Docteur PRAO Yao Séraphin
Selon de nombreux observateurs, le continent africain est devenu le lieu des taux de croissance les plus élevés au monde. Alimentée par la progression des cours de matières premières, l’urbanisation et l’émergence de nouvelles classes moyennes, la croissance africaine est entrée dans une dynamique durable qui contraste singulièrement avec l’atonie des économies occidentales. Mais il faut s’interdire tout excès d’enthousiasme car l’Eden promis par la croissance économique rivalise avec des crises politiques et humanitaires récurrentes. Il y a certes quelques exceptions mais l’Afrique subsaharienne reste la région la plus pauvre du monde et elle est à la peine en matière de rattrapage : au cours des cinquante dernières années, son PIB moyen par habitant en parité de pouvoir d’achat est passé de 7% à 4,5% du PIB par habitant des Etats-Unis. C’est dans ce contexte que tous les Présidents africains sans rire parlent d’émergence économique. Le Président Ivoirien a d’ailleurs fait de l’émergence économique son slogan. En Côte d’Ivoire, désormais tout se conjugue à l’émergence économique. Cette présente réflexion a pour seul objet de relativiser ce pompeux slogan car l’émergence économique nécessite une croissance de bonne qualité.
La médiocrité de la croissance en Côte d’Ivoire
Certes, la croissance économique de ces dernières années a été forte. Un taux de croissance de 9,8% en 2012, 8,8% en 2013. Mais sa qualité est médiocre : elle est fragile et n’est pas inclusive, car elle provient d’abord de secteurs d’activités basés sur l’extraction des ressources primaires, peu créateurs d’emplois et avec un faible impact sur les revenus. Avec les annulations bilatérales et des institutions financières internationales, le pays a eu des marges de manœuvre importantes pour investir dans les infrastructures. Toutefois, la croissance n’est pas inclusive parce qu’elle ne profite pas à tous les Ivoiriens mais accaparée par une kleptocratie. Le taux de pauvreté est passé de 38,4% en 2002 à 48,9% en 2008. Aujourd’hui, selon l’Institut National de Statistique, 48.49% de la population est économiquement faible. Tandis que 70% des familles éprouvent des difficultés à se nourrir, 68 autres ont du mal à se soigner. Le milieu rural reste le plus affecté par la pauvreté (62,5% en milieu rural contre 29,5% en milieu urbain). En Côte d’Ivoire, le secteur informel occupe 90% de la population active sans protection sociale, ni rémunération suffisance. Par ailleurs, un habitant sur deux vit en dessous du seuil de pauvreté dans notre pays. C’est-à-dire avec moins de 450 FCFA par jour. Le système ivoirien de protection sociale se caractérise par un faible taux de couverture de la population et un nombre limité de risques couverts. Selon les récentes statistiques, la population couverte ne représenterait que 10 à 15% de la population nationale. En outre, des risques sociaux majeurs tels que la maladie et le chômage ne sont pas suffisamment, sinon pas du tout couverts par le système actuel.
Le capital humain est également en souffrance dans notre pays. Le taux net de scolarisation (primaire) est de 56,1% et celui d’accès à l’eau potable est de 61%. Ces piètres performances n’améliorent point l’indicateur du développement humain (IDH) qui, en Côte d’Ivoire, est seulement de 0,43. Au Gabon par exemple, l’IDH est de 0,68 ; 0,71 en Tunisie et 0,73 à l’Ile Maurice. D’ailleurs, le classement 2013 des meilleures universités d’Afrique vient démontrer la faible considération des autorités ivoiriennes pour la recherche. Aucune université de la Côte d’Ivoire ne figure sur la liste.
