locaux sans un amphithéâtre ni un bureau de plus. Toutes ces choses qui sont sous nos yeux affaiblissent l’Université au point ou de nombreux professeurs ont quitté leur chaire universitaire pour assumer des mandats politiques ou des responsabilités administratives dans la fonction publique ivoirienne, obligeant l’université qui veut s’isoler de la société, à aller ailleurs pour chercher d’autres victimes de sa propre incohérence.
IV – Postulat de Conclusion générale
Nous pensons sincèrement que le moment est venu de prendre les choses en main pour que l’université en Côte-d’Ivoire constitue un maillon essentiel de la formation et du développement de notre pays.
– L’université nationale ne doit pas être considérée comme une entreprise privée, mais ne saurait non plus être coupée de son environnement.
– Elle doit être un lieu ou doit se développer les savoirs fondamentaux de la recherche nécessaire à l’accompagnement de l’émergence et de l’épanouissement de notre jeunesse.
– Dans ce sens les universités nationales de côte d’ivoire sont confrontées à de nombreux défis et leur développement sont très inégalement répartis sur l’ensemble du territoire national.
– Le président de la république a récemment promis l’édification des universités de Bondoukou et d’Abengourou. A quoi serviront ces établissements, sans cité universitaire, sans la simple connexion wifi et sans bureaux pour les professeurs ? Pourquoi ne pas améliorer ce qui existe au lieu d’aller créer des montagnes de problèmes pour plaire aux entreprises de construction amis que sont les Bouygues et consorts ?
– C’est dans cet esprit que nous en appelons à un dialogue national constructif ouvrant la porte aux états généraux de l’université en Côte d’Ivoire, pour que tous les problèmes de la réforme universitaire soient abordés maintenant de manière à ne plus perturber l’année universitaire sur laquelle pèse déjà l’orage des revendications qu’on refuse d’écouter ou de régler.
Les réformes dont nous parlons ici sont relatives à la compétence de gestion non tribale de l’institution universitaire publique, à l’attractivité, à la compétitivité de nos universités, aux infrastructures, à la qualité de l’enseignement, aux moyens de recherche et à la prise en compte des conditions de travail des enseignants et de leurs étudiants.
Les rendements académiques sont une des exigences les plus importantes auxquelles les
Universités doivent se soumettre. Le financement de l’éducation coûte cher à la collectivité nationale.
L’enseignement supérieur coûte encore plus cher tant il a besoin de ressources humaines et matérielles de qualité. A tout le moins, les professeurs qui y enseignent doivent présenter des Garanties de maîtrise des domaines dans lesquels ils interviennent et justifier les salaires qu’ils perçoivent. Ils doivent aussi être aptes à dispenser des enseignements de facture internationale qui tiennent compte de l’état des connaissances et qui mettent en œuvre les procédures de recherche aux résultats avérés.
Ils doivent également promouvoir et encadrer des recherches de qualité internationale qui hissent leurs étudiants à des niveaux satisfaisants de compétence, de comparaison et de mobilité internationale. Tenant compte des contextes économiques difficiles évoqués plus haut, le financement de la recherche en général et l’équipement des laboratoires en particulier devront être justifiés grâce aux résultats obtenus.
Or, au regard des résultats internes, les distorsions entre les financements et les réalisations nous laissent tous dans l’amertume. Ceux qui en parlent ne sont pas contre l’état mais contre l’enseignement au rabais et la médiocrité qu’on veut installer durablement chez nous pour obscurcir l’horizon de notre pays et de sa jeunesse. Sortir définitivement du mépris, des balbutiements interminables et des grèves à répétition afin que nous ayons chez nous aussi des grandes écoles d’excellence capables d’offrir à notre jeunesse une formation de qualité sur place.
Comment tout cela peut-il se faire dans un environnement où il manque de tout ? Quelle est la valeur d’une université sans bibliothèque, sans salles d’ordinateurs, avec moins d’Amphithéâtres, moins de laboratoires et sans bureaux pour les professeurs ?
C’est en Côte d’ivoire qu’on voit des Universités avec des amphithéâtres sans sonorisation, des campus sans connexion internet et sans groupe électrogène de relais en cas de coupure du courant électrique. Nous faisons le pari que tous ces problèmes ne seront jamais réglés, parce que l’université n’est pas une priorité de l’Etat ivoirien et de son gouvernement.
La priorité est ailleurs, dans les casernes de l’armée mono ethnique FRCI, qui a droit à tout sur tout. C’est navrant et décourageant pour tous quand la médiocrité vient de l’état lui-même.
C’est justement dans ce sens et ici même qu’il faut rappeler qu’au États-Unis, au moment où les universités de ce pays commençaient leur ascension qui devait les mener au niveau qu’elles ont actuellement, Charles Peirce, un philosophe américain avait défini en 1891 l’université comme:
« Une association d’hommes, dotée et privilégiée par l’État, en sorte que le peuple puisse recevoir une formation (guidance) intellectuelle et que les problèmes théoriques qui surgissent au cours du développement de la civilisation puissent être résolus. »
Telles sont les réflexions que nous inspire la crise des universités ivoiriennes.
Merci de votre aimable attention.
Dr Serge-Nicolas NZI
Chercheur en communication
Lugano (Suisse)
Tel. 0041792465353
Mail : nicolasnzi@bluewin.ch
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