Prao Yao Séraphin
«Quand deux éléphants se battent, ce sont les herbes qui souffrent»
Pendant que les Ivoiriens végètent, le gouvernement, lui, s’adonne à son jeu préféré : jouer avec les Ivoiriens en manipulant les chiffres. La décennie de crise a profondément logé les Ivoiriens dans l’ornière de la misère. Et le gouvernement a dit que son principal objectif était de ramener l’incidence de la pauvreté de 48.9 % en 2008 à 33.6 % en 2013 pour tomber à 16.0 % à l’horizon 2015. Pour ce faire, les dépenses en faveur des pauvres sont passées de 7.8 % du PIB en 2010 à 10.0 % en 2011 et 7.9 % en 2012 (contre une prévision de 7.8 % du PIB dans le PEF). Mais ces belles phrases et ces beaux chiffres n’embellissent point le quotidien des Ivoiriens. Le chômage des jeunes vient rappeler au gouvernement la dure réalité que vivent les Ivoiriens. Incapable de traiter la question du chômage, le gouvernement et son administration se battent sur les chiffres.
Le gouvernement et son administration se battent sur des chiffres
L’Agence d’études et de promotion de l’emploi (AGEPE) a publié un rapport dans lequel les chiffres fournis enchantaient le gouvernement. En effet, l’enquête emploi-2012 indique un taux de chômage de 9,4%. L’enquête révèle que 42,7% de travailleurs reçoivent un salaire en dessous de la norme, c’est-à-dire inferieur au SMIG évalué à 36.000 F CFA. Sur l’application du SMIG à 60.000 f CFA qui n’est pas encore effectif, cette proportion est de 58,4%. Sur les autres chiffres de l’enquête, l’AGEPE révèle que le taux d’emploi informel est de 91,2% avec un taux d’emploi salarié à 18,1% et le taux d’emploi vulnérable à 70,4%. Mais nous savions que ce chiffre de 9,4% de taux de chômage manquait de sincérité car selon le Bureau International du Travail (BIT), le taux de chômage en Côte d’Ivoire avoisinerait les 7 millions de sans-emplois. La majorité des chômeurs sont à 78% des jeunes de 14-35 ans.
Avec les déclarations de Koné Bruno, le porte-parole du gouvernement, on se demande si l’AGEPE ne se discrédite pas. Le ministre Koné Bruno vient d’avouer aux Ivoiriens l’impuissance du gouvernement actuel à trouver du travail aux jeunes Ivoiriens. Selon lui, le taux de chômage se situe à 25%, ce qui colle effectivement à la réalité. Mais entre le gouvernement et l’AGEPE, qui a finalement menti aux honnêtes Ivoiriens ?
La croissance stérile engendre une pauvreté contagieuse en Côte d’Ivoire
Si l’on s’en tient aux chiffres, la Côte d’Ivoire va très bien. L’économie du pays connaît depuis trois ans une croissance remarquable : de 9,8% en 2012, le taux de croissance a atteint 8,7% en 2013 et de «8 à 10%» sont prévus pour 2014. Si ces chiffres sont sincères alors les Ivoiriens seraient devenus des masochistes refusant le bien-être. La vérité c’est que le taux de croissance du Président Ouattara n’est pas riche en emplois. Sous le gouvernement actuel, les Ivoiriens s’appauvrissent à tel point qu’ils sont obligés de puiser dans leur épargne pour maintenir leur niveau de vie. Pour s’en convaincre, il suffit de voir la baisse du taux d’épargne brute passant de 14,9% à 9,3 % du PIB, de 2011 à 2012. La dégradation des conditions de vie est globale et aiguë. Selon la Banque mondiale, l’espérance de vie à la naissance est de 50 ans en 2012 et le revenu national brut par habitant de 1450 dollars en 2013. En Côte d’Ivoire, un Ivoirien sur deux est pauvre et cette situation devient sérieusement inquiétante.
