Côte d’Ivoire – le procès “Pro-Gbabo” met à nu les faiblesses et dysfonctionnements de l’appareil judiciaire

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Pierre Soumarey

 

Le Procès des «Pro-Gbabo» met une fois de plus à nu les faiblesses et dysfonctionnements de notre appareil judiciaire.

1 – La persistance d’une justice défaillante est un danger pour la paix sociale, l’État de droit, l’Ordre Public, et la démocratie.

Contrairement à ce que l’on pourrait logiquement attendre de la part de nos institutions, la crise politique de 2010, a pris naissance au centre même de notre appareil judiciaire, en raison de son incapacité à dire le droit. La persistance de la faiblesse de cette institution à assurer avec efficacité sa mission, est porteuse de très graves menaces sur la paix sociale et l’Ordre Public. En effet, il lui revient de résoudre de manière équilibrée et satisfaisante les conflits de la société civile et politique, conformément au droit. En cela, elle est débitrice d’une obligation d’impartialité dans l’administration de la justice. Madame Simone Gbagbo a rappelé avec insistance, lors de son procès, le rôle crucial de la justice dans la société, en tant qu’instrument de régulation des tensions et de paix sociale. Elle identifie la première caractéristique de la justice, comme étant son rôle protecteur contre toute forme de dérive (pression, corruption, politique, carriérisme) qu’elle compare, en s ‘inspirant de la Sainte Bible, à une cuirasse, « la cuirasse de la justice » qu’elle qualifie, avec raison, de dernier rempart, donc de dernière défense contre l’inacceptable et l’imposture. C’est précisément parce celle-ci, à un moment donné de notre histoire, a trahi cette finalité, que la République a basculé dans le chaos. Lorsque la justice n’est pas convenablement assurée dans une société, celle-ci peut être paralysée par des conflits d’intérêts particuliers et des enjeux de pouvoir. Plus grave, non seulement, elle cesse d’apporter des solutions pertinentes aux situations nouvelles que rencontre la société dans son évolution, mais elle y perd également son autorité morale, c’est à dire la légitimité qui fonde la raison de son caractère contraignant. Cette défiance s’assimile à une résistance psychologique, qui s’oppose au recours à la force organisée, perçue désormais de ce fait, comme un abus de pouvoir, pouvant enclencher un processus de dégénérescence du système, conduisant à des conflits ouverts.

Gardons en mémoire, que c’est un dysfonctionnement majeur, survenu au plus haut sommet de la hiérarchie judiciaire, qui est à l’origine de la crise post-électorale que nous avons connue. Il convient d’en tirer tous les enseignements, si nous voulons réellement avancer dans la construction d’un État de droit (contrôle de l’exercice de l’autorité publique, garantie effective des libertés individuelles et collectives, résolution équilibrée et satisfaisante des conflits) et éviter de nouvelles crises (contestation de l’autorité de la justice). Toutes les parties du corps social, doivent pouvoir se voir garantir, la pleine jouissance de leurs droits et avoir l’obligation contraignante de remplir leurs devoirs, dans un cadre équitable, pour que s’impose à la société, une norme acceptable par tous. Cinq années seulement après la douloureuse crise politique de 2010, la même institution, nous conduit, à la circonstance du procès des « pro-Gbagbo » (qualification impropre, en ce qu’elle comporte une consonance politique, qui tend à conférer subrepticement au procès, un caractère politique, niant sa nature pénale), à constater à nouveau, son absence d’efficacité, alors que sa mission, est indispensables au succès de la réconciliation. La paix et la cohésion sociales, s’obtiennent par la force du droit et la qualité de la justice. Cette situation est très préoccupante pour la démocratie et l’avenir. Il est souhaitable, que les Pouvoirs Publics (Ministère de la justice et des droits de l’homme), qui rechignent à intervenir, au nom du principe de la séparation des pouvoirs (pétition de principe ou réalité ?) le fasse au plus vite, dans l’intérêt général, afin d’identifier et corriger, ces faiblesses. Celles-ci sont à rechercher dans 5 directions : insuffisance structurelle ( faiblesse quantitative des ressources humaines et matérielles, et surtout inefficacité des organes de contrôle d’administration interne), indépendance (neutralité politique des personnels de Justice, séparation des pouvoirs), compétence (qualité et efficacité du service public dans la conduite des procès, capacité professionnelle à interpréter et dire le droit, déroulement des carrière au mérite), excès de pouvoir (liberté des juges par rapport au droit, absence de sanction en cas de fautes avérées pour autocensure, complaisance, corruption, légèreté et politisation), démocratisation et efficacité de la justice (accès à une justice de qualité pour tous, délai raisonnable dans le traitement des affaires, strict respects des procédures, garantie des droits de la défense, respect de la présomption d’innocence, etc…).

