PRAO Yao Séraphin
En Côte d’Ivoire, la terre divise et tue les ivoiriens. Les forêts et les terres à l´Ouest de la Côte d´Ivoire sont non seulement inexploitées mais mieux elles n´appartiennent à personne. Et pourtant, la terre comme tout bien doit avoir un propriétaire ou un locataire. C’est régulièrement que les ivoiriens se battent pour la terre, à l’Ouest comme au Sud du pays. Une bonne réforme foncière est nécessaire en Côte d’Ivoire, pour mettre fin à l’expropriation des terres de nos parents. Mais en attendant, les Ivoiriens doivent refuser de vendre la terre aux étrangers car c’est une façon savante de recoloniser nos terres et notre pays. C’est le seul sauf-conduit pour éviter l’envahissement du pays.
Retour sur les raisons des tensions concernant le foncier en Côte d’Ivoire
Les Ivoiriens affrontent régulièrement la colère de certains Burkinabé au sujet de la terre. Il faudra expliquer cette situation à partir de l’histoire de notre pays. En 1932, quand sous la colonisation française, une bonne partie de la Haute Volta, actuel Burkina Faso, est rattachée à la Côte d’Ivoire et devient la Haute Côte d’Ivoire, des milliers de manœuvres originaires du Burkina-Faso sont convoyés en Côte d’Ivoire pour les travaux de construction des ports, du chemin de fer Abidjan-Niger et pour l’exploitation des champs de café/Cacao. Malgré la reconstitution de la Haute Volta en 1947, de millions de Burkinabè vont se retrouver, par le fait de l’histoire et pour des raisons économiques en Côte d’Ivoire. L’hospitalité des Ivoiriens aidant, ils vont acquérir des terres avec une aisance déconcertante. A cette époque, la propriété foncière n’était pas un sujet débattue surtout avec l’affirmation d’Houphouët, selon laquelle, « la terre appartient à celui qui la met en valeur ». En outre, les déplacements des nationaux vers les zones forestières du pays ont fini par créer une tension très forte sur le marché de la terre en Côte d’Ivoire. Dès lors, les conflits récurrents vont opposer, d’un côté les Ivoiriens aux Burkinabè et de l’autre, les Ivoiriens entre eux.
Les tentatives de résolution des conflits
La seule tentative de règlement des problèmes fonciers de façon juridique, reste la loi de 1998.En résumé, cette loi dit ceci : en revenant sur le droit du premier occupant du sol, la loi du 23 décembre 1998 à son article 1 impose une immatriculation de la propriété dans une première phase : « Article 1 : Le Domaine Foncier Rural est constitué par l’ensemble des terres mises en valeur ou non et quelle que soit la nature de mise en valeur. Il constitue un patrimoine national auquel toute personne physique ou morale peut accéder. Toutefois, seuls l’État, les collectivités publiques et les personnes physiques ivoiriennes sont admis à en être propriétaires. »
Dans la seconde, elle impose un certificat foncier qui est lié à la notion de la nationalité. C’est dire qu’à partir de cette loi, aucun non ivoirien ne peut être propriétaire terrien. Tous ceux qui, par des arrangements coutumiers ont acquis une parcelle de terre dans le passé, se verront dépouiller de leur bien au bénéfice de l’État, s’ils n’apportent pas la preuve de leur nationalité :
Article 6 :« Les terres qui n’ont pas de maître appartiennent à l’État et sont gérées suivant les dispositions de l’article 21 ci-après. Ces terres sont immatriculées, aux frais du locataire ou de l’acheteur ». Finalement à ces étrangers, leur droit de propriété se transformera en un contrat emphytéotique conformément à l’article 26.
Non seulement cette loi n’a pas été appliquée mais elle a autorisé le Président actuel à distribuer la nationalité ivoirienne. En effet, la modification de certains articles du code de la nationalité et le vote du texte qui donne deux ans aux personnes nées de parents étrangers et âgées de 21 ans à la date du 20 décembre 1961, à celles qui ont résidé sur le territoire ivoirien avant l’indépendance acquise en 1960 et leurs enfants nés en Côte d’Ivoire et à celles qui sont nées par la suite sur le territoire ivoirien entre le 20 décembre 1961 et le 25 janvier 1973, qui sont donc des Ivoiriens sans le savoir, pour régulariser leur situation. Pour le Président Ouattara, l’association de la nationalité à la possession foncière avait carabiné plus le problème foncier. Ne pouvant rien, sa seule solution était de distribuer la nationalité ivoirienne. Les députés ivoiriens ont voté deux lois qui soulagent les burkinabè. Sur la nationalité et le foncier ce sont en majorité des burkinabè, émigrés dans ce pays bien avant les indépendances qui sont visés. Le nombre de bénéficiaires directs de cette loi n’est pas encore bien connu, mais ils pourraient être pour l’essentiel des burkinabè. Cette nouvelle loi permet aux personnes concernées de bénéficier de la nationalité ivoirienne « par déclaration » en lieu et place de la procédure de naturalisation qui était jusqu’ici en vigueur.