Il faut passer des mesures ponctuelles aux réformes profondes
La Côte d’Ivoire a besoin d’un « Big Push » pour régler la question du chômage des jeunes. En créant les conditions pour la création d’emplois, l’Etat pourra aider les jeunes à trouver un emploi. Mais il faudra également renforcer la formation des jeunes et le renforcement des capacités. Nous présentons ici quelques idées pouvant aider à la création d’emplois.
Premièrement, les PME constituent un vivier à prendre au sérieux. En effet, les PME représentent 24 % du PIB et 18 pour l’artisanat. Le développement des PME peut résoudre la question du chômage des jeunes. Dans ces conditions, l’épineuse question du faible taux de financement du secteur privé par le système bancaire reste actuelle. Cette faiblesse du financement bancaire en direction des PME et des petites et moyennes industries (PMI) tient principalement à leur structuration peu fiable et à l’absence d’une comptabilité certifiée. Il faut y ajouter la mauvaise connaissance par le secteur privé des mécanismes de financement innovants (affacturage, leasing, etc.). Si l’Etat payait par exemple la dette intérieure, cela aiderait la reprise de certaines activités. Fin 2012, la dette intérieure était estimée à 2314 milliards de FCFA. Les opérateurs qui ont travaillé sur la période 2000-2010 qui attendent de voir leurs factures validées.
Deuxièmement, le secteur bancaire ne soutient pas l’initiative privée. L’analyse de la structure des crédits déclarés à la Centrale des risques (à fin juillet 2012) montre que 61 % des crédits accordés sont alloués au secteur tertiaire qui reste le principal bénéficiaire du financement bancaire. Les secteurs secondaire et primaire viennent en deuxième et troisième position avec respectivement 34.6 et 4.4 % des crédits bancaires. Même si les 25 banques et établissements financiers du pays ont un total bilan qui s’établit à 5211 milliards de FCFA, le crédit bancaire est une denrée rare en Côte d’Ivoire. Le crédit bancaire intérieur fourni au secteur privé ne représentait que 18% du PIB du pays là où ce ratio était de 72% au Maroc et 118% en Malaisie.
Troisièmement, encourager les affaires. Un environnement des affaires peu favorable décourage la création d’emplois. Selon l’édition 2013 du rapport Doing Business de la Banque mondiale, la Côte d’Ivoire 177e sur 185 pays. Le dernier rapport dit que le pays est classé 167e sur 189 pays. L’amélioration du climat des affaires, notamment un cadre réglementaire porteur, des mesures d’incitation pour le commerce international et une aide aux pôles économiques, pourront aider à la création d’emplois.
Quatrièmement, pour consolider la reprise et assurer une croissance durable, le pays devrait poursuivre les efforts visant à une transformation structurelle en tirant le meilleur parti de ses importantes ressources naturelles. Le développement d’activités locales de transformation des ressources naturelles est de nature à stimuler la diversification et les recettes minières peuvent financer d’autres secteurs d’activité.
Cinquièmement, il faudra une formation suffisante et adaptée. L’inadéquation de la formation aux exigences du marché continue de poser problème. Les formations proposées par nos universités ne sont pas toujours adaptées au besoin du marché de l’emploi. Les économies africaines sont rurales à 80% et pourtant il n’y a pas un seul lycée agricole digne de ce nom.
En définitive, il faut accélérer les réformes visant l’amélioration de la gouvernance et du climat des affaires, de l’efficience dans les secteurs financiers, de l’énergie etc. Sur le plan politique, la normalisation institutionnelle, le renforcement du processus démocratique et les progrès en matière de réconciliation sont des facteurs incitateurs. La consolidation et le maintien de la paix, encore fragile, à travers le renforcement sécuritaire, constituent des défis majeurs pour le pays. Une meilleure gestion de ces facteurs garantirait une santé encore plus encourageante de l’économie ivoirienne.
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