Conformément à la culture romaine qui s’est universalisée, le monde s’apprête à célébrer l’avènement d’une nouvelle année. Cet exercice régulier qui rythme notre vie a une haute portée sociale, que tend malheureusement à occulter la ferveur festive qui l’accompagne. La division théorique de notre vie en séquences exprime notre vision de la dynamique de chaque matière jusqu’à son dépérissement complet. Ce mouvement ininterrompu de notre existence nous oblige à un exercice d’autocritique individuel et collectif à des moments précis. Il s’agit à cet effet pour chacun de nous, de dégager des perspectives pour le futur qui s’annonce à partir de l’expérience du passé qui se termine.
Malheureusement, le bilan de l’année qui se termine est loin d’être reluisant pour notre pays. L’année 2014 n’aura pas échappé aux inconséquences de notre société ivoirienne, qui tout en voulant atteindre un objectif, emprunte paradoxalement le chemin inverse qui l’en éloigne. Depuis avril 2011, notre pays s’est lancé dans une folle chevauchée à la recherche de la réconciliation qui fonde une paix durable, mais elle s’enfonce chaque jour dans une voie sans issue, qui l’éloigne de son objectif. La réconciliation n’est pas un acte administratif ou une décision de justice. Elle procède de la convergence des cœurs et des esprits vers un idéal de concorde et de paix entre les membres d’une même communauté. Malgré nos différentes commissions créées à cette fin et nos professions de foi, notre pays reste profondément divisé et la bulle de la haine qui n’en finit pas de s’enfler menace de faire exploser notre société dont les fissures sont pourtant déjà visibles. Quelques images pour illustrer la dislocation programmée de notre société.
Les forces qui ont combattu plus d’une décennie pour porter le régime actuel au pouvoir et sur lesquels, celui-ci repose de façon exclusive, ont présenté ces derniers jours de l’année mourante, des signes d’agacement face à leur employeur. Il n’y a pas meilleure manière de démontrer la division au sein de la coalition militaro-civile qui gouverne le pays que les différents sauts d’humeurs qui se sont fait bruyamment entendre dans les camps militaires. Dans la foulée, le PDCI, la troisième béquille du pouvoir se fragilise dans des divisions internes très violentes.
L’opposition elle-même, regroupée autour du FPI n’offre pas meilleur visage. Sa colonne vertébrale, le FPI, corrompue de l’intérieur et au sommet, n’est pas loin de se briser à cause de ses propres incohérences. Le reniement de son idéologie fondée sur le combat contre toute forme de servitude, l’embourgeoisement d’une partie de la classe dirigeante, les nombreux voltefaces de celle-ci, le nombrilisme doublé de l’opportunisme le plus abject, sont en train de transformer ce fabuleux instrument de lutte qui porte l’espérance de tout un peuple, en un tigre en papier. En invitant la Justice sous ordre, dans la gestion de notre parti, nous nous comportons de manière insensée, comme une personne que l’on cherche à manger braisée, et qui paradoxalement offre à son bourreau, feu et bois de chauffe. Aucune ambition ne justifie que nous puissions exposer notre leader à l’épée encore dégoulinant du sang chaud des nôtres tenue de façon ferme par ses pires ennemis. En répondant à l’appel des Ivoiriens en général et des militants du FPI en particulier, malgré la profondeur de ses peines, il fait preuve d’un grand esprit de sacrifice. Les militants lui ont fait appel à ce moment précis de l’histoire du parti parce qu ils ont perdu toute confiance en la direction actuelle du parti. Le recours à la justice ne peut combler ce déficit de confiance qui est devenu irréversible. Personne au sein de notre parti ne peut raisonnablement douter de la réponse positive donnée par le Président Laurent Gbagbo aux cris de détresse des militants du parti. Encore moins le Président qui en a été avant même qu’il ne dépose sa propre candidature. Je l’affirme solennellement. Le dire c’est faire preuve d’une mauvaise foi sans limite. La saisine du tribunal dans cette affaire est une humiliation de trop infligée à notre chef. C’est un acte de déloyauté inacceptable. C’est une compromission intolérable de la lutte. Le FPI ne mérite pas cela. Le peuple de Côte d’Ivoire attend plus de nous.
Bref, partout, la société ivoirienne présente l’image d’une famille désunie qui se désarticule à un moment où, justement de nombreux défis l’attendent. Et ce ne sont pas quelques actions d’éclats qui ont une portée cosmétique, qui peuvent cacher les plaies profondes et purulentes qui attestent de la septicémie de notre corps social.
En plus de présenter l’image d’une famille désarticulée, la Côte d’Ivoire se présente dans l’opinion africaine, comme le cheval de Troie du nouvel ordre de la domination étrangère sur notre continent. C’est une image triste qui contraste avec l’espérance suscitée par dix ans de résistance menée par notre peuple, contre l’oppression extérieure.
La raison de la déliquescence de notre communauté procède de notre entêtement à bâtir note maison commune sur le sable mouvant du mensonge et de l’injustice. Depuis quatre ans, nous rusons à tous les niveaux avec la vérité et la justice.
