«Chaque jour, des emplois se créent en Côte d’Ivoire, malheureusement, il y a trop de diplômés en Côte d’Ivoire. Ces diplômés n’ont pas la qualification qu’il faut pour occuper ces emplois », a dit hier Alain Lobognon, ministre de la Promotion de la Jeunesse, des Sports et des Loisirs, régulièrement reconduit dans ses fonctions depuis juin 2011. En effet son apport à la cause qu’il est censé défendre en a fait un acteur aussi brillant qu’incontournable pour toute la jeunesse émergente, modelée à l’image du pays, et qui s’était rassemblée au Palis des sports de Treichville, pour la quatrième édition des Assises de la jeunesse.
La réflexion de notre ministre, révélatrice d’une pensée profonde, voire abyssale, mérite d’être prolongée dans le détail. Si nous suivons le raisonnement d’Alain Lobognon, la Côte d’Ivoire émergente est un vaste pays du quart monde qui n’est pas appelé à sortir de sitôt de sa misère et de son sous-développement. Cette « Côte d’Ivoire en chantier », selon la formule affectionnée par Ouattara, ne crée, semble-t-il que des emplois de… chantiers, précisément, pour lesquels aucune compétence intellectuelle n’est requise : seule compte la force physique, pour travailler en tant que manœuvre, terrassier, balayeur et j’en passe. Et ces chantiers, toujours provisoires, ne sont destinés à générer que des emplois eux aussi provisoires.
Les instituteurs et professeurs en grève, encadrement de cette belle jeunesse qui monte, sont payés en promesses : les salaires, eux, se font attendre; quant aux revalorisations promises, elles restent plus que jamais hors de vue. Il appartient aux étudiants en grève de lire entre les lignes le message que cette confession involontaire de leur représentant en haut-lieu leur adresse : « nous n’avons pas besoin de vous, dans cette Côte d’Ivoire préélectorale aux lendemains qui chantent, sur l’air envoûtant du second mandat brigué par Ouattara! ».
Dans cette Côte d’Ivoire de rêve, il n’est ni emploi ni promotion qui ne passe par la case piston, alias rattrapage. En Libye, feu Mouammar Kadhafi envoyait sa jeunesse étudier à l’étranger, tous frais payés, parce qu’il savait que ces hommes et ces femmes instruits étaient l’avenir de son pays. Mais cette idée magnifique, insupportable à des occidentaux à l’affût, avides de pétrole, ils n’ont eu de cesse qu’ils ne l’aient ensevelie, au nom d’une ingérence humanitaire mensongère, sous des tonnes de bombes et les hurlements de milices rebelles diplômées ès-massacres : aujourd’hui, l’avenir libyen ne s’écrit plus qu’en lettres de sang, sur fond de ruines, désolation, misère et mort.
En Côte d’Ivoire, où l’on ne mise plus, depuis la chute de Laurent Gbagbo, que sur la médiocrité, avec la bénédiction toujours aussi funestement paternaliste d’une France en décomposition, les ministres eux-mêmes sont des rattrapés sans expérience, dépourvus du moindre talent, privés d’imagination. Et ce n’est pas Madame Ouattara, féconde en discours lénifiants, embrassant « au nom de son cher papa Ouattara » une jeunesse rituellement soumise à ses tournées de bienfaisance abêtissante, qui dira le contraire. Elle, la première « rattrapée » du piston façon joli minois ! Nous suggérerions volontiers à l’ancien professeur des écoles Alain Lobognon, ex-collègue enseignant d’Anne Ouletto et de Kandia Kamara – aux qualifications plus que douteuses pour un poste ministériel ! -, de se solidariser, lui et ses collègues, avec tous ces vrais diplômés selon lui « non qualifiés », en démissionnant de son poste.
Oui, messieurs et dames Lobognon and co, démissionnez en bloc, et réclamez d’urgence les pelles et pioches indispensables à votre joyeux engagement bénévole sur les chantiers ô combien prometteurs de la Côte d’Ivoire émergente. Nous vous proposons même un slogan pour cette nouvelle campagne de recrutement dont vous aurez vaillamment pris la tête : « Tous volontaires, tous pionniers, tous musclés à la suite d’Ado-l’Émergence! ». Lui qui s’apprête à nous rapporter les énièmes monts et merveilles de son 111ème voyage à l’étranger : quelques loukoums de Turquie à distribuer aux vaillants ouvriers provisoires de ces chantiers provisoires qui dotent la CIV de routes et ponts à crédit, permettant aux richesses de quitter plus rapidement le pays !
Shlomit Abel, 26 mars 2015
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