Le procès de Madame Simone Gbagbo et de ses co-accusés, a offert à la communauté nationale et internationale, un spectacle très médiocre, qui n’honore ni l’institution, ni la Côte d’Ivoire. Le Tribunal a donné l’impression d’être, tantôt une vaste cour de récréation, tantôt une tribune politique, contrastant de manière injurieuse, avec l’écrasante gravité des faits incriminés, comme s’il ne s’agissait pas de juger des infractions ayant entraîné la désorganisation et la déstabilisation de l’état, la destruction de nombreuses vies humaines (la Commission Nationale d’enquête, parle de beaucoup plus de 3000 personnes) de biens matériels (publics et privés), une guerre civile, et un exil massif, où certains de nos concitoyens, ont perdu toute une vie de travail. Il est manifeste à l’évidence, que notre justice n’a pas été à la hauteur de cet événement national. C’est dommage. En effet, elle n’a pas répondu à l’attente sociale (besoin de vérité des acteurs politiques et demande de justice des victimes) et n’a pas rassuré sur sa crédibilité (efficacité, fiabilité, objectivité). Elle a totalement dérapé (insuffisance criante de l’instruction, enquêtes bâclées, mauvaise qualification pénale des délits, absence de preuves probantes, violations multiples de la procédure (contradictoire et droits de la défense), absence de rationalité dans l’appréciation des peines, désinvolture des acteurs du procès, débordement des magistrats par le contexte et les enjeux du procès, dérive politique du procès, etc. ….). L’accusation (ministère public et avocat de l’État) a été nettement insuffisante (administration de la preuve, axe stratégique), à un point tel, que certains parlent de procès de la honte, quand d’autres pointent, de manière plus diplomatique, de graves dysfonctionnements.

2 – Quelle est la finalité de ce procès ?

En annonçant au sortir d’une rencontre politique, avant même la tenue dudit procès, qu’il n’y aurait plus aucune personnalité politique dans les liens de la détention, en rapport avec la crise post-électorale, avant la fin de l’année 2015, l’intérêt de celui-ci, venait d’être sabordé, d’autant plus qu’un procès pénal, relève dans l’ordre judiciaire, d’une juridiction répressive, dont la finalité, au contraire d’une juridiction civile, est de sanctionner une transgression de la Loi, et non de se prononcer sur un litige. Ainsi, le Gouvernement par la voix du premiers Ministre Ahoussou Jeannot (pourtant juriste), venait de préjuger d’un procès (limite des peines et inefficacité de celles-ci) et d’envoyer par là, un mauvais message à la Justice (maladresse ou volonté ?). En effet, quel est le sens d’une répression sans sanction, ou plus exactement, d’une sanction dont on sait d’avance, qu’elle ne sera pas exécutée ? Dès lors, la sanction devient un épiphénomène, et le procès lui-même, une formalité. Ils se réduisent à des fonctions symboliques. Je suis surpris que certains s’y arrêtent, pour les instrumentaliser à des fins clientélistes.

