Sylvain Mouillard
Kadidia Sy était poursuivie pour avoir exploité deux domestiques entre 2007 et 2010. Pour 45 euros mensuels, celles-ci travaillaient jusqu’à seize heures par jour.
Pour avoir exploité ses deux domestiques pendant plusieurs semaines entre 2007 et 2010, Kadidia Sy a été condamnée ce lundi par le tribunal correctionnel de Nanterre à un an de prison avec sursis et 300 euros d’amende. Cette Burkinabée de 34 ans, ex-maîtresse de Guillaume Soro, le président de l’Assemblée nationale ivoirienne, a été reconnue coupable d’avoir versé une rémunération insuffisante à une personne vulnérable et d’avoir imposé des conditions de travail indignes. Elle devra également verser 15 000 et 12 000 euros de dommages et intérêts aux plaignantes. Le parquet avait requis à son encontre trois mois de prison avec sursis et 5 000 euros d’amende.
Lors de l’audience du 9 septembre, Rosalie et Marie, les deux plaignantes, étaient venues raconter leur histoire. Celle de Rosalie commence au Burkina Faso en 2006. La jeune femme est embauchée par Kadidia Sy, à la recherche d’une nounou pour s’occuper de son petit garçon, né d’une relation avec Guillaume Soro. L’enfant est hémophile, et sa mère décide de venir régulièrement en France pour le soigner. Dans ses bagages, elle emmène Rosalie.
A Paris, la soi-disant «dame de compagnie» est en réalité bonne à tout faire. Dans l’appartement du XVIe arrondissement où le trio est logé, elle dort dans le même lit que l’enfant. Tous les matins, elle est debout à cinq heures pour la préparation du biberon. Elle sort le bébé au parc, l’accompagne à l’hôpital Necker quand il est hospitalisé. La jeune femme s’occupe du ménage, des courses, des lessives. Sa journée de travail s’achève vers 22 heures. Rosalie touche 45 euros par mois, l’équivalent du Smic burkinabé, sans congés ni jours de repos. «Elle donnait les ordres, j’exécutais», avait raconté la plaignante à la barre, se souvenant des «insultes» de sa patronne, ainsi que des menus différenciés. «Je ne mangeais pas les mêmes choses que Mme Sy. J’avais du riz, et parfois elle me proposait les restes de son repas.»
«UNE AMBIANCE CULTURELLE QUI PEUT AMENER À DES INTERPRÉTATIONS DIFFÉRENTES»
En 2008, Rosalie parvient à reprendre sa liberté, mais sa plainte n’aboutit pas. Ce n’est qu’en 2010, après que Marie a raconté le même schéma d’exploitation, que la justice française s’empare du dossier. Embauchée en 2008, la deuxième plaignante a décrit aux policiers des journées de travail de seize heures, pour 45 euros mensuels. «Je commençais ma journée à 6 heures du matin et préparais le petit-déjeuner de l’enfant, qui se levait à 8 heures. Mme Sy se levait entre 10 et 11 heures, je lui apportais un bol de céréales au lit. Ensuite, je faisais le repassage, le ménage, les courses. Je mangeais les restes et me couchais avec l’enfant vers 23 heures.»
Reconnaissant tout juste sa méconnaissance du droit du travail hexagonal («Je ne savais pas qu’il fallait les payer au Smic français»), Kadidia Sy avait, lors de l’audience du 9 septembre, dénoncé l’attitude de ses anciennes «employées» : «Elles ont décidé de se liguer contre moi pour avoir de l’argent et des papiers et rester en France. J’ai déjà entendu parler de nounous qui portent plainte pour obtenir des sommes faramineuses.»
Son avocat avait demandé de «prendre en compte une ambiance culturelle qui peut amener à des interprétations différentes» du code du travail, et réfuté les accusations de «traite d’êtres humains». Sur ce dernier point, le tribunal lui a donné raison. «C’est dommage, car j’estime que les conditions étaient bel et bien réunies», réagit David Desgranges, l’avocat des deux plaignantes. Mais pour le reste, il se dit «globalement satisfait», notamment par le montant des dommages et intérêts.
Sylvain MOUILLARD
Liberation.fr
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