Côte-d’Ivoire questions d’intérêts RTI: La télé publique qui ne rassemble plus

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Par Cheick Kourouma, Observateur des médias et de la vie politique

Les comptes de résultats de la radiodiffusion télévision ivoirienne publiés récemment affichent des marges excédentaires de plusieurs milliards sur un chiffre d’affaires de 5,5 milliards de franc CFA. Ce qui en soit est une excellente nouvelle quand on sait que le média public trainait une ardoise d’une dizaine de milliards il y a quelques années.

Selon les chiffres rendus public par la direction générale, la redevance prélevée sur les factures d’électricité s’élève à près de 3 milliards à cela il faut ajouter la subvention de l’Etat d’une dizaine de milliards ce qui constitue une véritable manne financière pour favoriser de meilleures conditions de travail pour les agents et un traitement plus équitable et plus juste de l’information.
Or, il est malheureux de constater que malgré les fonds publics alloués par l’Etat et la mise à contribution des téléspectateurs par la redevance prélevée sur chaque facture d’électricité (foyers et entreprises), la RTI, comme hier, continue d’être la voix de son maître, c’est-à-dire une télévision et une radio au service d’un seul homme, d’une seule obédience politique : le RHDP et principalement le RDR, parti du président Alassane Ouattara.

En dépit de son statut de «média public», la RTI reste donc la caisse de résonance du parti au pouvoir dont le chef, du temps de l’opposition, non seulement criait à l’injustice, mais avait promis monts et merveilles y compris la liberté d’expression et la pluralité des opinions sur les antennes des médias publics. Quatre ans après son arrivée au pouvoir et à moins d’un an de l’élection présidentielle d’octobre 2015, le président Ouattara n’aura donc pas tenu parole en matière de liberté d’expression et de respect de l’impartialité.

Il faut en effet admettre que les chaînes de télévisions (RTI 1, RTI2) et radios (Radio Côte d’Ivoire, Fréquence 2) sont au nombre des échecs du pouvoir RDR. Voilà une tache noire dans la gouvernance Ouattara qui depuis 4 ans s’est accaparé de la RTI pour empêcher la libre opinion et la liberté d’expression notamment celle de l’opposition. Si la HACA, Haute autorité de la communication audiovisuelle faisait correctement son travail elle publierait régulièrement la répartition du temps d’antenne entre tous les groupes politiques du pays. Depuis « l’appel de Daoukro », (et plus récemment l’inauguration du pont Henri Konan Bédié), la RTI diffuse chaque soir au journal de 20h des reportages qui ne sont rien d’autres que de la propagande électorale au profit du chef de l’Etat à quelque 10 mois des échéances de 2015. Pendant ce temps, d’autres personnalités ce sont opposées à l’appel de Konan Bédié et ont fait connaitre leur intention d’être candidates contre le prince. Mais la RTI préfère les ignorer. Tout simplement. On se demande bien s’il n’y a qu’une pensée unique dans ce pays de plus de 20 millions d’habitants. N’en déplaise à un Alassane Ouattara qui se veut chantre de la démocratie, nous sommes bien loin de l’époque où membre de l’opposition, le RDR reprochait au pouvoir Gbagbo d’embastiller les partis d’opposition.

Il y a deux ans, la RTI alors dirigée par Aka Sayé Lazarre avait tenté « une expérience » que tous les observateurs avaient saluée en son temps : l’émission «Le Club de la presse», présentée par Emmanuel Grattié Lavry. Chaque dimanche, pendant 50 minutes à partir de18h05, les journalistes et éditorialistes de la presse d’opinion (pouvoir comme opposition) se retrouvaient autour d’une table pour discuter de l’actualité de la semaine et il n’y avait pas de sujet tabou. Même si elle n’était pas en direct, il n’en demeure pas moins que cette émission était très suivie et très appréciée du grand public qui avait commencé par s’habituer au rendez-vous hebdomadaire du dimanche après-midi. Mais en décembre 2012, comme il fallait s’y attendre, l’émission fut brusquement arrêtée et remplacée par une émission de sport. Comme d’habitude, on a eu peur de la diversité des opinions et des critiques à tort ou à raison (c’est cela la démocratie) formulées contre le pouvoir en place. L’mission à long feu car elle ne plaisait pas dans les hautes sphères. En lieu et place, on a mis du foot, une émission consacrée à la CAN 2013 qui se profilait.