Aussi, il est légitime de s’interroger plus fondamentalement sur la finalité de ce procès. La Côte d’Ivoire est mise en demeure de remplir son obligation de transférer Madame Simone Gbagbo à la CPI, où elle est poursuivie, pour crimes contre l’humanité (violation les plus graves des droits de l’homme, crimes d’agression massive et planifiée des populations civiles, de la femme et de l’enfant). L’État a t-il voulu démontrer à l’attention de cette dernière, et de la communauté internationale, la capacité de sa juridiction pénale nationale, à poursuivre et sanctionner des atteintes aux droits de l’homme ? La Côte d’Ivoire est rentrée dans une année électorale, sans que le délicat et difficile chantier de la réconciliation, ne soit achevé. Le Gouvernement, a t’il voulu aménager au bénéfice du Président de la République, en campagne informelle pour sa réélection, l’opportunité de prononcer une grâce, qui pourrait être perçue comme l’apothéose d’une volonté politique de cohésion nationale, marquant le couronnement du processus de réconciliation, avant la tenue des prochaines élections présidentielles ? Le Pouvoir subissait depuis quelques années, de la part de l’opinion publique nationale (opposition et organisations civiles de défense des droits de l’homme), et de la communauté internationale (ONU, ONG, chancelleries étrangères, partenaires), une pression constante, sur la lenteur de la justice et le maintien de dirigeants politiques dans les liens de la détention, sans aucun procès. Le Gouvernement a-t-il voulu y répondre favorablement, en accélérant les procédures, alors qu’il n’en avait pas véritablement les moyens ? D’où ce sentiment d’impréparation et de précipitation qui prévaut. Autrement dit, ce procès obéit–il à une volonté, une stratégie, un agenda, et un objectif politiques ?

En abandonnant un instant, ces aspects externes au procès, pour nous intéresser exclusivement aux aspects internes de sa finalité, dans le cadre de sa mission de service public (intérêt général et régulation sociale), la justice, s’est t’elle fixé pour objectif, la manifestation de la vérité, en vue de lui permettre de jouer un rôle de catharsis, dans le contexte de la réconciliation, en éclairant d’un jour nouveau (approfondissement de l’analyse et description de la réalité historique) la compréhension des évènements dramatiques qui ont endeuillé la Côte d’Ivoire ? Ce débat didactique, voire pédagogique, a t-il vraiment eu lieu, pour indiquer une norme comportementale et une norme juridique, dans le cadre d’une compétition électorale, pour prévenir de futurs manquements ? Le procès vise-t-il à apaiser les victimes dans le contexte de la réconciliation, en leur démontrant qu’il n’y a pas d’impunité et que le préjudice qu’elles ont subi, est pris en compte par la justice, à défaut d’être réparé ? Il est souhaitable, d’accélérer de manière significative, la mise en place du fonds d’indemnisation des victimes des 2 camps, car il apparaît maintenant évident, qu’elles n’obtiendront rien de la part de la justice et des auteurs des dommages qu’elles ont subis (les comptes ont été débloqués avant le procès, sans tenir compte de la demande des parties civiles, et l’état n’a pas encore créer une structure spécialisée à cet effet. On préfère compter sur l’étranger pour réparer les conséquences de nos propres turpitudes). Je souligne à leur attention, qu’elles disposent d’une voie de recours en carence, si elles estiment que la justice, néglige ou refuse de faire droit à leurs revendications légitimes, ou de prendre en compte leurs dommages, ou encore d’exercer effectivement ses prérogatives. La réconciliation politique ne doit pas se faire au détriment des victimes. Le peuple ne doit pas toujours continuer à payer pour les politiques, et être le seul à le faire. La justice, veut-elle sanctionner des agissements particuliers, qui ont porté atteinte au fonctionnement régulier de l’État et aux droits fondamentaux de nombreux citoyens ?

