Le cas du Burkina Faso montre combien un peuple doit prendre en main son destin et ne pas compter sur une puissance étrangère pour lui venir en aide.
Par MD Nana Sei [*]
Les habitants du pays des hommes intègres ont su indiquer leur ras-le-bol, en scandant « NON ! » aux tentatives de modification de l’article 37 de la constitution du Burkina Faso qui permettait au Président Blaise Compaoré de se porter encore candidat aux élections de novembre 2015, après avoir déjà passé 27 ans au pouvoir.
Autopsie d’une insurrection populaire
Le vœu le plus cher du peuple burkinabé, jusqu’à lors, était seulement d’empêcher la révision de la constitution afin que le Président Blaise Compaoré ne puisse pas se porter candidat à sa propre succession aux Présidentielles de 2015. Cette « petite » prière était cependant tombé sur des oreilles dures qui n’ont pas voulu laisser le message passer par le tympan.
La bataille de Ouaga
Le peuple burkinabé s’est donc mobilisé, animé par la société civile et les partis de l’opposition, en organisant des manifestations et en décrétant une grève générale. Toujours, les oreilles présidentielles n’ont pas entendu leur prière. Les yeux présidentiels n’ont pas vu non plus la colère du peuple. Alors, la veille du jour prévu pour passer le projet de loi portant sur la révision de la constitution au Parlement (mercredi soir) a vu beaucoup de gens, inspiré par leur devise « la Patrie ou la mort, nous vaincrons », défier les armes des forces de sécurité pour se réunir à la Place Nationale (rebaptisée Place de la Révolution), ce qui a donné suite à l’incendie (malheureusement) du Parlement et du siège du parti au pouvoir CDP (Congrès pour la Démocratie et le Progrès) ainsi que la prise d’assaut des locaux de la RTB (Radiodiffusion Télévision du Burkina) le jeudi 30 octobre, le jour J de la révision constitutionnelle.
Ce soulèvement populaire s’est avéré le seul langage que les oreilles présidentielles comprennent. D’abord, l’armée a notamment annoncé la dissolution du gouvernement, la suspension du Parlement et la mise sur pied d’une transition qui aboutirait aux élections de 2015. Le soir, le Président déclarait dans un discours à la nation télévisé qu’il ne démissionnait pas mais qu’il abandonnait l’idée de réviser la constitution… comme pour balayer l’annonce de l’armée d’un revers de main. Le peuple était jeté dans une confusion totale. Le jeudi matin, ils se demandaient: qui tenait les rênes du Faso, Beau Blaise ou l’armée ? Le peuple a alors durci le ton, réclamant le départ immédiat du Président. Le jeudi 31 octobre, dans la matinée, le Président Compaoré baissait l’échine et démissionnait. L’armée annonçait avoir pris acte de la démission de Blaise Compaoré et, constatant la vacance du pouvoir, déclarait que « le chef d’état-major Honoré Traoré prend la tête du pays ». J’entends encore les voix qui exprimaient leur préférence pour le Général Kouamé Lougué et non Honoré Traoré… Encore de la confusion ?
Si la prière du peuple avait été exaucée même 24 heures plus tôt, cela allait éviter tous les tracas et la descente immédiate du pouvoir de Beau Blaise.
Inspiration du Sénégal
Ce soulèvement populaire du peuple du Faso suit un mouvement similaire qui a résisté aux tentatives de modification de la constitution au Sénégal par le Président Abdoulaye Wade. Clairement, les Africains montrent leur maturité en démocratie et leur désir de voir leurs leaders respecter les textes constitutionnels.
Le rôle de l’armée
Beaucoup critiquent l’armée d’être restée fidèle au Président Compaoré même quand le peuple était contre lui. Ceci est bien ce qui est attendu d’une armée républicaine : ne pas intervenir dans la gestion des affaires de la République mais plutôt défendre ceux qui tiennent les rênes de l’État. Néanmoins, l’on pourrait saluer l’armée pour n’avoir pas ouvert le feu sur les manifestants, ce qui aurait conduit à un bain de sang. Ceci pourrait signifier que l’armée était contre la décision du Président, mais par « républicanisme », était obligé de lui rester fidèle. Le refus de massacrer les manifestants témoignerait donc leur soutien de la cause du peuple burkinabé.
Et l’après Compaoré ?
Tout compte fait, il est admissible de dire que le lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida qui a été désigné, le samedi 1er novembre, par l’armée à la tête de la transition au Burkina Faso, doit laisser le peuple burkinabé à « manger de la sueur de leur front » en laissant place à une transition dirigée par un civil, puisque c’est l’effort civil qui a contraint le Président Compaoré à la démission.
Maintenant que Beau Blaise est parti, on n’attend rien d’autre que l’organisation d’élections libres et transparentes d’un Président qui tachera d’obéir scrupuleusement à présider sur les hommes intègres pour un quinquennat renouvelable une seule fois.
Leçons pour l’Afrique
Le cas du Burkina montre combien un peuple doit prendre en main son destin et ne compter ni sur une puissance étrangère ni sur une organisation régionale ou sous-régionale pour lui venir en aide. Il aura fallu compter sur le courage du peuple pour chasser le Président du pouvoir, tandis que la France tenait des réunions avec l’opposition burkinabé afin de les amener à accepter à ce que Blaise Compaoré (avant sa démission) dirige une transition qui conduirait à des élections en 2015. La Cédéao, de son côté, faisait une déclaration à la presse appelant la population au calme.
Aussitôt que le peuple a obtenu le départ du Président Compaoré, la France, la Cédéao, l’Union Africaine, etc. se sont alors rangées du côté du peuple. Quelle hypocrisie !
Si Joseph Kabila de la RD Congo, Yayi Boni du Bénin ou tout autre chef d’État africain nourrissent encore une ambition à la Blaise Compaoré, qu’ils se ravisent, car leurs peuples ont suivi de près la bravoure des Burkinabés et des Sénégalais et résisteront aussi, à leur tour, à toute tentative d’obtenir une constitution génétiquement modifiée.
—
[*] MD Nana Sei est entrepreneur et contributeur au projet IMANI francophone.
Les commentaires sont fermés.