Raymond Koudou Kessié & Kokora Dago Pascal conseille à Affi de quitter la présidence du FPI au nom de la légalité et de la légitimité dont il se réclame à tort
«Il n y a pas de politique sans affirmation d’un pouvoir, qu’il soit ou non individualisé, et, en même temps, il n y a pas davantage de politique, de la manière la plus complète possible, si, le citoyen, cest-à-dire la figure la plus essentielle de la démocratie, ne peut faire usage de sa liberté. » Josiane Boulad-Ayoub (2006).
INTRODUCTION
Le Président sortant du FPI, M. Pascal Affi N’Guessan vient de s’illustrer, une fois de plus par des propos rétrogrades à propos de sa présence à la tête du FPI, comme s’il s’agissait dun patrimoine à lui légué par le camarade Laurent GBAGBO. C’est ahurissant de l’entendre dire :
« Je suis là. Je tiens la direction du parti. Je ne lâcherai pas. GBAGBO Laurent m’a confié le FPI. Et il viendra me trouver à la tête du parti. Après, on pourra parler d’autre chose. »
Ces propos ne peuvent pas être ceux de dirigeant d’un parti politique de gauche comme le FPI. Ils ne sont cependant pas surprenants pour qui suit M. Affi N’guessan, singulièrement depuis sa sortie de la prison de Bouna. Pour M. Affi N’guessan les lois du parti (Statuts et Règlements Intérieurs) ne comptent que par rapport à son droit d’affirmer et d’exercer le pouvoir de Président du FPI. Le droit des militants d’affirmer leurs positions ne compte pas, car ayant reçu le parti en héritage de Laurent GBAGBO, ce patrimoine-là, il ne peut le rendre qu’à Laurent GBAGBO, le seul devant qui il est responsable.
Nous voudrions dans ce texte rappeler, en nous plaçant du point de vue de la Philosophie politique et de la Sociologie du droit, l’importance et la compréhension qu’il convient d’avoir des concepts de légalité et de légitimité et les conséquences que les militants doivent en tirer lorsque l’un des termes du couple droit et devoir qui fonde le pouvoir politique est hypertrophié au détriment de l’autre.
LA LÉGITIMITÉ ET LA LÉGALITÉ DU POUVOIR POLITIQUE
La légalité et la légitimité sont deux pôles correspondants de la vie politique. Lorsque l’on parle de l’exercice du pouvoir par le premier responsable d’un parti politique, il nous faut avoir constamment à l’esprit les deux termes de droit et de devoir qui fondent la relation entre le mandant et son mandataire. C’est en ce sens, que nous sommes d’accord avec Josiane Boulad-Ayoub (Légitimité, légalité et vie politique, in Souverainetés en crise, pp.71-80, coll. Mercure, L’Harmattan, Québec, 2003), lorsqu’elle aborde la question de la légalité et de la légitimité du pouvoir politique en ces termes :
« Que le pouvoir soit légitime, c’est l’intérêt du souverain [on préférera le terme de président]. Que le pouvoir soit légal, c’est l’intérêt du sujet [on préfèrera le terme de citoyen ou de militant]. Quant au souverain [Président], la légitimité est ce qui fonde son droit, la légalité, ce qui fonde son devoir. Quand au sujet [citoyen ou militant] au contraire, la légitimité du pouvoir est le fondement de son devoir d’obéissance, la légalité du pouvoir est la garantie principale de son droit de ne pas être opprimé. » C’est nous qui ajoutons le [ ].
Le responsable politique reçoit le droit d’agir en qualité de Président par son élection qui se fait conformément à la loi du parti, c’est-à-dire ses Statuts et Règlements Intérieurs. Il tire sa légitimité de cette élection encadrée par les textes du parti.
Que devient donc la légitimité du responsable politique qui n’invoque sa légitimité que pour justifier ses propres droits mais ignore ses devoirs ? Certains responsables politiques revendiquent souvent de manière compulsive leur pouvoir et l’affirmation de celui-ci, mais sont oublieux de sa contrepartie, leurs devoirs. Ils oublient surtout que leur droit de diriger un parti et ses militants doit aller de pair avec leurs devoirs ou obligations vis-à-vis de ceux par qui et grâce à qui ils ont le droit et le privilège d’exercer ce pouvoir ; lesdits droits et devoirs étant encadrés par les textes du parti dont le respect s’impose tout autant au Président qu’aux militants.
Pour le premier responsable du parti, être attentif au droit de ses mandants (le droit de faire usage de leur liberté, celui de faire connaître leurs points de vue et d’influer sur les décisions de pouvoir du premier responsable) est tout aussi important que l’affirmation et l’exercice de son pouvoir politique.
