Extrait de l’Interview accordée récemment par madame Bensouda à Christophe Boisbouvier de Jeune-Afrique. Ce passe de l’interview concerne la Côte-d’Ivoire.
En Côte d’Ivoire, le cas le plus emblématique est celui de l’ancien président, Laurent Gbagbo. Vous n’avez obtenu la confirmation des charges qu’à l’arraché. Le dossier d’accusation n’est-il pas très fragile ?
Les juges voulaient plus d’informations. Nous avons été en mesure de les leur apporter ; nous n’avions pas pensé qu’il était nécessaire de donner toutes les preuves que nous avions à ce stade de la procédure. Depuis, les charges ont été confirmées et je ne crois pas que cet épisode ait fragilisé notre dossier.
Depuis deux mois, Laurent Gbagbo revient en politique, puisqu’il se présente à la présidence de son parti. Cela peut-il aggraver son cas à vos yeux ?
La CPI est une institution judiciaire qui n’est pas concernée par ces questions politiques.
Autre cas emblématique, celui de Simone Gbagbo. Beaucoup disent que le régime d’Alassane Ouattara ne veut pas la transférer à La Haye afin de ne pas être obligé de livrer plusieurs de ses propres partisans…
J’ai toujours dit que nous allions enquêter sur toutes les parties concernées. Cela prend du temps, mais nous allons aussi enquêter dans le camp du président Ouattara.
Avez-vous déjà identifié des suspects ?
Ce n’est pas comme cela que nous fonctionnons. Nous commençons par enquêter sur des crimes, puis nous identifions les personnes qui en sont responsables.
Avez-vous déjà lancé des mandats d’arrêt contre des personnes proches d’Alassane Ouattara ?
L’enquête est en cours. Mais je peux vous garantir que personne ne sera épargné. En cette année 2015, il faut s’attendre à ce que nous intensifions notre enquête sur les crimes commis dans le camp Ouattara – c’est tout ce que je peux vous dire pour l’instant.
Dans le procès qui vient de s’ouvrir à Abidjan, Simone Gbagbo est poursuivie pour atteinte à la sûreté de l’État, pas pour crimes de sang. Craignez-vous que, si elle n’est pas livrée à la CPI, la justice ivoirienne passe l’éponge sur les crimes commis notamment par les escadrons de la mort ?
Inutile de spéculer sur cette question. En octobre 2013, les autorités ivoiriennes ont contesté la recevabilité de l’affaire Simone Gbagbo devant la CPI, au motif qu’elle était poursuivie par la justice de son pays pour les mêmes faits. Mais, le 11 décembre 2014, les juges de la CPI ont rejeté le recours de la Côte d’Ivoire et demandé qu’elle livre sans délai le suspect. Moins d’une semaine plus tard, Abidjan a fait appel, et la question est maintenant devant la chambre d’appel de la CPI.
Ma mission, c’est d’appliquer la loi en toute indépendance et avec impartialité.
Dans cette affaire, n’avez-vous pas l’impression d’être instrumentalisée par la classe politique ivoirienne ?
Ma mission, c’est d’appliquer la loi en toute indépendance et avec impartialité, et c’est ce que je vais faire. Bien sûr, les commentateurs politiques vont continuer de parler et d’écrire, mais j’applique mon mandat et je ne tiens surtout pas compte des considérations politiques.
À Kinshasa comme à Abidjan, nombreux sont ceux qui pensent que, si Jean-Pierre Bemba et Laurent Gbagbo sont aujourd’hui à La Haye, c’est parce que les pouvoirs congolais et ivoiriens ont voulu s’en débarrasser…
Dans les deux cas, nous avons mené nos enquêtes de façon indépendante et en toute impartialité. Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, et c’est avec la plus grande fermeté que je démens l’affirmation selon laquelle MM. Bemba et Gbagbo seraient devant les juges pour des raisons politiques.
Propos recueillis par Christophe Boisbouvier
Jeune-Afrique
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