Des mois qu’il hésite à passer outre la consigne de son parti, le PDCI, et à se présenter à la présidentielle de 2015 face à Alassane Ouattara. Le pouvoir, Charles Konan Banny en rêve, et son âge ne lui permet pas d’attendre 2020. Portrait d’un ambitieux.
Les lumières scintillent sur son élégant boubou bleu. Charles Konan Banny est sur le devant de la scène et il aime ça. Un micro à la main, il entonne le premier couplet de Non, je ne regrette rien, d’Édith Piaf. Un karaoké improvisé pour agrémenter un délicieux dîner mondain donné, en cette fin octobre, dans les jardins de sa résidence de Morofê, à Yamoussoukro. Les frères aînés de l’ancien Premier ministre, Jean (ministre de la Défense sous Houphouët-Boigny) et François (un général formé à Saint-Cyr), se sont joints aux invités.
Il y a, ce soir-là, du beau monde : des anciens chefs de gouvernement maliens et sénégalais, de hauts responsables onusiens, des artistes, des hommes d’affaires et même le père polonais Stanislaw Skuza, le recteur de la basilique Notre-Dame-de-la-Paix. La voix de Charles Konan Banny ne tremble pas : « C’est payé, balayé, oublié… Je me fous du passé ! » Le public, amusé, ne s’y trompe pas. Il sait reconnaître la mélodie du pouvoir.
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Charles Konan Banny a des ambitions, ce n’est un secret pour personne. Il n’a pas digéré que, le 17 septembre, Henri Konan Bédié, le patron du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), l’ancien parti unique dont Konan Banny est l’un des poids lourds, appelle à soutenir le président Ouattara à l’élection de 2015. Il refuse encore d’officialiser sa propre candidature (il a soigneusement évité de répondre aux questions de Jeune Afrique), mais ses proches s’en chargent pour lui – et l’on a peine à croire qu’ils puissent le faire sans son aval : ce soir-là, à Morofê, c’est bien un candidat à la magistrature suprême qui est monté sur scène.
Solder ses comptes
Dans les couloirs du PDCI, les proches de Bédié ont tenté de faire taire les mécontents. Si Bédié a rallié Ouattara, expliquent-ils, c’est parce que le parti ne pouvait aligner de candidat ayant une envergure suffisante face au Rassemblement des républicains (RDR). En 2020, poursuivent-ils, les choses seront différentes : on pourra négocier une alternance avec Ouattara et faire élire un homme du PDCI. Mais Konan Banny ne peut plus attendre : comme le président, qui aime à l’appeler « petit frère », il a 72 ans, et la Constitution fixe à 75 ans la limite d’âge des candidats.
Et puis ce banquier formé à l’Essec, à Paris, gouverneur de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) pendant quinze ans, n’est pas dupe : il sait que Bédié et Ouattara, les anciens ennemis qu’Houphouët-Boigny l’avait autrefois chargé de rapprocher, ont tout fait pour l’isoler et il n’aime pas être ainsi tenu à l’écart du pouvoir, lui qui fut, entre 2005 et 2007, le Premier ministre de la « réconciliation » de Laurent Gbagbo. Il veut croire qu’il peut capitaliser sur le vent de colère qui souffle sur le PDCI et qu’il tient là une occasion unique de revenir sur le devant de la scène politique. Et de solder les comptes avec Bédié.
Konan Banny ne veut pas y aller de manière frontale. Il n’est « ni frondeur ni suiveur, mais rassembleur », insiste son entourage. Mais il ne serait pas loin de partager l’opinion de son frère Jean, qui, en 2002, alors que Bédié reprenait le contrôle du PDCI, lâchait : « On ne confie pas la garde du canari familial à celui qui en a déjà cassé un. » Bédié avait été chassé un peu trop facilement du pouvoir en 1999, estimait-il. Léon Konan Koffi, neveu et conseiller spécial de Konan Banny, se contente de dire que son oncle « pense que Bédié essaie de tuer le PDCI avec une pensée unique ». « Charles est là pour réaliser le projet familial de pouvoir, résume un vétéran de la vie politique ivoirienne. Son ascension, c’est la réussite que Jean n’a jamais eue. » Sauf que le clan Banny de Yamoussoukro a beau être soudé, ses chances sont minces.