3 – Le procès proprement dit

D’ordinaire le procès pénal ne relève pas du contentieux, donc de la justice proprement dite, puisqu’il a pour finalité de sanctionner un comportement ou des actes positifs, accomplis en violation de la Loi. Il s’agit de punir au nom de l’État, des victimes, et de la société toute entière, ces violations flagrantes de la règle de droit. Dès lors, il revient à la juridiction saisie, de s’assurer, que les faits incriminés, violent effectivement ladite règle de droit (culpabilité), puis de les réprimer (application de peines). Or, l’accusation n’a pas su démontrer, au soutien de ces allégations, par des preuves probantes, des faits personnels (intentionnels et matériels) pouvant constituer une violation caractérisée de la Loi. Drapés de la protection de la présomption d’innocence, à aucun moment, les prévenus n’ont été confondus, par l’administration d’une preuve décisive (les témoins n’étaient ni fiables ni crédibles). Pire, elle a perdu l’initiative du débat, qu’elle n’a pas été en mesure de relever du reste, en apportant la contradiction à un discours naturellement déculpabilisant. A la place du droit, elle a laissé s’installer la politique.

Dès lors, Mme Simone Gbagbo a eu parfaitement raison de se déclarer satisfaite du procès, en ce sens qu’il a permis, de démontrer son innocence au regard des infractions qui lui étaient reprochées, mais surtout, de lui offrir l’occasion de s’exprimer sur le contentieux électoral, pour dire « sa part de vérité ». Je partage entièrement son avis, car de ce point de vue, elle a gagné son procès, en réalisant pleinement ses objectifs. La condamnation qui a suivi, est secondaire et constitue un épiphénomène dans ce procès, puisqu’elle peut être levée à tout moment. Elle ne sera jamais entièrement purgée. Il ne s’agit ni d’une décision définitive, ni d’une peine incompressible. Elle a bien compris que l’essentiel du procès était ailleurs. Démontrer la réalité des faits, la vérité historique, et tirer les conséquences du procès, pour la conscience de l’opinion nationale et internationale. C’est donc pour elle, d’abord une affaire de conscience (conviction), le triomphe d’une cause juste (le droit étant avec elle) et une victoire culturelle (la justesse des valeurs défendues n’a pas pu être contredite). On peut donc aisément convenir, qu’elle a gagné ce procès, sous cet angle. Mais, pouvait-il en être autrement ?

J’observe au plan de la recevabilité de l’action de l’État, que le représentant d’un État, le représentant d’une institution, un responsable quelconque, quelle que soit sa fonction ou sa position sociale, est passible de poursuites, pour méconnaissance de la Loi ou violation de celle-ci, en tant que personnes physique ou en tant que personne morale, prise en sa qualité de représentant de cette dernière, par des citoyens, des sections organisées de la société (institutions publiques ou privées), par l’État, ou à travers le ministère public qui se substitue dans cette circonstance, à ces derniers. Donc, la question n’est pas tant de savoir qui était le représentant légal de l’État à l’époque des faits (axe stratégique de la défense), mais de savoir, si les comportements et les faits allégués, constituent des violations effectives de la Loi. C’est l’affirmation du principe que nul n’est au-dessus de la Loi. Sur la base de ce principe de portée générale, l’ensemble des prévenus demeurent, soumis à la Loi, en tant que sujet de droit, si on excepte, la question de la validité des immunités dont ils peuvent jouir. Aucun statut (représentant légal ou pas) ne confère le pouvoir de faire ce que l’on veut et de transgresser les règles de droit. Je note par ailleurs, que Madame Simone Gbagbo occupait une fonction morganatique, en tant qu’ex première dame, qui l’écarte en droit, de l’exercice du pouvoir institutionnel. Les prévenus sont à l’intérieur d’une organisation étatique, et non en dehors ou au-dessus d’elle, quelle que soit sa représentation. À supposer, que l’un d’eux, eut le même comportement et commis les mêmes faits (atteinte à la sureté de l’État), alors que Monsieur Laurent Gbagbo était investi de la fonction de Président de la République ou l’exerçait effectivement, il serait tout aussi pareillement passible de poursuites, de la part de l’État, du chef des mêmes motifs. Dès lors, le contentieux sur le vainqueur de l’élection présidentielle de 2010, ne constitue pas un moyen pertinent de droit, pour démontrer la légalité d’une action.