Une économie peu diversifiée
L’Afrique au Sud du Sahara n’a fait qu’esquisser sa transition économique. Elle est peu diversifiée, a trop peu de manufactures et la majorité de sa population active est dans le secteur informel : l’agriculture d’abord puis les services en milieu urbain (commerce, transport, construction, artisanat). Le secteur primaire représentait en 1997, 27,7% du PIB dont 8,6% pour l’agriculture d’exportation. Les produits vedettes (café et cacao) représentent plus de 30% des exportations et le secteur industriel n’a pas un poids conséquent. Le secteur agricole (24% en 2013) est le moteur de l’économie ivoirienne. Il emploie 70% de la population active, contribue à hauteur de 30% au produit intérieur brut (PIB) et représente 60% des recettes d’exportation En plus, près de trois quart du PIB sont constitués du secteur non échangeable (non marchand) qui comprend notamment l’agriculture vivrière.
Ces ressources exploitées étant aujourd’hui appelé à s’épuiser, il serait opportun d’entreprendre au niveau national et dans une moindre mesure, au niveau régional, la diversification des économies afin de réduire la dépendance aux ressources du sous-sol. Ainsi, le renforcement du capital humain entrepris dans les pays devrait contribuer à améliorer la gestion de ces ressources et à assurer l’émergence progressive d’un tissu industriel en Afrique.
La transition démographique
Elle est fondée sur l’idée que le développement économique conduit de manière universelle à une transformation de la dynamique des populations, allant dans le sens d’un régime démographique à mortalité basse et à fécondité faible. En 2011, la population de la Côte d’Ivoire aurait dépassé 22 millions d’habitants, avec un taux de croissance annuel de 2,8%, un taux brut de natalité de 37,9‰ et un indice de fécondité de 4,4 enfants par femme. Selon les prévisions des Nations Unies, la population devrait encore augmenter de 60% à 70% d’ici à 2030 et atteindre ainsi 34 à 36 millions d’habitants. Le ratio de mortalité maternelle se situe entre 470 et 543 décès pour 100 000 naissances vivantes à la fin des années 2000. Les données de l’enquête ivoirienne sur la fécondité indiquent une pratique contraceptive de l’ordre de 6,4 % à Abidjan contre 2,6 % en milieu rural et, en ce qui concerne les femmes sexuellement actives, de 21,5 % pour les femmes les plus instruites contre 2,4 % pour les femmes sans instruction.
L’augmentation de la population est une opportunité considérable puisque l’arrivée continue d’une force de travail jeune et nombreuse va améliorer le niveau d’activité et les possibilités de création de richesse. Mais c’est aussi un défi majeur puisque le besoin d’emplois, de formation, d’infrastructures va exploser.
Le développement économique doit conduire à terme à une diminution de la fécondité en raison de changements dans la structure socio-économique et de l’altération de l’organisation sociale traditionnelle qui en résulte.
Des reformes structurelles sont nécessaires
Le pays doit gérer son changement structurel, sa diversification économique et sa transition démographique, sous la contrainte du changement climatique et dans le contexte de la mondialisation qui, certes, offre des opportunités multiples, mais aussi apporte les contraintes de la concurrence internationale. Pour répondre à ces défis, le pays devra innover car il n’y aura pas de reproduction à l’identique des transitons passées.
L’offre de biens publics et sociaux et la mise en place de filets de sécurité et d’une protection sociale sont des composantes importantes d’un programme global de croissance inclusive. En conséquence, l’offre d’opportunités sociales, par exemple l’accès à la santé et à l’éducation, reste un élément de réduction des inégalités.
De même, l’inclusion est un concept qui doit englober l’équité, l’égalité des chances et la protection sur le marché et l’emploi.
Le secteur privé doit également jouer le rôle qui est le sien, c’est-à-dire rester l’élément central des efforts de développement. C’est ainsi que le pays pourra élargir la base de la croissance avec la diversification de l’économie. La modernisation de l’agriculture et l’agro-industrie constitueront sans doute le secret d’un décollage économique. Le secteur minier devra contribuer de manière conséquente au PIB car aux temps présents, le secteur secondaire contribue à 28% du PIB. Le sous-sol ivoirien contient de l’or, du diamant, du fer, du nickel, du manganèse, de la bauxite et du cuivre. Seuls l’or et le manganèse sont exploités industriellement.
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