Arrogance hautaine de bien né
Cela ne l’empêche pas d’organiser sa future campagne. « L’Ouest est à conquérir et constitue un enjeu électoral crucial », explique Léon Konan Koffi. Mi-octobre, Konan Banny a effectué une visite à Méagui, dans le Sud-Ouest, avant de se rendre à Touba, dans le Nord dioula – la région de son épouse, Massandié. Sûr de lui, il pense pouvoir incarner une alternative à la candidature unique et s’enorgueillit de connaître toute la classe politique ouest-africaine. Mais son réseau a vieilli avec lui et compte beaucoup « d’ex-« . Quant à ses soutiens au PDCI, ils sont timides. En interne, plusieurs frondeurs lui reprochent de trop hésiter, d’être timoré même, et rappellent qu’en octobre 2013, lors du congrès du parti, Konan Banny s’est bien gardé d’officialiser sa candidature à la succession de Bédié quand d’autres – Alphonse Djédjé Mady, Yao Kouassi ou Bertin Konan Kouadio – sortaient du bois.
Il devra donc soigner son image, tenter de se départir de cette arrogance hautaine de bien né souvent panachée d’une tendance à l’autoritarisme, aux dires de ses collaborateurs. « Le problème, constate un diplomate français, c’est qu’il n’est pas attachant. » D’ailleurs, sur l’échiquier politique français, qu’il suit de près, il se sent assez proche de l’ancien Premier ministre Alain Juppé, qu’il a rencontré pour la première fois en avril 2013, à Bordeaux. Comme Juppé, engagé dans la primaire de l’UMP, Konan Banny entame sa dernière bataille pour la présidentielle. Comme Juppé, il doit affronter une machine de guerre politique dont il a été l’un des rouages. En 2010, n’avait-il pas lui aussi appelé les militants du PDCI à voter en bloc pour Allah N’Guessan (surnom baoulé de Ouattara) au second tour ? N’a-t-il pas mené campagne pour lui dans le centre du pays, son fief familial et sa zone d’influence ?
Éternel successeur de Ouattara, comme gouverneur de la BCEAO puis comme Premier ministre, Konan Banny dément toute « blessure narcissique » et affûte ses arguments. Ouattara n’a pas trouvé l’alchimie pour ramener le Front populaire ivoirien (FPI, opposition) dans l’arène politique, mais lui pense pouvoir cornaquer une « cinquième colonne », qui réunirait des mécontents du PDCI, du FPI et du RDR.
Un doux rêve ? Dans les rangs du parti de Laurent Gbagbo, les desseins présidentiels de Konan Banny suscitent l’indifférence. Au sein de l’appareil du PDCI, on souligne que « jamais il n’est venu présenter sa candidature au président Bédié ». L’ancien Premier ministre ne serait-il qu’un velléitaire ? Ira-t-il au bout de sa démarche ? Ils sont plusieurs à penser que non, sans toutefois sous-estimer sa capacité à diviser le vote baoulé et à affaiblir un report des voix sur le candidat Ouattara. Dans l’entourage du chef de l’État, enfin, l’homme est considéré comme un épiphénomène auquel on rappelle qu’il n’a toujours pas remis le rapport de la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation (CDVR), qu’il a présidée.
Trop sûr de lui ?
Car dans la course à la présidentielle, Konan Banny pâtit du bilan très mitigé de la CDVR dont Ouattara lui avait confié la tête, en 2011. La commission a clôturé ses travaux le 30 septembre, après trois semaines d’audiences publiques, mais elle a laissé un goût d’inachevé, et son président s’est retrouvé désigné comme l’unique responsable d’un échec pourtant collectif. Lui déplore que ses trois années de travail éreintant ne soient pas reconnues à leur juste valeur. Il en veut au gouvernement, qui ne lui a pas apporté le soutien politique et financier escompté ; il regrette – avec une bonne dose de rancoeur – le silence imposé sur les travaux d’une commission qu’il a portée à bout de bras.
Pour pallier l’absence de locaux, il avait mis à disposition sa splendide résidence d’Abidjan ; c’est là qu’a été reçue la délégation du Conseil de sécurité de l’ONU en avril 2012. À bord de son Range Rover, il a sillonné avec ses équipes les routes d’un pays divisé pour mettre en place les commissions locales et créer les conditions d’un dialogue intercommunautaire.
Lui, le notable baoulé coutumier des fastes de la République, a entendu les témoignages crus des victimes et découvert une réalité aux antipodes des cénacles du pouvoir. Il savait bien que la finalité cachée de sa nomination était de le neutraliser. Mais, sans doute trop sûr de lui, il a vu là une opportunité de marquer l’histoire de la Côte d’Ivoire, d’ajouter une ligne de réconciliateur à son CV. Pari perdu. « Non ! Rien de rien… Non ! Je ne regrette rien », chante Konan Banny, avant de monter dans les aigus : « Je repars à zéro ! »
Par Joan Tilouine, envoyé spécial de Jeune-Afrique
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