Côte-d’Ivoire Bazoumana Sylla 52 ans, ex rebelle à ses amis ex-combattants “Déposez les armes”

[Photo : Bazoumana Sylla lors de son témoignage. Crédit : Maxence Peniguet/Ivoire Justice]
[Photo : Bazoumana Sylla lors de son témoignage. Crédit : Maxence Peniguet/Ivoire Justice]
Par Ivoire Justice

Bazoumana Sylla, 52 ans aujourd’hui, se souvient de 2002 et de son choix d’avoir rejoint la rébellion à Bouaké. Un choix qu’il a fait malgré lui, mais un choix qu’il assume tout de même. Il témoigne.

Propos recueillis et traduits du dioula par Daouda Coulibaly

Le 19 septembre 2002, j’étais en route pour le travail lorsque j’ai entendu des coups de fusil. J’étais encore vigile dans une entreprise étatique, le CNRA [Centre national de recherche agronomique, NDLR]. Ne voulant pas perdre mon travail, j’ai affronté les balles pour être à mon poste ce jour-là.

Lorsque je suis arrivé, je me suis rendu compte que j’étais le seul sur le site. Quelques heures plus tard, j’ai vu une horde de personnes en armes faire irruption au sein du CNRA. Ils m’ont demandé les clés des véhicules de services. Je leur ai répondu que moi, je n’étais qu’un simple vigile et que je n’avais pas les clés des voitures. Le plus jeune du groupe est sorti de nulle part et m’a giflé et roué de coups avec sa crosse de kalachnikov. Je suis rentré chez moi battu et humilié.

Là-bas, n’ayant pas fait de provisions, ma famille avait faim.

J’ai donc décidé de rejoindre la rébellion. Dans un premier temps, pour trouver à manger pour ma famille et, dans un second temps, pour ne plus avoir à vivre la même humiliation.

En première ligne

C’est ainsi que je suis allé voir mon oncle sapeur-pompier et chef des dozos de Bouaké pour intégrer la rébellion. Il m’a demandé, « tu peux tenir ? »

Je lui ai répondu, «si toi, tu es dedans et que tu vis, moi, je peux tenir.»

Ils ont sorti les fusils. Ils nous ont montré et expliqué comment on monte et démonte un fusil d’assaut. Et comment on tire.

Au bout de deux heures de formation accélérée, nous avons été envoyés en première ligne à Tiébissou, puis à N’Gattadolikro, où nous avons combattu contre les forces loyalistes de Laurent Gbagbo. J’ai perdu beaucoup d’amis.

Il est mort dans mes bras

De Bouaké à Man, j’ai participé à tous les combats.

Chaque fois qu’on nous disait d’aller combattre, on nous disait qu’on allait nous aider à sortir de la galère. Motivé par tout ça, j’ai fait combat sur combat. C’est comme ça que je me suis retrouvé à Man avec le Mouvement populaire ivoirien du Grand Ouest (MPIGO).

Le combat de l’ouest n’a pas été facile. Un jour, nous avons été attaqués par les Libériens. Pendant que ces derniers nous attaquaient, les Mi-24 nous bombardaient depuis les airs. Dans cette guerre, nous étions livrés à nous-mêmes. Beaucoup sont morts, beaucoup ont été faits prisonniers. Mon ami intime a perdu la vie dans cette guerre-là. Il est mort dans mes bras.

Prendre mes distances avec la rébellion

Je me suis débrouillé pour rentrer à Bouaké. Lorsque l’Autorité pour le désarmement, la démobilisation et la réintégration (ADDR) a été mise en place, j’ai décidé d’aller déposer mon arme. J’ai déposé mon arme, des cartouches de kalachnikov ainsi que des grenades.

À la suite de cela, l’ADDR m’a remis la somme de quarante mille francs CFA.

Avec du recul, je me rends compte que je n’ai rien eu de cette guerre. Je ne sais ni lire ni écrire. Je ne peux donc être rien dans cette histoire. Le mieux pour moi, c’est de prendre mes distances avec la rébellion. Je n’ai pas envie de mourir pour rien et laisser mes enfants orphelins.

J’en appelle au bon sens de mes amis ex-combattants

Mais cela ne veut pas dire que je regrette d’avoir combattu dans cette crise ivoirienne. Le combat que j’ai mené, c’est un combat d’identité et c’est un combat de survie. En un mot, c’est le combat de la survie de mon peuple que j’ai mené. Nos parents dioulas souffraient terriblement à cause de leurs noms.

Aujourd’hui, j’ai repris mon travail de vigile. C’est vrai que la situation financière est dure. Mais j’en appelle au bon sens de mes amis ex-combattants : «Déposez les armes».

La guerre ne donne rien de bon. Souvent, des amis viennent me voir et veulent se révolter pour réclamer ce qu’ils nous on promis. C’est vrai, ils nous ont promis beaucoup de choses. Mais est-ce que cela vaut la peine de sacrifier l’avenir de nos enfants qui ont tant souffert de cette crise ?

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[Photo : Bazoumana Sylla lors de son témoignage. Crédit : Maxence Peniguet/Ivoire Justice]

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