Le point de vue de Samuel Nguembock, chercheur associé à l’IRIS
3 ans après la prise du pouvoir d’Alassane Ouattara : où en est la Côte d’Ivoire ?
Comment peut-on expliquer ce mouvement de mobilisation des militaires ivoiriens ? Le gouvernement garde-t-il le contrôle de ses hommes ?
Il est impératif de retenir que nous sommes aujourd’hui très loin d’une mutinerie visant à déstabiliser le pays. Cette mobilisation des militaires n’a ainsi rien à voir avec la situation globale de la sécurité nationale. Il s’agit simplement d’une question relative à l’environnement et aux conditions de travail des militaires ivoiriens ainsi qu’au retard pris dans le versement de soldes. 476 militaires de l’ex-Force de défense et de sécurité de Côte d’Ivoire avaient ainsi été intégrés en 2011 à l’armée nationale mais revendiquent des impayés de solde depuis 2009. 8.400 sous-officiers réclament également le versement de leurs soldes impayées depuis 2011. Cette mobilisation est donc purement et simplement d’ordre pécuniaire. Le gouvernement ivoirien garde pleinement le contrôle de ses hommes. Depuis la crise post-électorale, il a tout particulièrement œuvré pour stabiliser le pays, renforcer la sécurité et, notamment, la professionnalisation de l’armée. Plusieurs acteurs internationaux se sont engagés en ce sens. On peut ainsi penser au partenariat passé entre le Conseil national de sécurité – instance sous la tutelle directe de la présidence de la République – et l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI), qui a permis le lancement de divers programmes de formation à l’adresse des hommes des forces armées (armée de l’air, armée de terre et marine) ainsi que de la police et de la gendarmerie ivoiriennes. Un effort particulièrement important a été réalisé sur ces deux dernières afin de les professionnaliser et de permettre un meilleur partage du renseignement entre ces deux entités. Cette professionnalisation s’est notamment révélée dans la manière dont les militaires ont présenté leurs revendications, en demeurant posés et calmes et en adressant des messages clairs au pouvoir central pour que ce dernier réexamine leurs conditions de travail.
Quelle est aujourd’hui la situation de la Côte d’Ivoire ? Où en est la reconstruction politique et économique du pays ?
Sur le plan politique, un gros travail de consolidation du processus électoral a été réalisé. Depuis octobre dernier, plusieurs acteurs (les Nations unies, etc.) ont ainsi apporté une aide à la formation de la Commission électorale indépendante – dont la composition a été renouvelée à plusieurs reprises – en vue des élections présidentielles de 2015. Une réhabilitation des institutions a ainsi effectué sur le plan purement institutionnel. Des réformes demeurent néanmoins nécessaires à l’intérieur de la structure des partis du système politique ivoirien. Le parti de l’ancien président Laurent Gbagbo, le Front populaire ivoirien (le FIP), demeure ainsi traversé par des tensions profondes et n’est pas d’accord sur le candidat à soutenir lors des prochaines élections. La stabilité politique à l’échelle nationale contribue à expliquer les succès remportés par le pays sur le plan économique. En effet, la Côte d’Ivoire a connu une croissance de près de 9.8% en 2012 et de 8.7% en 2013. Dans le même temps, le pays possède le premier secteur bancaire – avec plus de 80 banques de grande renommée – de l’Afrique francophone. C’est donc un pays, qui observe un très fort dynamisme économique et présente des gages crédibles – en termes d’indicateur macroéconomique – pour les investisseurs, ce qui lui permet d’emprunter sur le marché international à des taux extrêmement bas, comparés aux autres pays africains.
Comment s’organise la justice transitionnelle et est-elle effective ? Est-elle toujours une source de clivage au sein de la population ? A l’origine, la justice transitionnelle n’était pas une source de clivage au sein de la population ivoirienne. Le discours tenu par l’ancien président de la « Commission pour le dialogue, la vérité et la réconciliation », Charles Konan Banny, avait en effet contribué à apaiser les tensions alors que ce dernier multipliait les opérations de sensibilisation sur l’ensemble du territoire en vue d’une réconciliation nationale. Mais la volonté de remettre au centre des négociations le bourreau et la victime n’a pas porté ses fruits, ce qui a contribué à cliver la population, avant que cette opération ne soit finalement annulée. On peut néanmoins observer une réelle accalmie et une désescalade des tensions sur l’ensemble du territoire national. Compte tenu de la profondeur des cicatrices qui ont du mal à se refermer, il est nécessaire de prendre ses précautions et d’observer du recul vis-à-vis de ces évolutions. Il convient d’espérer que les futures échéances électorales ne vont pas alimenter les clivages au sein de la population ni rouvrir ces plaies au risque de menacer les efforts fournis ces 4 dernières années en termes de réconciliation nationale.
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