« Biens mal acquis » l’impunité continue

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Mondafrique

Dans un rapport publié le 19 novembre, les Ong « Sherpa » et « Transparency International France » font le bilan de la lutte contre la corruption et le blanchiment de capitaux en France, six ans après le déclenchement de l’affaire des Biens Mal Acquis.

Tout a commencé en 2007, lorsque l’Ong CCFD-Terre Solidaire a publié un rapport intitulé « Biens Mal Acquis profitent trop souvent : La fortune des dictateurs et les complaisances occidentales ». Une étude révélant les avoirs détournés par plus de 30 dirigeants de pays en développement. Après la parution de ce rapport, l’association Sherpa spécialisée dans la lutte contre la corruption a étudié les voies judiciaires pouvant être utilisées pour appréhender de tels avoirs lorsqu’ils sont localisés sur le sol français. Six ans après, le dispositif est encore loin d’être parfait, notamment en matière de lutte contre le blanchiement de capitaux.

Les réticences du Parquet

Parmi, les enseignements tirés de l’affaire des Biens mal Acquis, Sherpa et Trasparency International pointent certaines défaillances dans la mise en œuvre et notamment le contrôle des obligations de vigilance et de déclaration des avoirs introduits sur le territoire français. En outre précise le rapport,  » l’effectivité de la lutte contre le blanchiment apparait largement mise à mal par la réticence du Parquet à donner suite aux informations transmises par la cellule de Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (TRACFIN) ».

Par ailleurs, le rapport souligne que malgré l’existence d’une batterie d’obligations légales liées à la lutte contre le blanchiment, les sanctions administratives restent peu appliquées. « Une première difficulté apparaît lorsque le professionnel assujetti au dispositif anti-blanchiment et l’autorité de contrôle sont le même organisme. C’est le cas particulier de la Banque de France, à laquelle l’Autorité de contrôle prudentiel est « adossée », sachant que le gouverneur est également le président de l’Autorité de contrôle. Rappelons ainsi qu’un certain nombre de transactions suspectes mises en évidence par l’enquête sur les « Biens Mal Acquis » ont transité par la Banque de France sans que cette dernière ne prenne soin d’établir la moindre déclaration de soupçon. »

Impunité

En plus des défaillances du contrôle administratif, le rapport dénonce la rareté des condamnations pénales prononcées à l’encontre des professionnels qui auraient sciemment facilité des opérations de blanchiment de capitaux sur le territoire français.

« Entre 2000 et 2011, onze notes d’information ont ainsi été transmises par TRACFIN au Parquet de Paris concernant les personnes visées dans la plainte
des « Biens Mal Acquis ». Pourtant, à aucun moment, y compris après le dépôt de la plainte en 2007, le Parquet n’a jugé utile de poursuivre. De même, en juin 2011, TRACFIN informait le Parquet que Teodorin Nguema Obiang avait dépensé pas moins de 18 millions d’euros lors de la vente aux enchères de la collection d’Yves Saint-Laurent et de Pierre Bergé. Cette transaction avait tout du cas d’école. En effet, elle a été effectuée par un ministre d’un État étranger par ailleurs visé par une plainte pénale en France pour des activités présumées de blanchiment d’argent, et elle portait sur une somme considérable, qui a été réglée par une société forestière équato-guinéenne. Malgré tout, là encore, le Parquet a refusé d’engager des poursuites. »

Une impunité qui laisse libre court à la multiplication des infractions liées au blanchiment de capitaux. Aujourd’hui, selon les chiffres du Groupe d’Action Financière (GAFI), le montant des sommes provenant de la grande corruption blanchies dans un autre État que celui d’origine de l’argent public corrompu oscille entre 10,365 milliards de dollars et 17,385 milliards de dollars.

Afin de renfrocer le dispositif actuel de lutte contre le blanchiment de capitaux, le rapport présente finalement une série de recommandations:

Proposition n° 1 : Diligenter, à l’instar d’autres pays, une mission d’information parlementaire sur le blanchiment de capitaux, en France, du produit de la corruption transnationale.

Afin de faire la lumière sur le rôle exact des institutions financières françaises et autres professions réglementées dans le processus de blanchiment des produits de la corruption transnationale, ainsi que de relever avec précision les défaillances du système de prévention/détection du blanchiment en vigueur, nous proposons que soit diligentée une mission d’information parlementaire sur le blanchiment du produit de la corruption transnationale. De telles initiatives ont déjà eu lieu au Royaume-Uni, ainsi qu’aux Etats-Unis, où le Sénat américain a diligenté plusieurs grandes missions d’information en la matière.

Proposition n° 2 : Généraliser le contrôle des professionnels assujettis aux obligations de vigilance et de déclaration de soupçon et accroître l’effectivité de ce contrôle

L’effectivité du contrôle des obligations de vigilance et de déclaration auxquelles sont soumises les professions réglementées est un élément essentiel du dispositif de lutte contre le blanchiment. Or, à ce jour, ce contrôle n’a pas encore été généralisé à l’ensemble des professions réglementées. A cet égard, nous tenons une nouvelle fois à souligner l’absence d’organisme de contrôle concernant les marchands de biens précieux, alors même que cette profession est confrontée, comme le souligne la Cour des comptes, à un risque élevé de pratiques de blanchiment. Il convient en outre d’assurer la pleine indépendance des autorités de contrôle.

Proposition n° 3 : Rendre effectives et dissuasives les sanctions administratives et judiciaires prononcées à l’encontre des professionnels qui auraient manqué à leurs obligations.

Ainsi que le relève la Cour des comptes, la « prévention anti-blanchiment passe également par le caractère dissuasif des sanctions administratives et judiciaires effectivement prononcées »23. En d’autres termes, il s’agit de modifier profondément l’équation « risques-profits » précédemment évoquée en prononçant les sanctions administratives et judiciaires prévues par la loi. A cet égard, il conviendrait d’envisager un renforcement des sanctions applicables, au regard de la gravité des faits reprochés, de l’importance du dommage causé à l’économie, de la situation de l’entité sanctionnée et de l’éventuelle réitération des pratiques prohibées.

Proposition n° 4 : Renforcer les moyens humains et financiers alloués à la lutte anti-blanchiment.

Nous nous associons au GAFI et à la Cour des comptes pour regretter le manque de moyens financiers et humains alloués à la cellule TRACFIN et, plus généralement, à la lutte contre le blanchiment. En effet, un dispositif, aussi complet soit-il, ne peut fonctionner efficacement sans moyens suffisants. Des moyens supplémentaires doivent être alloués aux entités de lutte contre le blanchiment, tant au niveau du contrôle des professionnels assujettis aux obligations de vigilance, qu’au niveau de l’enquête et du traitement des déclarations de soupçon adressées à TRACFIN.

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