Le responsable politique qui tourne le dos aux textes de son parti et à ses devoirs vis-à-vis des militants peut-il encore se prévaloir de sa légitimité et de sa légalité ?
LE PRÉSIDENT DU PARTI QUI NE RESPECTE PAS LE DROIT DES MILITANTS ET LES TEXTES DE SON PARTI PERD DE CE FAIT SA LÉGITIMITÉ ET SA LÉGALITÉ
Une décision de justice vient de dénier au FPI le droit d’organiser son congrès à la demande expresse de M. Affi N’guessan. Une autre vient d’invalider la candidature du Président GBAGBO et d’imposer la candidature unique de M. Affi. Et, M. Affi N’guessan rêve de nous voir faire de ces décisions de justice « la base d’un consensus pour aller à un congrès avec sa seule candidature » ?
Pendant que lui piétine les textes du parti, il nous enjoint de faire le consensus autour des décisions de justice iniques et à l’antipode de la souveraineté du parti. Non ! Il est venu le temps de dire non à M. Affi. Mais, en même temps, il est venu le temps de dire non à ces décisions de la justice des vainqueurs qui violent le droit de notre parti de s’organiser et de choisir librement ses dirigeants.
Dans la situation où le pouvoir du Président du parti finit par échapper au contrôle de la base et au moment où la justice des vainqueurs du régime Ouattara lui est acquise pour réprimer, jeter en prison les militants de son propre parti, les militants n’ont pas d’autre choix que celui de faire usage de leur droit de dire fermement non.
Les militants doivent faire valoir leur droit de désobéissance civique ou civile ( David Henry Thoreau : la désobéissance civile, essai publié en 1849), de révolte ou même de mettre fin au pouvoir illégitime et illégal du potentat quest devenu M. Affi NGuessan ; et en même temps leur droit de dire non à des décisions iniques de justice qui nous ramènent à lère du parti unique.
L’histoire nous fournit des exemples marquants de désobéissance civique ou de résistance à l’injustice. Par exemple, dans la mythologie grecque, la légende d’Antigone nous rappelle que l’on peut désobéir à une loi injuste (c’est-à-dire refuser de s’enfermer dans le légalisme, refuser de se confiner, se cantonner à la lettre de la loi) aux fins de se conformer à l’équité par laquelle la légitimité prend le dessus sur la légalité stricto sensu. Lorsqu’Antigone défie le droit (le décret du Roi Créon) en enterrant son frère Polynice au nom de la justice (le devoir fraternel d’enterrer un frère), elle pose un acte illégal mais qui est tout de même légitime. Dans la tragédie grecque, Antigone affronte Créon sur la question de la moralité de la loi de Créon de refuser la sépulture à Polynice contre la moralité de l’action d’Antigone d’enterrer Polynice, son frère.
Un autre cas de dissidence mais sur un autre registre est celui de Socrate. A la différence d’Antigone, Socrate, n’est pas celui qui désobéit aux lois injustes, mais celui qui accepte la sanction injuste pour mieux montrer l’injustice qui le frappe.
A l’époque de la Renaissance, un jeune écrivain français, Etienne de La Boétie (Discours de la servitude volontaire, 1548) va apporter une contribution décisive à la notion de non collaboration avec l’injustice en montrant que c’est le peuple lui-même qui est responsable de sa propre oppression par sa démission ou son inaction. Le tyran tient son pouvoir et sa force de l’obéissance servile de ses sujets.
La tyrannie, elle existe certes parce qu’il y a un tyran, mais elle n’est possible que si le peuple est soumis. Et si le peuple ne fait rien pour refuser cette servitude, c’est qu’il l’accepte, d’où l’expression surprenante de « servitude volontaire » Alain Refalo (Les sources de la désobéissance civile, Lyon, 17-18 mars 2006).
Plus près de nous, nous avons dans les annales de l’histoire de l’école libre en France, la manifestation gigantesque du 24 juin 1984 qui enterre purement et simplement le projet de la loi Savary et partant provoque la chute du gouvernement du Premier ministre Pierre Mauroy, le 17 juillet 1984. Savary et Mauroy démissionnent. François Mitterrand renvoie aux calendes grecques la réforme constitutionnelle annoncée au début de la crise sur l’école libre en France.
Choisir d’être Antigone ou Socrate ? Voilà la question qui se pose donc aujourd’hui aux militants du Front Populaire Ivoirien.
