La vie politique ivoirienne connait une accélération brutale à l’approche des élections présidentielles de 2015. Les Francs-maçons de la grande loge de Côte d’Ivoire (GLCI) s’y préparent activement avec le ministre de l’intérieur qui doit, logiquement, en prendre la tête en cette année électorale. Hamed Bakayoko continue, en effet, de tisser son réseau de fidèles et compte désormais des amis de loge au conseil constitutionnel, un pion essentiel du rouage électoral ivoirien. Mais près de cinq ans après, le pouvoir lui-même ne fait toujours pas l’unanimité auprès des maçons et Alassane Ouattara a plutôt mauvaise image auprès de maçons africains et français.
En Côte d’Ivoire, le régime conforte sa philosophie de chercheur d’appui stratégique en jetant son dévolu sur la francmaçonnerie. Pour preuve, Hamed Bakayoko, l’une des figures de proue de la ouattarandie, devrait finalement prendre la direction de la première loge ivoirienne et mettre à la retraite le vieux Magloire Clotaire
Coffie, trente deux ans de règne à la tête de la GLCI.
Le sémillant ministre de l’intérieur, qui a gravi les différents échelons de la société secrète, continue de construire son réseau d’amis des lumières en interne comme au-delà des frontières nationales. Initié par l’ancien ministre des Affaires étrangères de Blaise Compaoré, Djibril Bassolé, un peu éteint depuis la perte du pouvoir par l’ex-président, Hamed Bakayoko a néanmoins de puissants appuis au sein du conseil constitutionnel, principal rouage du jeu électoral en Côte d’Ivoire, où il compte un frère maçon en la personne d’Emmanuel Tanoh. Dans la structure de l’exécutif, le directeur de cabinet d’Alassane Dramane Ouattara, Amon Tanoh et l’ancien procureur de la république Simplice Konan complètent la liste, sans compter tous les ambitieux qui sont attirés par la gloire et qui sont prêts à tout pour être des maçons. Mais diriger une loge est une chose, tandis qu’en faire l’instrument d’un soutien exclusif une autre. En plus, Hamed Bakayoko va hériter d’une loge en perdition qui n’a pas réussi à conserver ses 400 adhérents et qui subit de plein fouet les problèmes de la grande loge nationale française (GLNF), victime du départ d’Alain Juillet, l’un de ses ténors. Ancien membre des services secrets français et neveu de Pierre Juillet, l’exmentor de Jacques Chirac, Alain Juillet a créé la grande loge de l’alliance maçonnique française (GLAMF) qui a désormais pignon sur rue à Paris. En plus, la loge du ministre Hamed Bakayoko subit également la concurrence de loge Prince Hall de Côte d’Ivoire de l’avocat Me Metan, parrainée par la loge américaine du même nom et dont la direction est plutôt proche de la gauche.
Tout comme les loges gabonaise, française et congo-brazzavilloise, la franc-maçonnerie ivoirienne affiche donc, lui aussi, son malaise et nul ne peut aujourd’hui dire que les principales loges sont disposées à servir les intérêts du régime en place. Car la crise postélectorale a laissé des traces dans la confrérie. Et particulièrement dans le milieu français et africain où l’intervention française en Côte d’Ivoire continue d’alimenter des rancœurs contre la françafrique. Il y a deux ans, à un jour près, une TBS, réunion secrète dans le jargon des francs-maçons, avait essentiellement porté sur la françafrique. A cette occasion, un franc-maçon français qui fut professeur d’université à Abidjan où il est resté pendant plus de quarante ans avait fait le témoignage suivant : « J’ai été témoin de faits allant dans le sens qui me semblait se dégager durant cette TBF, dit-il, c’est-à-dire l’évidence que les élections ont été truquées, que la France est intervenue en amont du processus, et qu’il y avait un parti pris très net depuis le début. » Ami de vingt cinq ans de Sarkozy et Ouattara, il n’a pourtant pas des mots assez durs contre eux. « J’ai été choqué, poursuit-il, par l’intervention directe et brutale de la France, qui a abouti à la prise de Gbagbo. C’est pourquoi j’ai tenu à témoigner », s’est-il indigné. Or cinq années après la chute de Gbagbo, les lignes de démarcation persistent. Ouattara risque donc de payer cash le moindre faux pas lors de la prochaine présidentielle d’octobre.
Source: Aujourd’hui 19 janvier 2015
Par Sévérine Blé
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