Auteur: Mickael Eloge Guey Article publié en collaboration avec Libre Afrique
Le 22 octobre dernier, avait été annoncé l’ouverture devant la Cour d’Assises du Tribunal d’Abidjan, le procès de 83 proches de Laurent Gbagbo dont l’ex première dame (Simone Ehivet Gbagbo), pour leur responsabilité présumée dans la crise postélectorale qui a fait plus de 3000 morts. La session a été finalement reportée à une date ultérieure. À l’heure où les indicateurs ainsi que les observateurs internationaux annoncent une nette amélioration du système juridique ivoirien nonobstant plusieurs insuffisances, quel pourrait être l’impact de ce procès sur l’image que reflète la justice ivoirienne ?
D’abord, un tel procès est susceptible de dégrader l’image de la justice ivoirienne. En effet, depuis la fin de la crise postélectorale, la justice appliquée par les autorités ivoiriennes a été qualifiée, par plusieurs observateurs, de justice des vainqueurs et ce procès s’inscrit dans la même veine car aucune des 83 personnes qui doivent comparaitre devant les juges ne peut être rattachées au régime actuel. Toutes sont, comme annoncé dans la presse, des « pro Gbagbo ». Cela n’est donc pas favorable au rétablissement de l’image de la justice ivoirienne car tous les rapports établissent que les violations observées sont imputables aussi bien à des pro Gbagbo qu’à des pro-ADO (Alassane Dramane Ouatarra, Président actuel de la Côte d’Ivoire). L’équité voudrait normalement que des procès soient également faits dans le camp des derniers cités.
Ensuite, notons que l’un des prévenus qui doit comparaître devant la Cour d’Assises est Simone Gbagbo. Celle-ci fait parallèlement l’objet d’un mandat d’arrêt international délivré par la CPI qui demande à la juger. Les autorités entendent profiter d’un tel procès, qui sans nul doute sera très médiatisé, pour redorer le blason de la justice ivoirienne. Mais une telle entreprise comporte des risques car selon l’article 20 paragraphe 3 point b du statut de Rome, une personne jugée pour un comportement relevant de la compétence de la cour peut être à nouveau jugée par la CPI s’il est établi que la procédure devant cette juridiction « n’a pas été au demeurant menée de manière indépendante ou impartiale (…)». Si la CPI venait à invoquer cet article pour demander à rejuger Simone Gbagbo, cela constituerait un acte de désaveu pour la justice ivoirienne.
Enfin, le procès qui s’ouvre vise à faire comparaître plus de 80 personnes devant le tribunal pour faits qualifiés d’atteinte à la sureté de l’État. Il y a une réelle complexité dans une procédure impliquant une seule personne et cela se multipliera par le nombre de personnes à comparaître. Au-delà, la plupart des personnes inculpées sont poursuivies pour d’autres chefs d’inculpations qui feront l’objet d’autres procès par la suite. Cela parait incongru dans la mesure où la Côte d’Ivoire a opté pour le non cumul des peines de faire plusieurs procès contre les mêmes personnes d’autant que cela requiert des ressources financières et humaines supplémentaires. Il aurait été intéressant de joindre dans chaque cas toutes les charges pesant contre chacun des inculpés afin de les juger une bonne fois pour toutes. La situation telle qu’elle se présente est de nature à conforter les tenants de l’idée de procès suivant un calendrier politique inavoué, car les inculpés sont majoritairement des hommes politiques, qui sont en pleine préparation des prochaines échéances électorales.
En revanche, ce procès peut conforter l’idée d’une amélioration notable de la justice ivoirienne. Selon l’indice de la liberté économique, l’Etat de droit, même s’il a connu une amélioration notable ces dernières années, n’est pas encore effectif. Ainsi, la réussite de ce test permettra à la Côte d’Ivoire de grignoter quelques points positifs. Cette réussite passera nécessairement par l’indépendance et l’impartialité des juges mais aussi par leur compétence et leur efficacité.
Dans un premier temps, en ce qui concerne l’indépendance des juges, les autorités ivoiriennes ont décidé de prôner la réconciliation par la justice et non par l’amnistie. Par conséquent, elles doivent laisser les juges travailler en toute indépendance et éviter toute instrumentalisation de la justice à des fins politiques. Ainsi, il faudrait éviter des simulacres de procès visant, soit à lever les charges pesant contre les accusés pour les inciter à s’inscrire dans le processus électoral à venir en intégrant la Commission Electorale Indépendante (CEI) en vue de crédibiliser les élections à venir. Soit à condamner ceux-ci ou certains d’entre eux pour écarter de la compétition électorale de potentiels candidats en vue de remporter les élections confortablement. L’indépendance des juges est donc capitale dans l’opération séduction que mène la justice ivoirienne auprès de la communauté internationale et nationale.
Dans un deuxième temps, il faut l’impartialité des juges et des jurés. Ceux-ci doivent éviter tout parti pris et juger les différents justiciables pour les faits qu’ils ont commis et non par rapport au parti politique dont ils se réclament. Lorsque l’on regarde de près, la majorité des jurés désignés pour ce procès est originaire du Nord alors que les clichés ont toujours présenté les partisans d’Alassane Ouattara comme étant des personnes provenant du Nord et les partisans de Gbagbo provenant du sud. Ceux-ci doivent par conséquent se mettre au dessus de ces considérations et respecter leur serment pour faire de ce procès une réussite pour la justice ivoirienne.
En outre, vu le caractère sensible et médiatisé de ce procès, il faudrait que les juges en charge de l’affaire remplissent les conditions de compétence et d’efficacité car leurs actions doivent permettre de lever les scepticismes sur la capacité de l’appareil judiciaire ivoirien à assumer son rôle d’organe de jugement de toutes les infractions commises en Côte d’Ivoire.
Comme nous pouvons le constater, ce procès constitue un couteau à double tranchant pour la justice ivoirienne, à elle de bien manier ce couteau sinon les conséquences seront lourdes pour la crédibilité de notre système judiciaire.
Mickael Eloge Guey, juriste, membre fondateur des Students for Liberty – Côte d’Ivoire
Article publié en collaboration avec Libre Afrique
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