D’une part, il est inopérant du fait que l’État possède une personnalité juridique, dite morale, distincte de celle, de celui qui le représente. Dès lors, peu importe qui le représente. En conséquence, l’État (personne morale distincte) a toute qualité à agir, s’il y a intérêt. D’autre part, il est inadéquat au regard des attributions de compétence d’une Cour d’assise. Celle-ci n’est pas le juge de l’élection, elle ne saurait se prononcer sur la légitimité et la légalité du Président de la République au moment de la commission des faits, ou intégrer une telle appréciation dans son jugement. Celle-ci ne se pose pas, et ne s’impose pas à elle. Ce n’est ni l’objet de sa saisine, ni l’objet du procès, et ceci ne relève pas de sa compétence. La question pertinente est donc de savoir d’une part, si cette action est effectivement répréhensible et délictuelle, en elle-même, indépendamment du contexte de la crise politique, comme le serait par exemple, le fait de tuer ou de bruler vivant un homme, de manière extra-judiciaire durant la crise, et d’autre part, si elle l’est toujours, dans le contexte précis de leur commission, comme le fait d’aller à l’encontre de l’autorité et de la sécurité de l’État. Cas qui nous occupe aux présentes. Aussi, dans cette période exceptionnelle et confuse (proclamations contraires des résultats de l’élection, organes concurrents exerçant la même compétence) de délitement de l’État, caractérisé par la disparition de l’Ordre Public (guerre civile) et de l’Ordre Constitutionnel (bicéphalisme de fait, alors que la Loi prévoit l’exclusivité de l’exercice du pouvoir exécutif ), consacrant une sorte d’absence de cadre légal, voire de vide institutionnel, les actes posés, étaient-ils susceptibles d’une part, de porter atteinte à l’intérêt général (paix sociale, sécurité des citoyens, activités économiques de la collectivité nationale), et d’autre part, de paralyser la liberté d’action du Gouvernement actuel, dont la légalité ne sera reconnue et formalisée que 5 mois plus tard ? Article 3, « En raison des circonstances exceptionnelles, le Conseil Constitutionnel, prend acte des décisions prises par le Président Alassane OUATTARA, et les déclare valides » (Décision N°CI-2011-EP-036/04-05/CC/SG du 04 Mai 2011)

De prime abord, ce dernier événement juridique, en la forme de la décision du 04 Mai 2011 du Conseil Constitutionnel, fait apparaître derechef, une ligne de démarcation entre les actes posés avant et après cette date, tant de la part des prévenus que du Gouvernement. Ensuite, il pose le problème de ses effets rétroactifs, au regard de l’Article 41 de la Constitution, qui prévoit la détention exclusive du pouvoir exécutif. Enfin, comment solutionner la question de ce vide juridique, en prenant en compte le brutal revirement de la décision du Conseil Constitutionnel, notamment au regard de son caractère (général, obligatoire et coercitif) et de la sécurité juridique (contradiction et incohérence des décisions), notamment des effets négatifs de ce changement (complexe, imprévisible et incompréhensible). Il faut préciser tout de suite, qu’il ne s’agit pas de la rétroactivité d’une Loi (pénale ou civile), mais de l’évolution d’une décision pour mieux s’adapter à une réalité (circonstances, éléments de droit et de fait), et annuler les effets d’une précédente, au profit d’une meilleure interprétation du droit. Tel est le débat juridique, qui à peine ouvert, se trouve refermé, par l’autorité de la chose jugée. En effet, il résulte de l’article 98 de la Constitution, que « toutes les décisions du Conseil Constitutionnel, ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics, à toute autorité administrative et juridictionnelle, militaire, et à toute personne physique et morale. ». Cette décision est définitive et emporte force de loi, elle constitue une norme qui s’impose à la Cour et aux juges. S’y conformer, c’est respecter le droit. On ne saurait introduire une hiérarchie de force entre les deux décisions, sinon que la dernière emporte primauté, du fait quelle ne se superpose pas à la première, mais l’annule. Article 4, « Toutes décisions contraires à la présente, sont nulles et de nul effet » (Décision N°CI-2011-EP-036/04-05/CC/SG du 04-05-11)

Sur le fond, j’observe, que la mise en cause de la responsabilité des prévenus a été mal posée. Elle a été recherchée, à l’échelon de l’exécution de l’action, par une participation directe et personnelle, alors que généralement, la responsabilité de tout responsable politique ou décisionnel, se recherche toujours, de manière indirecte, au niveau des processus de formation des actes de décision, des ordres et instructions données, de la fourniture des moyens, de la parfaite connaissance de la commission de faits répréhensibles, en s’abstenant de les faire cesser, alors que l’on dispose du pouvoir prépondérant d’y mettre fin. Ce sont ces liens, et leur articulation, qu’il faut découvrir.