Lorsque le Président sortant du FPI, M. Affi invoque sa légitimité en référence à son élection et au seul regard des droits que lui confèrent les Statuts et Règlements Intérieurs du parti, il oublie que le mandat qui lui été confié par le peuple du FPI au congrès de juillet 2001, ce, depuis plus de 14 ans, est un mandat qui appartient aux militants et celui-ci, limité dans le temps, est encadré par les textes du parti. Il oublie surtout, que toutes les autres clauses des Statuts du parti relatives à ses devoirs et à la notion de sanction de ses actes de gestion par la base méritent d’être prises en compte. Alors, de quelle légitimité se réclame-t-il ?
Pour rappel, Max Weber (Économie et Société, 1, Paris, Plon, 1971. Publication originale, posthume, 1921) a distingué trois types de légitimité : la légitimité charismatique qui est le fait des dictatures, la légitimité traditionnelle qui a cours dans la féodalité et la légitimité rationnelle qui est fondée sur le droit et où l’autorité est donnée au nom d’une règle impersonnelle si bien que la source du pouvoir est le droit lui-même ; elle a cours dans les sociétés modernes et organisations démocratiques.
La légitimité rationnelle qui est donc la caractéristique de toutes les organisations démocratiques est étrangère à la gestion du pouvoir du Président sortant du FPI. M. Affi, qui ne respecte pas les règles établies par les Statuts et Règlements Intérieurs du parti, qui ne respecte pas les décisions majoritaires des organes au-dessus de lui comme la Convention et le Comité central et qui na pas de respect pour les militants, ne peut se classer que dans la légitimité de type dictatorial et/ou de type féodal. Or, ces deux types de légitimité ont fait leur temps. Elles sont dépassées.
Nous avons démontré en effet, à plusieurs occasions, que le Président sortant du FPI, M. Affi, qui est devenu minoritaire, ne procède que par des passages en force au mépris des textes et des militants. Nous avons également montré que c’est à tort qu’il se prévaut de sa légitimité et de sa légalité. Sinon pourquoi fait-il usage artificiellement de nombreux blocages, dont entre autres : le refus de la candidature du Président GBAGBO au prix de multiples artifices ; l’interdiction du congrès par la justice suite à sa saisine par lui; la plainte en justice contre le Comité de Contrôle du parti ; la fermeture unilatérale du QG de Laurent GBAGBO servant provisoirement de siège au parti ; la remise toujours à demain des sessions du Comité central, etc.
Il est même possible qu’il ait donné un accord de façade pour la tenue d’une session du Comité Central à la date du 7 mars 2015, pour gagner du temps et qu’il fasse aussitôt après du dilatoire pour que cette instance soit toujours repoussée pour divers motifs. Les violences utilisées contre l’Assemblée Générale extraordinaire de la JFPI qui a suspendu Konaté Navigué de ses fonctions constituent un scénario qu’il faudra prévoir et conjurer.
Pendant combien de temps, le Président sortant du FPI, M. Affi fuira-t-il le débat démocratique au sein des organes statutaires ? S’il est si sûr de son fait, il devrait accepter sans sourciller d’aller vers sa ré-légitimation par les organes statutaires, dont notamment le Comité central et le congrès.
CONCLUSION
Instrument de lutte, le FPI doit-il demeurer aux mains de celui qui a ruiné sa cohésion, sa crédibilité et sa combativité ; celui qui met entre parenthèse sa ligne souverainiste et le dénature ?
Serait-ce si illégal pour la ligne souverainiste, qui a la majorité des militants avec elle et à qui est fermée toute possibilité de faire connaître cette position majoritaire, de s’imposer au Président sortant du parti, M. Affi en lui signifiant par tout moyen à sa disposition qu’il n’est plus président du parti ?
Pendant combien de temps M. Affi pourra-t-il encore diriger le FPI contre la volonté de l’écrasante majorité de ses militants de base et de ses structures statutaires ?
* Affi doit partir car la majorité des militants ne lui fait plus confiance et ne veut plus de lui à la tête du FPI.
* Affi doit partir de la tête du FPI au nom de la légalité et de la légitimité perdues et cela, dans l’intérêt même du FPI si celui-ci veut inspirer encore confiance au peuple ivoirien et reprendre démocratiquement le pouvoir qui lui a été volé par la France de Sarkozy au profit de M. Ouattara.
* Affi doit partir car le FPI na pas vocation à composer ou à accompagner un pouvoir usurpé, un pouvoir de rattrapage ethnique et dictatorial comme celui d’Alassane Dramane Ouattara.
L’instrument de lutte qu’est le FPI doit-être placé démocratiquement ici et maintenant entre des mains plus rassurantes, en l’occurrence celles de son fondateur, le Président Laurent GBAGBO, symbole vivant de la lutte pour la démocratie, la souveraineté de la Côte d’Ivoire et pour engager enfin les batailles démocratiques qui s’imposent au parti pour la reconquête du pouvoir d’État et des libertés publiques confisquées.
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