Billet d’humeur n°26 d’André Silver Konan : « Ô justice ivoirienne, pourquoi refuses-tu de prendre ton pouvoir et de l’exercer ?
N’ayons pas peur des mots. Les verdicts spectaculaires dans l’affaire Simone Gbagbo et co-accusés, ont un seul mérite : creuser davantage la méfiance du justiciable, envers une justice qui refuse étonnamment de prendre son pouvoir.
Petite piqûre de rappel. Nous sommes en 2001 : des gendarmes du camp d’Abobo bénéficient d’un « délit non constitué », dans l’affaire dite du charnier de Yopougon. 14 ans plus tard, des politiques sont condamnés à des peines disproportionnées et discriminées, dans une autre affaire de sang.
Deux affaires éminemment politiques, deux mandats idéologiques différents, mais une similitude frappante. En effet, hier des soldats ont été blanchis, au terme d’un procès chaotique, alors que tous les témoignages et toutes les preuves les accusaient. Aujourd’hui, des politiques (notez que je ne parle pas des miliciens, dont certains ont été confondus par des témoins) ont été condamnés, au terme d’un procès médiatique, alors qu’aucun témoignage crédible, ni preuve irréfutable, ne les accusaient.
Hier comme aujourd’hui, ce n’est pas parce que la justice n’a pas assumé son rôle lumineux de faire triompher l’implacable vérité (cette vérité absolue qui libère le cœur des victimes et contraint les bourreaux à demander pardon) à travers des enquêtes sérieuses, des témoignages précis, des preuves incontestées ; que les personnes blanchies dans l’affaire du charnier de Yopougon, ou condamnées dans l’affaire Simone Gbagbo et co-accusés ; n’ont rien à se reprocher dans les crimes odieux d’octobre 2000 et de 2010-2011. Non. Mais il appartenait à la justice de prouver leur culpabilité et dans les deux affaires, elle a carrément refusé de le faire, je pèse mes mots.
Ma question-cri du cœur s’adresse à cette justice, ministère public y compris, qui ne nous fait pas du tout rêver : ô justice ivoirienne, toi qui es vilipendée, décriée, honnie. Toi en qui le justiciable place une confiance mesurée et on le comprend. Toi qui délibères souvent, sur la base de l’intime conviction, en fermant impunément les yeux sur l’inexistence criarde de preuves accablantes, du fait d’enquêteurs peu outillés ou en mal de volonté ; toi qui sais pertinemment que le sentiment d’injustice ne peut qu’accoucher des envies de rébellion et de vengeance. Toi qui fais une gloire de la loi, et qui déshonores la si divine justice, par la transgression de tes propres procédures.
Ô justice, dis-je, pourquoi refuses-tu, depuis le retour au multipartisme dans notre pays, qui a vu les journalistes prendre leur pouvoir à eux (le quatrième, dit-on) de prendre ton (troisième) pouvoir, de l’assumer et de l’exercer ? Pourquoi ?
André Silver Konan
Journaliste-écrivain
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