Si l’on se réfère à la théorie de l’État-nation, il faut distinguer deux catégories d’action. L’une relative à l’État en tant qu’organisation institutionnelle, l’autre en tant que communauté nationale. Dans la première catégorie, si les actions incriminées visaient à déstabiliser les institutions de l’État, c’est sous l’angle des infractions politiques, qu’il faut les envisager, autant dire, de l’insurrection contre l’autorité de l’État, du trouble à l’ordre publique et à la paix sociale, à partir de mobiles, de motifs, et d’objectifs purement politiques. Dans la seconde catégorie, si elles visaient d’une part, à exposer la vulnérabilité des populations civiles et à détruire les biens publics et privés de la nation, et d’autre part, à s’opposer délibérément aux mesures de protection de celles-ci, tout en favorisant les opérations de mobilisation civile et paramilitaire, en vue de porter des atteintes graves à leur droits, c’est sous l’angle de la protection civile et du droit humanitaire, qu’il faut les examiner. La notion de crimes contre la sureté de l’État s’adresse à des infractions politiques et des actes portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation. Dès lors, la question fondamentale est de savoir si ces actes servaient des intérêts particuliers et partisans, contre l’intérêt général.

On peut regretter que le débat, entre ces deux conceptions ou théories de l’État, l’une à minima, en tant qu’organisation politique et juridique, et l’autre à maxima, en tant que légitimité démocratique, à commander et se faire obéir, en vertu de la force de la volonté souveraine de la communauté nationale qu’il représente, n’ait pas eu lieu. C’était une opportunité d’enrichir notre culture civique et politique, et de former notre jeunesse. Cependant, il faut reconnaître à décharge, la difficulté du procès sur ce terrain, en raison des zones de non droit couvrant la période suspecte (bicéphalisme de l’État et rupture de l’ordre constitutionnel, qui a eu pour conséquence de le vider partiellement de sa substance juridique), du chevauchement entre infraction de droit commun et infraction politique. Le tribunal n’a pas été capable de trancher nettement pour l’un ou pour l’autre des terrains, tandis que la défense a clairement choisi de se situer sur le terrain politique.

Au final, le droit a-t-il été dit ? Si on comprend que le droit n’est pas la justice, au sens de ce qui est juste, mais un texte de Loi qui s’impose au juge. Si on comprend que la sentence prononcée au terme d’un procès en assise, l’est par un jury populaire, au contraire d’un juge professionnel, tenu de dire le droit suivant des règles précises, que celui-ci soit par ailleurs, juste ou pas. Le juge est lié par des textes qu’il n’a pas lui-même édicté, et un texte peut être, déséquilibré, insuffisant ou injuste. Il convient, de bien garder à l’esprit, qu’il s’agit d’une justice populaire en assise, donc d’un jugement qui n’est pas prononcé par des magistrats professionnels, et qui ne répond pas à la rationalité juridique. En statuant sur la culpabilité et la sanction, comme elle l’a fait, la Cour a t-elle agit conformément à ses prérogatives et au droit ? Au terme de l’article 348 du Code Pénal : « …La loi ne demande pas compte aux juges des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d’une preuve; elle leur prescrit de s’interroger eux-mêmes, dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l’accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs “Avez-vous une intime conviction ? “.

