La vie de Marcel Zah Bi (nom d’emprunt), 52 ans et ancien haut responsable d’une sous-section du Front populaire ivoirien (FPI), a basculé le jour ou le Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI) a foulé le sol de Bouaké en septembre 2002. Sa maison a été pillée de fond en comble, ses biens ont été emportés. Obligé de fuir Bouaké, il trouve refuge à Man. Aujourd’hui criblé de dettes et de retour dans la deuxième plus grande ville ivoirienne, il revient sur son passé.
Propos recueillis par Daouda Coulibaly et Maxence Peniguet
Des mois avant la prise de Bouaké, les militants du Rassemblement des républicains (RDR) disaient toujours : « Ça ne saurait tarder. Il y aura un changement. »
Au début, ils n’ont rien fait à la population
Pour moi, ces bruits n’étaient que des rumeurs. La nuit du 19 septembre 2002, ce que je considérais comme rumeur est devenu réalité. Il y eu des coups de fusils partout. Et le lendemain matin, les rebelles avaient investi la ville de Bouaké.
Au début, ils n’ont rien fait à la population. C’est après l’offensive manquée des forces loyalistes qu’ils ont commencé à s’en prendre aux militants du Front populaire ivoirien. Avec l’aide des militants RDR, ils se promenaient, de maison en maison, pour rechercher les partisans de Laurent Gbagbo. Avec mon grand frère, nous étions de hauts responsables d’une sous-section FPI de Bouaké. On ne se sentait plus en sécurité face à cette fouille systématique des habitations. On a donc décidé de quitter la ville.
Lors d’un meeting de Guillaume Soro, alors porte-parole de la rébellion, nous en avons profité pour quitter la ville. Nous avons marché plus de 20 kilomètres pour atteindre Brobo. De là, nous avons rallié Yamoussoukro puis Man en voiture, où nous avons pu avoir du repos.
Les militants FPI étaient pourchassés et passés à tabac
Malheureusement, le repos a été de courte durée. Quelques semaines seulement après notre arrivée, les rebelles ont pointé leur nez. Man venait de tomber entre leurs mains.
Là-bas encore, c’était le même scénario. Les militants FPI étaient pourchassés et passés à tabac. Ceux qui avaient moins de chance étaient abattus. À Man, j’ai eu plus de chance, personne ne me connaissait dans la ville. J’évitais de sortir. J’ai passé un an dans cette situation, jusqu’à ce qu’un jour, un ami m’appelle de Bouaké pour me dire : « Mon frère, votre maison a été pillée. » Je n’arrivais pas à y croire. Je ne savais pas comment expliquer à ma mère que tout ce que son mari lui avait laissé en héritage avait été volé.
J’ai alors décidé de revenir à Bouaké.
Tout avait été emporté
C’est ainsi qu’en novembre 2003, j’ai pris le car, direction Bouaké. Arrivé à la maison, je n’en croyais pas mes yeux. Tout avait été emporté. De la voiture aux meubles, en passant par les ustensiles de cuisine.
Le choc fut encore plus grand quand j’ai vu mes meubles chez mon ami d’enfance. Je pensais qu’il les avait mis chez lui pour les protéger des pillards — Ô que non ! C’était lui, mon pilleur.
Abandonné par tout le quartier, et par le seul ami qui me restait, j’ai alors compris que le chemin serait long. Depuis ce jour, de nombreux camarades FPI et moi faisons profil bas. La liberté d’expression nous a été enlevée depuis le 19 septembre 2002.
Laisser le bureau de vote à son seul sort
En 2010, à la faveur de l’élection présidentielle, il y a eu un semblant de liberté d’expression. J’ai même été représentant du FPI dans un bureau de vote au premier tour de l’élection. Au deuxième tour, nous sommes revenus sous le joug de la pensée unique. Mes camarades représentants de bureaux de vote, ainsi que moi-même, étions menacés de mort. Pour ne pas perdre la vie, ou encore revivre le même calvaire de 2002, j’ai décidé de laisser le bureau de vote à son seul sort. Même pour voter pour mon candidat, j’ai été obligé de me cacher.
Après les élections, quand il y a eu le « bicéphalisme » au sommet de l’État, j’ai encore été obligé de faire profil bas. Je suis resté dans mon coin sans broncher. Pendant cette période, un fait m’a beaucoup marqué. Les militants RDR, de nationalité ivoirienne, nous protégeaient, empêchaient les pillards et les rebelles de s’en prendre aux militants FPI. C’est difficile à dire, mais entre nous ivoiriens il n’y avait pas de problème. Ce sont les militants RDR, immigrés du Mali, de la Guinée et du Burkina, qui étaient les plus zélés et qui étaient prêts à en découdre avec les militants FPI.
Tout ce que je souhaite à la Côte d’Ivoire, c’est la paix
De 2002 à 2010, j’en ai vu des vertes et des pas mûres. Aujourd’hui, j’ai eu ma dose d’horreur. Je ne supporte même plus les bruits de pétards. Tout ce que je souhaite à la Côte d’Ivoire, notre mère patrie, c’est la paix. C’est vrai que j’ai perdu des parents et tous mes biens. Des fois, j’y pense. Mais est-ce que la vengeance ferait revenir mes parents et mes biens ? Non !
Tout ce que je veux, c’est revivre avec les amis comme avant. La guerre ne nous apportera rien. Enfin, je souhaite que nous nous pardonnions mutuellement. Oublier est difficile, mais pardonner, nous le pouvons.
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[Photo : La Dent de Man. Crédit : Zenman/Wikimedia]
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