Chinafrique: un partenariat gagnant-gagnant ?

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Louis-Marie Kakdeu publié en collaboration avec Libre Afrique

Depuis 2010, la Chine est devenue le premier partenaire économique de l’Afrique. Sa part de marché à l’exportation est passée de 3% en 2000 à 12% en 2010, alors que celle de la France par exemple a chuté sur la même période de 16% à 9%. La question reste de savoir à qui profite le commerce international en Afrique. Pourquoi une certaine préférence pour la Chine ?

La revanche contre le colonisateur occidental

L’Afrique a beaucoup souffert de la (dé)colonisation occidentale et des plans d’ajustements structurels. Hasard de l’histoire, la Chine n’a jamais été bourreau de l’Afrique. Au contraire, les deux partenaires partagent la solidarité des anciens colonisés comme l’a souligné le président chinois, Hu Jintao, le 19 juillet à Pékin lors de l’ouverture du 4e Forum Chine-Afrique. À ce sujet, le Président Camerounais Paul Biya disait : « On coopère comme avec la France mais, la Chine n’enlève rien à personne ». Et Abdoulaye Wade du Sénégal rajoutait que les Chinois sont plus pragmatiques que les bureaucrates occidentaux. Par exemple, la Chine finance l’Afrique avec des conditionnalités réduites différentes des conditionnalités moralisatrices de l’Occident jugées humiliantes. Et pour se prémunir de l’accusation de surendetter l’Afrique, elle pratique la « diplomatie du yuan » (des milliards de yuans disponibles pour financer n’importe quel projet en Afrique) et l’annulation des dettes. En 2007, elle avait annulé dans 31 pays, 1,38 milliard de dollars de dettes. Cette nouveauté offre aux Africains mieux qu’une alternative, une revanche sur l’ancien colonisateur.

Plus important, avec la coopération chinoise, les Africains jadis désespérés voient sortir de terre de façon impressionnante des cités entières, des ports, des autoroutes, des échangeurs, des ponts, des hôpitaux, etc., qui leur rappellent leur droit au développement. Par conséquent, ils ne s’intéressent que très peu à l’usage impérial que la Chine pourrait en faire. Mieux, la construction sur place des industries de transformation tant désirée s’annonce déjà en Ethiopie (chaussure, automobile, etc.). Aussi, l’amélioration du pouvoir d’achat sur des produits de premières nécessités anciennement très chers sous fabrication occidentale est appréciée.

Une fausse non-ingérence chinoise ?

Le modèle chinois ne mise pas sur des intérêts immédiats. C’est une bombe à retardement programmée pour exploser plus tard. Par exemple, la supposée non-ingérence de la Chine dans les affaires politiques africaines est un mirage. Comme la France, la Chine a aussi peur de l’alternance politique et suit ce que lui dictent ses intérêts. En Zambie lors des élections en 2006, l’ambassadeur chinois Li Baodong avait menacé de retirer tous les capitaux chinois du pays si le candidat Michael Sata en sortait vainqueur. Au Soudan, la Chine a fourni des armes et un soutien diplomatique au régime isolé d’Omar Al-Bachir en vue de protéger les investissements colossaux de la China National Petroleum Corporation (CNPC). Pire, elle se retrouve aussi en train d’entretenir la gestion patrimoniale de l’élite prédatrice. Par exemple, à travers de grandes manœuvres diplomatiques, elle accompagne en Angola la gestion rentière de la Sociedade Nacional de Pétróleos (Sonangol). À défaut de profiter au peuple, les pétrodollars chinois servent aussi à financer la guerre comme au Soudan où la rente pétrolière a servi à subjuguer le Darfour. Pire, la Chine signe aussi avec certains pays des accords militaires occultes avec l’intention d’établir des bases militaires (Tchad, Cameroun, Mali, îles Seychelles) dont l’usage pourrait bien déraper.

Comme l’Occident, la Chine cherche un débouché pour ses citoyens et ses entreprises. En aidant l’Afrique, la Chine s’aide elle-même. Depuis 1993, elle ne couvre plus qu’un quart de sa consommation en ressources pétrolières. Les importations ont atteint 330 % passant de 1,5 million de barils par jour en 2000 à 5 millions en 2010 et, selon les prévisions, à 11,6 millions de barils par jour en 2035. Par ailleurs, l’État chinois se déploie pour obtenir des participations dans les sociétés locales au profit de ses banques et sociétés d’État qui étaient 820 en 2005. Par exemple, l’octroi d’un prêt avantageux (1,5% sur dix-sept ans) de 2 milliards de dollars en 2004 au gouvernement angolais par Eximbank a permis d’obtenir une large part du marché national de la construction et l’acquisition de la moitié d’un forage offshore par la China Petrochemical Corporation (Sinopec). Pire, la Chine importe 30-50% de sa main d’œuvre au grand dam de la main d’œuvre locale. Elle ne finance que les pays riches en ressources naturelles et snobe des pays comme le Rwanda, le Togo, le Bénin. D’ailleurs, son soutien au Soudan a suivi le pétrole au Soudan du Sud après la scission du pays. L’essentiel des pays africains (30 en 2005) affichent toujours une balance commerciale déficitaire.

Les Chinois ne respectent pas toujours le droit du travail comme en Namibie (sécurité sociale, horaires du travail, fiscalité, etc.). On note aussi le non-respect du droit de propriété. À la recherche des terres arables pour son agriculture, la Chine participe avec sa compagnie ZIE International par exemple au «hold-up » de l’Afrique qui abrite 60% des terres non cultivées au monde. La situation était si grave qu’en 2006, le Conseil d’État chinois avait été convoqué pour standardiser le comportement des firmes chinoises opérant à l’étranger. Mais, rien n’est encore fait pour le respect de l’environnement. Comme avec l’Occident, l’Afrique est aussi la poubelle des industries chinoises. Pire, la Chine fait une exploitation illimitée des ressources naturelles en violation des exigences de durabilité comme au Mozambique où elle détruit massivement la forêt tropicale du Zambèze à un rythme insoutenable.

En conclusion, nous disons qu’en voulant fuir la pluie, les Africains n’évitent pas l’eau car, la Chine abuse de la position de faiblesse de l’Afrique mis à genoux par les conditionnalités occidentales pour obtenir des conditions un peu plus avantageuses. Par conséquent, l’Afrique doit se ressaisir et organiser son propre leadership en tirant les leçons du passé.

Louis-Marie Kakdeu, PhD&MPA

Article publié en collaboration avec Libre Afrique

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