Mais alors, si le droit a été dit, pourquoi cette grande disparité dans la décision, et cette absence de logique, cet acharnement sur des figures gênantes ou symboliques. Toute la réponse est dans la sélection (aléatoire ou dirigée ?) et l’indépendance des jurés. La défectuosité de la qualité du procès, semble donc résider dans un vice de procédure. On ne dira jamais assez que le respect de la procédure permet d’assurer l’efficacité et l’équité d’un procès.

4 – Des sanctions et de l’équilibre de la justice.

La sanction dépend de l’appréciation de la gravité des faits, des circonstances particulières de leur commission, et de l’impression que la réalité de ces faits (preuve) produit sur les jurés. Nous sommes dans le domaine des faits, car elle en découle et leur est subordonnée. Dès lors, par nature, elle ne relève pas du juge du droit. A priori, et jusqu’à plus amples informations, cet aspect hypothèque les chances de succès des pourvois formés en cassation, notamment celui du ministère public, qui dans ses réquisitions, a conclu dans le sens d’une culpabilité. Il est impossible de faire un commentaire objectif, en l’absence d’une copie de la grosse et des pourvois concernés (absence de base légale à la décision, ou méconnaissance des règles de droit ou procédures, dans la conduite du procès ?)

J’entends souvent dire, que la justice est sélective et déséquilibrée, mais la justice ne peut se prononcer que sur les faits pour lesquels elle est saisie. Cette dernière délimite sa compétence. Elle n’a pas à jouer à l’équilibriste, ce n’est pas sa mission, et elle ne peut pas s’auto-saisir. Il faut se garder de faire rentrer la politique dans la justice. Ce reproche ne peut valablement prospérer qu’à l’adresse du Gouvernement, qui possède l’opportunité des poursuites, à travers le parquet. En revanche, rien n’empêche, s’ils ont qualité et intérêt à agir, des partis politiques, des sachants, des victimes, et des groupements (ONG et Institutions civiles) de saisir la justice nationale ou internationale, des faits dont il ont connaissance, ou des faits qu’ils ont subis ou que ceux dont ils représentent les intérêts, ont subis. Un exemple d’action, les personnes qui ont été détenus et libérés sans motifs juridiques, sont fondées à poursuivre l’État. À ma connaissance, seul Michel Gbagbo l’a fait jusqu’à présent, en saisissant une juridiction Française. Le Président Mamadou Koulibaly l’a fait, lorsqu’il s’est estimé lésé dans ses droits. Un exemple d’inaction, on parle des casses des succursales de la BCAO, alors qu’il semble, qu’on ait découvert à Ouagadougou durant l’insurrection populaire du Burkina-Faso, des billets de banque provenant de ces casses, sans que les partis de l’opposition, n’exigent de l’État Ivoirien qu’une information judiciaire soit ouverte, avec plainte pour recel. Aucune plainte n’a été diligentée ni devant le parquet d’Abidjan, ni devant celui de Ouagadougou, ni par l’opposition, ni par le pouvoir, ni par la BCAO (droit de suite). On parle aussi des actes de la rébellion armée, alors que ceux-ci ont été commis sous un autre pouvoir, qui non seulement n’a pas jugé opportun ou utile de les poursuivre, mais les a éteint par une amnistie générale, au nom de la réconciliation et de la paix. Il est donc, tout à fait mal venu aujourd’hui, de demander à un autre pouvoir de revenir sur ces actes. Il y a continuité de l’État et il y a prescription, sauf pour les crimes de sang.