Le 22 novembre 2011 à Cotonou, devant le Premier ministre du Benin, Son Excellence Pascal Irénée Koupaki , j’ai dit à une délégation du gouvernement ivoirien conduite par la Grande Chancelière de l’Ordre National, que le transfèrement annoncé du Président Laurent GBAGBO à la CPI, compromettrait définitivement la réconciliation en Côte d’Ivoire. Je l’ai répété dans les mêmes circonstances de lieu et de temps, devant une délégation de l’épiscopat ivoirien composé de nos Seigneurs Dakoury, Koutouan et Toualy. Je l’ai réitéré le même jour devant une délégation de l’épiscopat africain conduite par l’archevêque de Dakar, le Cardinal SARR. C’était en marge de la visite du Pape Benoît XVI au Bénin. Le 23 novembre la CPI délivra le mandat d’arrêt contre le président Laurent GBAGBO. Quel a été le gain pour notre pays de cette opération risquée à tout point de vue ? Rien en dehors du fait qu’elle a participé à renforcer les ressentiments, la haine et à approfondir la division. Comme si la leçon n’était pas suffisante, l’on y a ajouté le transfèrement du ministre Blé Goudé Charles. Nous en sommes aujourd’hui à tenir la comptabilité de la gestion de la réconciliation, en ignorant que la paix du cœur, la justice et la vérité sont des biens extra-commerciaux. Nous aurons tout donné de notre richesse nationale pour la cause de la réconciliation, nos efforts resteront vains, si nos actions ne touchent pas aux fondements de notre peine collective et individuelle. Il est difficile de faire admettre à une opinion majoritaire de notre pays et d’ailleurs, que Laurent GBAGBO est un criminel qui mérite ce qui lui arrive au point de lui refuser le droit humain le plus élémentaire d’assister à l’enterrement de sa mère ; que Blé GOUDE est un criminel qui perturbe la quiétude de la communauté internationale ; que Simone GBAGBO, Aké N’Gbo, Affi N’Guessan, Sangaré Abou Drahamane, Dakoury Henri etc. pour ne citer que ceux-là, sont des criminels dont le cas mérite d’être connu par une cour d’assise. Le soupir de chaque ivoirien et de chaque ivoirienne mérite d’être entendu. La judiciarisation de la réconciliation a atteint ses limites dans un contexte où, la Justice elle-même, qui s’est constituée prisonnière de l’Exécutif, lui-même otage d’une logique tribale, ne donne plus de gages sur sa neutralité.
Dans ce contexte où les valeurs républicaines sont mises en veilleuses, le salut pourrait venir de la société civile. Puisque c’est toujours elle qui paie les errements de la société politique, il lui appartient d’agir en amont afin d’éviter en aval ses propres peines. Il n’est pas trop tard. L’année 2015 que tous les spécialistes de la question annoncent comme une année de gros risques pour notre pays, nous offre l’opportunité de déjouer ces mauvais pronostics.
Qui peut imaginer les effets positifs pour la réconciliation, d’une visite œcuménique faite par l’ensemble de la société religieuse, ou de celle du barreau de Côte d’Ivoire, de l’ordre des médecins, de l’association des familles chrétiennes ou de celles des musulmans etc. aux prisonniers de La Haye ? Ce sont autant de corps constitués de notre société qui peuvent suppléer la défaillance du corps politique. A ce sujet, il est tout de même remarquable de relever que depuis quatre ans que dure l’exil des milliers d’Ivoiriens, aucune association des musulmans de notre pays n’a daigné leur accorder la moindre visite de compassion, alors que l’Eglise catholique et bien d’autres Eglises, le font chaque année. L’humanisme prôné par cette grande religion et l’enseignement du Grand Prophète auraient-ils perdu tout repère dans notre pays ?
La clé de la réconciliation en Côte d’Ivoire reste indiscutablement le Président Laurent GBAGBO. C’est une réalité qu’il est illusoire de nier. C’est le traitement injuste qui lui est réservé qui impacte négativement le pays jusque dans sa famille politique. C’est finalement toute la Côte d’Ivoire qui se trouve en prison avec lui. Là où est notre problème, là devrait également se chercher la solution. L’épreuve à laquelle nous le soumettons est inacceptable ni moralement, ni politiquement.
Que l’année 2015 qui commence nous aide au discernement pour donner un sens à notre contrat social. Que les échecs de l’année qui s’achève soient une source d’inspiration pour notre victoire collective. Un peuple qui est capable de dépassement de soi est un peuple qui dompte toujours son avenir. Qu’autour de nos tables garnies de divers mets le premier janvier dans la chaleur de nos familles, nous ayons une pensée pour le Président Laurent GBAGBO. Il porte la lourde croix pour la liberté de notre peuple. Il prie pour nous pour que la nouvelle année apporte la joie et la paix dans chaque famille ivoirienne; et parce qu’il aime profondément son pays, il a soumis la haine à l’amour; pour Charles Blé Goudé, pour les nombreux prisonniers qui s’infligent la souffrance suprême de la grève de faim, pour nos parents dans les camps de réfugiés. Pour ces derniers, je formule le vœu que pour la nouvelle année, leur sort s’inscrive dans une logique de résolution globale de leur situation. Certes quelques cadres exilés sont retournés, mais il reste à tout point de vue, indécent que les centaines de milliers d’Ivoiriens et d’Ivoiriennes anonymes mais non moins dignes, soient abandonnés au seul gré de la fortune. C’est de la responsabilité du gouvernement d’entendre leurs gémissements et de leur apporter une réponse satisfaisante. Beaucoup de ces personnes sont dans les camps parce que le minimum vital ne leur est pas garanti dans leur propre pays. Ils y ont tout perdu. Il appartient à leur pays, de leur donner les gages de leur appartenance à la communauté nationale ivoirienne. Si nous prenons conscience que la souffrance d’un seul des nôtres rejaillit négativement sur la communauté, alors c’est sûr que nous transformerons nos doutes en espoirs pour la nouvelle année.
Bonne et heureuse année 2015.
Le ministre Justin KONE Katinan
Porte-parole du Président Laurent GBAGBO
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