La Cour pénale internationale (CPI) a décidé vendredi d’abandonner ses poursuites contre le président kényan, Uhuru Kenyatta. C’est à coup sûr une décision qui fera date dans l’histoire de la justice internationale. La CPI a décidé vendredi 5 décembre d’abandonner ses poursuites contre le président du Kenya, Uhuru Kenyatta, accusé de crimes contre l’humanité. La procureure de la Cour, Fatou Bensouda [lire communiqué plus bas], a expliqué ne pas avoir assez de preuves « pour prouver, au-delà de tout doute raisonnable, la responsabilité criminelle présumée de M. Kenyatta« . Mercredi, les juges de la CPI avait « ordonné à l’accusation de déposer, dans une semaine au plus tard, un avis indiquant soit le retrait des charges (…), soit que le niveau d’éléments de preuves s’est amélioré à un degré qui justifierait la tenue d’un procès » (…)
Jeune-Afrique Avec AFP
Communiqé de la CPI
Déclaration du Procureur de la Cour pénale internationale, Madame Fatou Bensouda, à propos du retrait des charges contre M. Uhuru Muigai Kenyatta
Le 3 décembre 2014, les juges de la Chambre de première instance V (B) de la Cour pénale internationale (CPI) ont refusé tout nouveau report du procès de M. Uhuru Muigai Kenyatta. En conséquence, compte tenu des éléments de preuve dont nous disposons à l’heure actuelle en l’espèce, je n’ai d’autre choix que d’abandonner les charges portées à l’encontre de M. Kenyatta. Plus tôt aujourd’hui, j’ai déposé une notification aux fins du retrait de ces charges et je le fais sans préjudice de la possibilité de présenter une nouvelle affaire si de nouveaux éléments de preuve étaient portés à notre connaissance.
C’est un moment douloureux pour les hommes, les femmes et les enfants qui ont terriblement souffert de l’horreur des violences postélectorales et qui ont patiemment attendu, pendant près de sept ans, que justice leur soit rendue.
J’ai décidé d’abandonner les charges contre M. Kenyatta après avoir soigneusement examiné toutes les preuves dont je dispose. Cette décision est fondée sur les faits propres à l’espèce et rien d’autre. En ma qualité de Procureur, j’agis et je prends mes décisions en fonction du droit et des éléments de preuve dont je dispose.
Malgré mon engagement personnel pour que justice soit rendue et que les responsables rendent des comptes aux Kényans qui ont été la cible des terribles violences qui ont secoué Nakuru et Naivasha après les élections de 2007, je ne peux engager de procès que lorsque l’accusé sera vraisemblablement reconnu coupable sur la base des éléments de preuve à ma disposition. Sans cette perspective, il est de mon devoir en tant que Procureur de retirer les charges à l’encontre de l’accusé.
Vous vous rappelez sans doute que, le 5 septembre 2014, j’ai prié la Chambre de première instance de reporter l’ouverture du procès de M. Kenyatta jusqu’à ce que les autorités kényanes exécutent pleinement la demande modifiée de consultation de dossiers présentée par l’Accusation en avril 2014. J’avais alors informé la Chambre que je disposais des mêmes éléments de preuve que lorsque j’avais demandé un report du procès en décembre 2013 et que, par conséquent, ces éléments ne suffisaient pas à établir la responsabilité pénale présumée de M. Kenyatta au-delà de tout doute raisonnable, tel que requis à la phase du procès.
Malgré mes efforts persistants et ceux de mon équipe dévouée pour la bonne marche de la justice au Kenya, en l’espèce, ceux qui ont cherché à entraver son cours ont pour l’instant privé le peuple kényan de la justice qu’il mérite.
J’ai expliqué aux Kényanes et aux Kényans les difficultés de taille auxquelles mon Bureau s’est heurté dans le cadre de son enquête sur M. Kenyatta. Le Bureau a notamment été confronté aux difficultés suivantes :
· plusieurs personnes, qui détenaient des informations cruciales quant aux agissements de M. Kenyatta, sont décédées, tandis que d’autres sont trop terrifiées pour témoigner à charge;
· des témoins clés, qui avaient communiqué des éléments de preuve en l’espèce, ont fini par retirer leur témoignage ou changer leur version des faits, notamment des témoins qui ont par la suite allégué avoir menti à mon Bureau à propos de leur présence à des réunions cruciales ; et
· le défaut de coopération de la part du Gouvernement kényan a entravé la capacité de l’Accusation à mener des enquêtes approfondies sur les charges, ce que la Chambre de première instance a récemment confirmé.
J’abandonne les charges à l’encontre de M. Kenyatta parce que, pour le moment, je ne pense pas nous soyons pleinement en mesure d’enquêter sur les crimes en cause et d’engager des poursuites à ce sujet. L’abandon des charges ne signifie en aucune façon que l’affaire est définitivement close. M. Kenyatta n’a pas été acquitté, et l’affaire peut être ré-ouverte, ou présentée différemment, si de nouveaux éléments de preuve établissant les crimes ainsi que sa responsabilité sont découverts. Mon Bureau continuera à recevoir et à examiner les informations susceptibles de révéler qui sont les responsables des violences postélectorales de 2007-2008, et évaluera, à ce stade, au vu de la situation actuelle au Kenya, les mesures pouvant concrètement et raisonnablement être prises en relation avec les crimes commis à Nakuru et à Naivasha en 2007 et en 2008.
Cependant, j’aimerais dire quelques mots à propos du fait que les autorités kényanes n’ont pas coopéré pleinement et efficacement dans le cadre de l’enquête que nous menions en l’espèce. Depuis que l’Accusation a adressé une demande modifiée aux autorités kényanes le 8 avril 2014, les éléments produits par ces dernières ne correspondent tout simplement pas à un grand nombre des documents que nous avions demandés. En résumé, nous n’avons pas reçu la plupart des documents que nous voulions consulter et ce, bien que les juges de la Cour aient clairement confirmé la validité de notre demande modifiée et rejeté toutes les objections formulées par lesdites autorités.
En l’espèce, les documents les plus intéressants quant aux violences postélectorales ne se trouvaient qu’au Kenya. Or, bien qu’elles nous aient assurés qu’elles étaient disposées à coopérer avec la Cour, les autorités de ce pays n’ont pas tenu leur promesse.
Au final, les obstacles que nous avons rencontrés en tentant d’obtenir la coopération nécessaire pour mener notre enquête ont globalement retardé et entravé, dans une large mesure, le cours de la justice pour les victimes dans le cadre de cette affaire.
Enfin, la date d’aujourd’hui marque une journée sombre dans l’histoire de la justice pénale internationale. Malgré tout, je suis fermement convaincue que la décision prise aujourd’hui ne marque pas un point final en matière de justice ou d’obligation de rendre des comptes s’agissant des crimes subis par les Kényanes et les Kényans en 2007 et 2008, crimes pour lesquels justice doit être rendue.
Source: Bureau du Procureur | OTPNewsDesk@icc-cpi.int
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