Plutôt que de se limiter à des déclarations, des commentaires, et des jugements de valeur, il faut agir. La politique, est le lieu de l’action et non du verbe. Il est illusoire de croire « qu’on sort d’une guerre, comme si l’on sortait d’un dîner de galla » (L.G., le mot n’est pas de moi). Il n’existe aucune guerre où le vainqueur ne désarme pas son adversaire (chaine de commandement, moyens militaires, politiques et financiers). Ce n’est qu’après, une fois la sécurité revenue, la situation maîtrisée et bien stabilisée, qu’on ouvre le volet civil, pour solutionner les points de divergence et de conflit, et sceller progressivement la réconciliation. Cette dernière s’accompagne de la restauration de la confiance et de la force de se surpasser, dans l’intérêt général. Elle ne va pas de soi, comme on veut bien le croire. « Il est plus difficile de faire la paix, que de faire la guerre » (FHB). Il est immature de demander à un pouvoir de se faire hara-kiri, en s’en prenant à ses alliés, ses soutiens et ses propres forces. Il est tout aussi illusoire, de faire la paix et la réconciliation, en dehors de ses adversaires, à travers ses responsables les plus représentatifs et les plus emblématiques. Il y a certes eu des erreurs et des crimes de part et d’autre, durant la crise militaro-politique, mais il nous faut définitivement en sortir. La politique s’inscrit dans le temps, elle obéit à un contexte précis, des rapports de forces et des contraintes qui la traversent avec leur propre logique, des impératifs qui font, qu’on ne fait pas ce que l’on veut, au rythme que l’on veut. Aujourd’hui, le langage politique évolue, il est plus apaisé et courtois, même s’il se montre plus exigeant, et c’est une bonne chose. C’est l’indication que nous sommes résolument sortis de la belligérance. Il y a de nombreux signes de détente et de normalisation, à considérer dans les différentes approches, malgré les insuffisances.

5 – Les enseignements du procès :

Il nous faut avancer. C’est un impératif catégorique. C’est précisément sur cette invitation que Mme Simone Gbagbo à clôturer son intervention devant la Cour. « Avançons », mais comment et dans quelle direction ? Telle est la réflexion à laquelle elle invite son parti, et la société Ivoirienne en son entier. Je note qu’elle s’est inclinée devant la souffrance et la mémoire des victimes. Ce n’est pas encore un repentir ou une demande de pardon formels, mais c’est un pas dans la bonne direction, pour la reconnaissance de toutes les victimes. Je note aussi, qu’elle a délivré à la nation, un message d’une grande force morale et spirituelle, un message de retenue, de sacrifice, et d’apaisement, « j’ai subie humiliation sur humiliation, mais je suis prête à pardonner, et je pardonne, car si on ne pardonne pas, ce qui arrive (derrière) est pire (que ce que nous avons connu) ». Une fois de plus, elle a gagné son procès, en ce sens qu’elle en est sortie grandie par la hauteur et le courage de ce message. Cette adresse nous indique la voie de la liberté et de la paix, en invitant tous les ivoiriens à sortir de la prison de la haine et de la rancune. C’est donc aussi, sur ce propos, combien sage et responsable, que je souhaite à mon tour, clôturer le mien, en espérant que tous les Ivoiriens sauront en mesurer la profondeur et se l’approprier. C’est avec ce même esprit, les mêmes sentiments, le même sens du sacrifice, que les Présidents Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara, ont trouvé la force de pardonner et de se réconcilier, malgré les humiliations et les souffrances. Je ne doute pas un seul instant, que le Président Laurent Gbagbo, soit dans le même esprit, car on ne construit rien dans la haine et la rancune. Elles nous détruisent et nous empêchent d’avancer. La réconciliation totale n’est plus pour longtemps, et le Président Laurent Gbagbo, Madame Simone Gbagbo, et tous ses compagnons de lutte, seront présents à ce grand rassemblement, à cette fête du pardon et de la réconciliation, si Dieu veut. Il faut laisser le temps faire son œuvre. La réconciliation ne se décrète pas, c’est un chantier de longue haleine. C’est par une volonté de paix, des actions constructives, une saine appréciation de la réalité, le respect de la différence, le respect du combat des uns et des autres, le respect de l’autre, le respect du droit, le sacrifice de soi, l’amour de la patrie et de l’autre, notre frère, que la Côte d’Ivoire, réunie et réconciliée dans sa diversité et son génie, gagnera les défis de demain, ceux de la paix, du développement, de l’intelligence, de la démocratie, de la souveraineté, de la prospérité et de la fraternité. C’est la direction vers laquelle nous sommes invités à avancer, pour bâtir l’avenir du pays, renouer avec l’espérance des pères fondateurs et préparer un avenir meilleur à la jeunesse et aux générations futures.

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