A 23 h 57, heure de Moscou, le Falcon-50 du patron de Total percute une déneigeuse
Par Isabelle Mandraud (Moscou, correspondante)
« Il ne s’agit pas d’un tragique concours de circonstances, mais d’une négligence criminelle des fonctionnaires » de l’aéroport de Vnoukovo. Rendues publiques mardi 21 octobre à la mi-journée, telles sont les premières conclusions des enquêteurs russes sur les causes de l’accident d’avion qui a coûté la vie à Christophe de Margerie, PDG du géant pétrolier français Total, ainsi qu’à trois membres de l’équipage, lundi soir. Le Falcon-50 qui le ramenait en France a percuté un engin de déneigement sur la piste de décollage.
Mis en place mardi matin, le comité d’enquête avait, dans un premier temps, pointé quatre hypothèses – « erreur de pilotage, erreur du contrôle aérien, faute du conducteur de l’engin, mauvaise visibilité » –. Avant de cibler Vladimir V., le conducteur de la déneigeuse, âgé d’une soixantaine d’années, sorti indemne de l’accident mais choqué, et aussitôt soumis à des tests : « il était ivre » a rapidement rapporté Vladimir Markine, le porte-parole du comité d’enquête.
Une thèse contredite par l’avocat du conducteur, Alexandre Karabanov. « Sa famille assure qu’il ne boit jamais et qu’il était sobre. Il était toujours conscient de sa responsabilité au travail », a-t-il déclaré, cité par l’agence Ria-Novosti. Vladimir V. est, depuis, en état d’arrestation.
Quelques heures plus tard, ces mêmes enquêteurs mettaient en cause la direction de l’aéroport de Vnoukovo pour sa « négligence criminelle » et son incapacité à coordonner dûment le travail de ses employés, précisant que certains membres de la direction qui pourraient tenter d’entraver l’enquête seraient prochainement « suspendus de leurs fonctions ».
PREMIÈRES NEIGES ET BROUILLARD
Il était 23 h 57 à Moscou, lundi, 21 h 57 à Paris, lorsque le Falcon-50 de M. de Margerie, qui voyageait seul, s’est élancé sur la piste de Vnoukovo-3, un terminal réservé au transport privé d’hommes d’affaires. C’est le plus ancien aéroport de Moscou ; il est situé à 28 kilomètres au sud-ouest de la capitale russe.
Quelques secondes plus tard, le jet, en pleine accélération, heurtait avec son train d’atterrissage l’engin de déneigement présent sur le côté de la piste avant de se retourner et de prendre feu, ne laissant aucune chance à ses occupants. Des images furtives diffusées sur une chaîne de télévision locale ont montré les secours debout sur la carcasse fumante de l’appareil. Des débris ont été projetés à 200 mètres.
Dans un communiqué publié dans la nuit, Vnoukovo confirmait l’accident, en précisant que la visibilité était, au moment du crash, de « 350 mètres ». La veille, les premières neiges étaient tombées sur Moscou, mais elles avaient déjà fondu, les températures s’étant radoucies. Le brouillard qui s’était développé, provoqué par ce radoucissement, avait contraint les trois aéroports internationaux de Moscou à modifier quelques plans de vol de lignes régulières. Aussitôt après l’accident, l’aéroport Vnoukovo a été fermé, avant de reprendre ses activités vers 1 h 35 du matin.
M. de Margerie était bien connu en Russie, où il se rendait souvent, y compris lors du dernier Forum économique international organisé à Saint-Pétersbourg en mai, en pleine période de tensions entre Moscou et l’Occident en raison du conflit ukrainien. Il était venu participer, lundi, au Conseil consultatif des investissements étrangers (Foreign Investment Advisory Council, FIAC), rendez-vous annuel de grands investisseurs internationaux présents en Russie et coprésidé par le premier ministre russe, Dimitri Medvedev.
A la mi-journée, lundi, le PDG de Total, aussi coprésident de la chambre de commerce et d’industrie franco-russe, avait été invité dans la datcha de M. Medvedev, selon une source française. Mardi matin, Alexei Koudrine, l’ancien ministre russe des finances, a été le premier à réagir sur son compte Twitter: « Christophe de Margerie a fait beaucoup pour amener des investissements en Russie. Sa mort est une grande tragédie. »
Peu après, le président de Russie, Vladimir Poutine, a rendu public le télégramme de condoléances envoyé à François Hollande, pour déplorer la « perte d’un grand ami de la Russie » et « d’un grand entrepreneur à l’origine de beaucoup de projets communs (…) dans le domaine énergétique ». Par l’intermédiaire de son porte-parole, Dimitri Peskov, il a aussi salué le « dévouement continu » de l’homme d’affaires français « non seulement dans les relations franco-russes, mais dans toutes les formes de coopération ». Puis Dimitri Medvedev a pris le relais: « C’est une grande perte. M. de Margerie était un ami et un partenaire de notre pays (…) Il va nous manquer ». Le groupe Total est notamment le partenaire de Novatek pour le gigantesque projet gazier de Iamal dans le Grand Nord russe.