Une fois encore, on a tenté d’infantiliser les ivoiriens par du jeu et du divertissement, à l’instar de ce qui se faisait sous les régimes précédents. Ouattara n’a pas tenu parole alors qu’il avait promis le rassemblement de tous les enfants de Côte d’Ivoire à son investiture à Yamoussoukro. On a même changé le slogan de la RTI1 devenue « La chaîne qui rassemble ».

Avec l’arrivée il y a deux ans du jeune directeur général Ahmadou Bakayoko, en remplacement de Aka Sayé Lazarre, mis au placard dans une structure créée sur mesure pour soit disant s’occuper des fréquences, en l’occurrence l’Agence ivoirienne de gestion des fréquences (AIGF). Diplômé de la grande école prestigieuse française, Polytechnique, la nomination d’Ahmadou Bakayoko sonnait pour les observateurs comme le signal d’une nouvelle vision en faveur de l’ouverture de la chaine publique à plus d’émissions de débats et de culture. Mais il est triste de constater que la RTI n’a jamais été aussi muselée que depuis l’arrivée du plus jeune Directeur général de son histoire. Un jeune directeur qui, dit-on, serait le neveu du ministre d’EtatHamed Bakayoko. Qu’à cela ne tienne. Si le nouveau DG a poursuivi la politique d’équipement engagée par son prédécesseur, il reste que depuis deux ans, il n’y a pas eu une seule émission de débat politique contradictoire entre partisan du pouvoir et ceux de l’oppsotion sur les antennes de la télévision que les Ivoiriens désertent de plus belle au profit des médias étrangers tels que France 24, Vox Africa, BFM TV, Itélé et autres Canal plus. Par dépit. Le plus étonnant c’est que parmi les déserteurs se trouvent les fortes têtes du gouvernement et de l’Etat dont le président de l’assemblée nationale et le ministre d’Etat, ministre de l’intérieur et de la sécurité, qui n’hésitent pas à aller débattre sur les antennes des médias français lors de leurs passages sur les bords de la Seine. On les entend même régulièrement sur RFI en train de se défendre contre telle ou telle attaque de l’opposition, à l’instar du ministre des Postes et Télécommunication et des TICS, porte-parole du gouvernement.

Au lieu de solliciter ces médias étrangers pour réagir aux charges de vos opposants pourquoi ne pas, chers messieurs, instaurer une grande émission de DEBAT POLITIQUE avec vos contradicteurs? Pourquoi l’émission «RTI 1 Reçoit», diffusée tous les mardis en quinze, n’invite-t-elle pas des hommes politiques ou journalistes proches de l’opposition pour interroger les ministres qui défilent sur les antennes depuis 3 ans ? Les Ivoiriens ne demandent que cela.

Toutes les chancelleries des pays que Ouattara parcourt à longueur de journée au frais du contribuable pour dit-on promouvoir l’émergence de la Côte d’Ivoire et se présenter comme un démocrate se moquent de vous. Pourquoi la politique de libéralisation tarde-elle à se matérialiser ? De quoi avez-vous peur si vous estimez que le bilan du président Ouattara est excellent sur toute la ligne comme vous le prétendez

? Les émissions de sport et de divertissement et autres parties de sketches ont leur place, mais on ne peut réduire la vie de tout une nation à « Faut pas fâcher », « Qui fait ça ? », « Brouteur.com » ou « C Midi », « Showtime » etc. Les Ivoiriens qui payent leur redevance chaque mois veulent entendre un autre son de cloche. Y’en a marre de l’infantilisation de notre jeunesse. Les Ivoiriens sont de plus en plus cultivés. Nombre de personnes ne peuvent plus supporter cette omerta sur les antennes de service public. Pourquoi refuser la contradiction ou la pluralité des opinions alors que l’on prétend être une grande chaine de télévision et de radio publique ? Que fait Alassane Ouattara pendant ce temps ? Est-il fier de cette RTI qui chaque jour perd des téléspectateurs au profit d’autres chaines étrangères ?
Il faut savoir que plus de 50 ans après l’indépendance, les Ivoiriens aspirent à plus d’ouverture, plus de démocratie, plus de liberté d’expression… Y a-t-il besoin de faire polytechnique pour comprendre cela ?

Maintenant que Henri Konan Bédié vient d’accorder 5 ans de plus à Ouattara, avec l’inauguration du pont qui « à lui seul vaut 2 mandats présidentiels », nous osons croire que plus rien ne fera peur au pouvoir RDR et à Ouattara pour ouvrir le paysage audiovisuel à des médias privés et d’autres opinions politiques que la sienne. Car il faut de tout pour faire une Nation.

Par Cheick Kourouma
Observateur des médias et de la vie politique

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