Les dangers qui guettent la Côte d’Ivoire
Plus un pays émerge économiquement plus le secteur primaire, l’agriculture, perd de l’importance dans l’offre d’emplois. On peut imaginer que dans deux décennies, le nombre d’ivoiriens que l’agriculture occupe directement chute drastiquement. L’agriculture restera sans doute longtemps encore le secteur porteur de la croissance, mais dans la chaine de valeurs, ce sera plus rentable de posséder une usine qui transforme plutôt que des hectares de terre. Il faut se garder de vendre la terre aux étrangers car les multinationales vont finir par « acheter » notre pays. Un tel accaparement des terres devient de plus en plus fréquent dans le monde, alors que les multinationales cherchent à s’établir sur des terres étrangères et à exploiter les ressources qui s’y trouvent pour accroître leurs opportunités d’exportation.
En Côte d’Ivoire, le groupe Louis-Dreyfus, qui contrôle plus 60% de l’importation de riz – avec ses partenaires locaux Soukpafolo Koné (proche d’Amadou Gon Coulibaly) et Carré d’Or– veut visiblement mettre la main à moyen terme sur toute la chaîne de valeur rizicole ivoirienne, de la production à la distribution.
Au-delà des enjeux alimentaires et économiques, se pose la question de l’agriculture locale, de la souveraineté alimentaire et de l’avenir des paysans. Car ces accaparements poussent à une agriculture intensive et industrielle qui laisse de côté bon nombre de « petits » paysans. Ils remettent sur le devant de la scène la question foncière et celle de l’accès à la terre et impose, parfois de facto, une réforme agraire qui favorise les investissements privés étrangers. Le phénomène d’accaparement des terres entraîne des conséquences négatives qui menacent la vie des communautés, en particulier le déplacement des populations, l’aggravation de la pauvreté et de la faim, l’augmentation des conflits, la perte des droits fonciers et des moyens de subsistance, la suppression pour les communautés et les paysans l’accès à la terre pour une production locale de produits de base. Et pourtant ce sont eux qui peuvent mettre en place des systèmes alimentaires pour nourrir les populations.
La nécessité de trouver un remède au problème foncier
Aujourd’hui, en Côte d’Ivoire, seulement 11% des terres sont cadastrés. Selon les autorités actuelles, la sécurisation complète des terres ivoiriennes, dans le cadre de la délimitation des territoires villageois et la délivrance de certificats fonciers sur l’ensemble du pays, nécessite un financement de plus de 330 milliards de FCFA. Ce montant estimatif porte sur la délimitation globalement de 11.000 sites habités et la sécurisation des 23 millions d’hectares environ en Côte d’Ivoire. Le gouvernement n’a pas trouvé les ressources nécessaires pour sécuriser nos terres. Les Ivoiriens doivent donc arrêter la vente des terres aux étrangers en attendant qu’une solution soit trouvée. La vente des terres aux étrangers constitue pour la Côte d’Ivoire, une future arme de destruction massive des Ivoiriens.
La terre, le travail et l’argent ne sont d’ailleurs pas des marchandises comme les autres. Il ne faut pas les traiter comme s’ils s’agissaient de marchandises réelles. À la différence de celles-ci, ceux-là ne sont pas originellement produits pour être vendus, bien qu’ils puissent se voir conférer un prix. Comment la nature, les personnes et les relations sociales pourraient être, en effet, pleinement soumis aux exigences du marché, sans être altérées, voire détruites ? Permettre au mécanisme de marché d’organiser le travail, la terre, et l’argent comme des marchandises authentiques aboutirait à déshumaniser les relations sociales et compromettre l’environnement, c’est-à-dire à anéantir l’idée d’humanité, voire peut-être son existence même. En ce sens, le travail, la terre, et l’argent sont des « marchandises fictives » parce qu’elles sont uniquement traitées comme si elles étaient produites pour la vente sur le marché, mais elles ne le sont pas. Le travail, par exemple, n’est rien d’autre que ces êtres humains eux-mêmes dont chaque société est faite, et la terre, que le milieu naturel dans lequel chaque société existe. Les inclure dans le mécanisme du marché, nous dit l’auteur, c’est subordonner aux lois du marché la substance de la société elle-même.
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