Isabelle Mandraud (Moscou, correspondante)
Le président du groupe pétrolier Total, Christophe de Margerie, est mort lundi 20 octobre dans le crash de son avion privé à l’aéroport de Vnoukovo, à Moscou. Il était âgé de 63 ans.
Une enquête pour «homicides involontaires» après la mort de Christophe de Margerie
Les experts industriels et responsables politiques présents à l’ouverture du Sommet international du gaz et de l’électricité observent à Paris une minute de silence en hommage à Christophe de Margerie. «Nous sommes nombreux à pleurer la mort d’un ami, un homme aux capacités exceptionnelles», déclare Pierre Terzian, directeur de la société Pétrostratégies, en ouvrant ce 19e sommet. «Il ne perdait pas le cap même dans les moments les plus difficiles. C’est une très grande perte pour sa famille d’abord […], pour Total, pour la France, pour l’industrie», a ajouté Terzian, devant une salle à moitié vide, beaucoup de participants ayant annulé leur venue après l’annonce de la mort de Christophe de Margerie, dont deux portraits géants étaient déployés de part et d’autre de l’estrade.
ENQUÊTE POUR «HOMICIDES INVOLONTAIRES»
Le parquet de Paris ouvre une enquête pour «homicides involontaires» apprend-on de source judiciaire. L’ouverture d’une enquête en France pour des faits survenus à l’étranger est courante lorsqu’une ou plusieurs des victimes a la nationalité française. L’enquête a été confiée à la Section de recherche de la gendarmerie des transports aériens.
L’accident a causé quatre morts : les trois membres d’équipage et Christophe de Margerie, qui voyageait seul, sans conseiller. Il revenait de la session plénière du Foreign Investment Advisory Council (FIAC), qui regroupe des dirigeants d’entreprises du monde entier et des représentants du gouvernement russe, et se déroule chaque année mi-octobre. Contrairement à ce qui avait été annoncé dans un premier temps, le conducteur de l’engin de déneigement a pour sa part survécu. Le comité d’enquête russe indique par ailleurs ce mardi que ce conducteur se trouvait en état d’ivresse au moment des faits.
ENQUÊTEURS DU BEA À MOSCOU
Le Bureau d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité de l’aviation civile (BEA) dépêche trois enquêteurs à Moscou pour tenter d’éclaircir les conditions de l’accident. L’appareil, immatriculé F-GLSA, était un Falcon 50 exploité par la compagnie Unijet. Il s’est écrasé au décollage après avoir heurté un engin de déneigement, a indiqué le BEA dans un communiqué. Outre Christophe de Margerie, l’accident a coûté la vie aux deux membres de l’équipage technique et à un personnel de cabine. Le BEA affirme aussi que le conducteur de la déneigeuse est également décédé, alors que, selon d’autres informations, il aurait survécu.
L’enquête sur les causes de l’accident sera menée par l’homologue russe du BEA, le MAK. Parmi les scénarios pouvant expliquer l’accident, le comité d’enquête russe a évoqué mardi «une erreur des aiguilleurs du ciel et les actes du conducteur de la déneigeuse», qui «était en état d’ivresse». Il a aussi avancé «les mauvaises conditions météorologiques et une erreur de pilotage». «Conformément aux dispositions internationales», le BEA participera à l’enquête en tant que représentant de l’Etat d’immatriculation de l’appareil, de construction (Dassault Aviation) et d’exploitation de l’avion, précise le BEA.
Total confirme dans un communiqué le décès de son président. «Les premières pensées de la direction et des employés du groupe Total vont à l’épouse, aux enfants et aux proches de Christophe de Margerie ainsi qu’aux familles des quatre autres victimes», a déclaré Total dans un communiqué.
L’aéroport de Vnoukovo est l’un des trois aéroports internationaux de Moscou. Situé au sud-ouest de la capitale russe, à une trentaine de kilomètres du centre, il dispose notamment d’un terminal pour les vols d’affaires.
Christophe de Margerie, 63 ans et père de trois enfants, a grandi dans une famille de diplomates et de dirigeants d’entreprises. Petit-fils de Pierre Taittinger, fondateur de l’empire du luxe et du champagne Taittinger, il étudie dans des établissements privés de Reims, Paris et Neuilly-sur-Seine, avant d’entrer à l’Ecole supérieure de Commerce de Paris. Il entre dans le groupe pétrolier en 1974, à la direction financière. Il était directeur général depuis 2007, PDG depuis 2010. Total est l’un des premiers groupes industriels français, et compte près de 100 000 salariés dans 130 pays.
Sous son égide, Total avait accéléré ces dernières années ses investissements dans l’exploration, pour remplir des objectifs ambitieux de croissance de sa production de pétrole, tout en menant d’importantes cessions d’activités. Le groupe avait amorcé une marche arrière en septembre dernier. La Russie est un pays important dans la stratégie du groupe, qui ambitionne d’en faire sa principale zone de production d’hydrocarbures à l’horizon 2020. Parallèlement, Total a restructuré ses activités en France, avec la fermeture de sa raffinerie de Dunkerque en 2010, puis la réorganisation de son site pétrochimique de Carling en Moselle annoncée l’an dernier.
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