Côte-d’Ivoire « des preuves ? A quoi ça sert ? » se demande Gnénéma Coulibaly (ministre de la justice)

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En condamnant les partisans de son prédécesseur Laurent Gbagbo, la justice ivoirienne vient d’inventer un concept inédit dans sa marche vers l’établissement de l’état de droit promis par Alassane Ouattara: la condamnation sans preuves.

Condamnation sans preuves et absence de témoignages à charge, voici les méthodes expéditives de la justice ivoirienne lorsqu’elle condamne Simone Gbagbo et 78 de ses coaccusés à des peines de prison allant jusqu’à 20 ans. Gnénéma Mamadou Coulibaly, ci-devant Garde des Sceaux de la Côte d’Ivoire, vient de benoîtement le formaliser dans une interview à RFI ce samedi 22 mars. « On s’attendait à des témoignages, à des preuves, alors qu’en fait les infractions visées d’atteinte à la sûreté de l’Etat, de mouvements insurrectionnels ou de bandes armées, sont clairement définies par notre code pénal », explique le ministre.

Et de poursuivre; « Pour qui se souvient de ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire, il n’est point besoin d’aller chercher à mille lieues des preuves ou des éléments illustratifs des faits qui étaient reprochés. C’est vrai que pour les questions de violence il y a eu quelques témoignages, mais pour l’essentiel nous avons fait avec ce que nous avions ». Autrement dit, il suffit qu’un crime ou un délit soit clairement établi dans le code pénal pour qu’une personne soupçonnée de l’avoir commis puisse être condamné. Dans cette logique, il n’y a donc pas besoin d’enquêtes, d’expertises judiciaires, de recherches de témoins qui grèvent dangereusement le budget de la Justice.

Préumés coupables, donc coupables

Pourquoi diable alors faire un procès alors que les accusés, en détention préventive depuis quatre ans, sont présumés coupables? Parce qu’on nous l’a demandé, réplique Coulibaly: »on nous dit , se justifie t-il, ‘les procès tardent à venir, les gens sont trop longtemps détenus’, et quand on essaie d’organiser les procès, on dit ‘non, c’est trop précipité, c’est trop rapproché’. Il faudrait qu’on nous dise exactement à quel tempo nous devons fonctionner. »

Monsieur le Ministre, la date d’un procès n’est pas fixée par la volonté du prince ou sous la pression des défenseurs des droits de l’homme, mais à l’issue d’une période appelée l’instruction, qui doit être menée de façon contradictoire par un juge du même nom. Puisque l’instruction était, selon votre propre aveu inutile, il n’était donc pas nécessaire d’organiser un procès pour juger des accusés coupables, de notoriété publique. Avec des micros qui ne fonctionnaient pas, avec l’interdiction d’interviewer les rares témoins à charge, avec un verdict prononcé à la tête du client, en fonction de son degré de repentance et d’allégeance au nouveau pouvoir. Comment expliquer que des généraux de Gbagbo, qui lui sont restés fidèles jusqu’aux derniers jours, puissent, d’un côté, être condamnés à des peines de vingt ans de prison, et de l’autre, n’aient jamais été inquiétés en raison de leur ralliement au nouveau maître du pays. Alors qu’ils ont commis les mêmes « délits » d’atteinte à la sûreté de l’état. Comment justifier qu’aucun des partisans de Ouattara, accusés par des ONG comme Amnesty International d’être co-responsables des 3000 morts de la crise post-électorale, ne soient cités à comparaître devant un tribunal?

Des faits non établis

La mascarade qui avait débuté avec le jugement de Simone Gbagbo et de ces 78 co-accusés, s’est poursuivie, quelques jours plus tard avec le procès devant un tribunal militaire de deux officiers pro-Gbagbo, accusés d’avoir tiré le 17 mars 2011 des obus sur un marché d’Abobo, une banlieue d’Abidjan, réputée pro-Ouattara, provoquant la mort de plusieurs personnes. A l’époque, les représentants de l’ONU arrivés sur place avaient formellement accusé l’armée fidèle à Gbagbo d’être l’auteur de ce bombardement. Ce qui avait motivé, à l’initiative de la France, une motion du conseil de sécurité condamnant l’usage des armes lourdes. Un texte qui avait permis ensuite à Nicolas Sarkozy de bombarder le chef d’état ivoirien et ses fidèles qui résistaient dans la résidence présidentielle. Le tribunal militaire a estimé que les faits n’étaient pas établis et a purement et simplement acquitté les deux prévenus. Faute de preuves, qui ont, semble t-il, toutes disparues. Ou n’ont jamais existé. Un bombardement dont les faits, quatre ans après, ne sont toujours pas clairement établis.

Fatou Bensouda, la procureure de la Cour Pénale Internationale, qui enquête sur ce sujet pour étayer son accusation de « crime contre l’humanité » contre Laurent Gbagbo, lui aussi détenu sans jugement depuis quatre ans, mais à La Haye, a présenté, durant l’instruction, plusieurs versions contradictoires sur ce bombardement. Sur l’heure, d’abord, selon un panel d’hypothèses qui varie d’un tir en pleine nuit à un tir en plein jour. Sur la nature des obus utilisés. De calibre 80 mm d’abord, mais après avoir constaté que l’armée ivoirienne n’en possédait pas, elle s’est rabattue sur le calibre 120mm. Quant aux témoignages des réprésentants de l’ONU qui disaient avoir constaté ces bombardements, ils ont tout simplement disparu du dossier. Le ministère de la Défense français, lui aussi aux premières loges au moment de ces événements, n’a pas répondu aux demandes de Bensouda. Qui menant une instruction exclusivement à charge n’a pas cherché à savoir si ces obus meurtriers ne pouvaient pas avoir été tirés par un « commando invisible » pro-Ouattara qui officiait à l’époque à Abobo. Son chef, Ibrahim Coulibaly, ne pourra plus témoigner. Il a été exécuté quelques jours après la chute de Gbagbo, par les hommes de Guillaume Soro, l’ex chef rebelle devenu président de l’Assemblée Nationale.
Ce bombardement d’Abobo étant la pierre angulaire de l’accusation contre l’ancien président ivoirien, on comprend donc que la justice militaire de Ouattara ne veuille pas s’aventurer sur un terrain où la CPI pédale déjà dans l’approximation et les accusations non prouvées. En acquittant les prévenus fautes de preuves, elle évite ainsi d’étaler les lacunes du dossier « bombardement d’Abobo » sur la place publique. Mais, comme le dit joliment Gnénéma Mamadou Coulibaly, pourquoi irait-ont chercher aujourd’hui des preuves alors que tout le monde sait que Gbagbo et ses partisans, sont coupables…

http://mondafrique.com/lire/editos/2015/03/22/la-ministre-de-la-justice-de-ouattara-des-preuves-a-quoi-ca-sert

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