La cour d’assises des Bouches-du-Rhône a condamné, jeudi 2 octobre, Christophe Morat, 40 ans, à douze ans de réclusion criminelle. Ce conducteur de cars d’Istres (Bouches-du-Rhône) a été reconnu coupable d’administration de substance nuisible avec préméditation ayant entraîné une infirmité permanente ou une atteinte psychique. Durant quatre années, il avait exposé ses partenaires au virus du sida par des relations sexuelles non protégées et en taisant sa séropositivité.
Cinq femmes, la plupart connues via un site de rencontres, n’ont pas été contaminées, à la différence d’une compagne qui, elle, avait eu connaissance du statut sérologique de Christophe Morat. L’homme avait en effet déjà été condamné en 2005 à six ans de prison pour avoir contaminé deux femmes alors qu’il se savait atteint par le VIH.
Evoquant l’« œuvre destructrice » de l’accusé, l’avocate générale Martine Assonion avait requis quinze années de réclusion « compte tenu des enjeux, de la personnalité de l’accusé, des dégâts qu’il a occasionnés dans la vie physique et psychique des victimes ». Mme Assonion a estimé qu’à sa sortie de prison, « il sera à nouveau une bombe humaine qui entreprendra des relations sexuelles avec d’autres ». Christophe Morat avait été condamné, en janvier 2005 par la cour d’appel de Colmar, à six années de prison pour la contamination de deux jeunes femmes et était donc jugé en état de récidive légale.
Six femmes aujourd’hui âgées de 21 à 47 ans ont fait aux jurés le récit de six histoires différentes, d’abord d’amour puis de trahison. « Il était plein d’attentions, de petits gestes que je n’avais pas connus depuis longtemps », a raconté l’employée d’une entreprise de tourisme qui venait de vivre un divorce difficile. Les plaignantes ont dû évoquer en détail leurs pratiques sexuelles, l’usage ou non du préservatif, le retrait de l’accusé avant éjaculation. « Si vous saviez la peur, la honte qu’elles ont dû surmonter devant cette cour d’assises. On parle ici de choses qu’on ne confie même pas à son meilleur ami. On dit des mots qu’on ne dit jamais », a plaidé Me Eric Morain, défenseur de quatre parties civiles.
« CE VIRUS ÉTAIT UN LIEN ENTRE EUX »
Dans un chuchotement, la compagne contaminée a détaillé les étapes de sa vie avec Christophe Morat, des premiers instants de bonheur jusqu’à la torture morale de devoir ou non déposer plainte. Sentant qu’il lui cachait quelque chose , elle avait consulté Internet, découvrant ainsi sa séropositivité. « Il s’est effondré en me disant : je suis désolé que tu l’apprennes mais j’ai tellement peur d’être rejeté. » L’espoir d’avoir un deuxième enfant avec lui, un test sérologique qui s’avère négatif la convainquent de ne pas rompre et de partager son appartement avec ce « compagnon qui (lui) promet la vie rêvée ». Elle assure qu’il l’a persuadée de l’absence de risque de transmission du virus lorsqu’il n’y a pas éjaculation. Mais en novembre 2010, apparaissent des fièvres, des nausées, des vomissements… A l’annonce de sa séropositivité, raconte-t-elle, « j’ai pensé à mourir. Je l’ai appelé et lui ai dit : tu m’as filé ton virus. J’attendais qu’il s’effondre. Il y a eu un blanc, il était sans voix ». La vie commune avait pourtant repris car, selon un psychologue, «cette femme avait si peur d’être abandonnée et, c’est curieux mais ce virus était aussi un lien entre eux deux ».
L’accusé a abusé de la vulnérabilité de cette femme amoureuse, selon l’accusation. « Elle croyait comme des paroles bibliques ce qu’il lui disait. » A l’inverse, la défense évoque une responsabilité partagée dans la contamination : « Vous savez qu’il est séropositif, vous savez qu’il vous a menti et vous ne tenez compte que de ce qu’il vous dit sur les modes de transmission du virus ? », a questionné Me François Mazon.
INCAPABLE D’EN PARLER
« Je tenais à vous demander pardon », a lancé Christophe Morat après avoir égrené les prénoms de ses compagnes et conquêtes. « Sachez-le, je n’ai jamais voulu cela, je n’ai jamais voulu faire du mal. » Tout au long de son procès, l’accusé a justifié son silence sur sa séropositivité par son incapacité à la dévoiler. « Je n’arrive pas à dire les choses, j’arrive à en parler seulement à des gens du monde médical. » Il s’est décrit comme « un pestiféré qui finit par se murer dans le silence ». Une seule fois, à une partenaire, il avait annoncé sa séropositivité mais sans parler, en lui glissant sous les yeux les résultats d’un test. Mais si Christophe Morat reconnaît sa culpabilité, Me François Mazon estime qu’« il n’a rien à faire dans une cour d’assises. Il n’a pas contaminé cinq femmes et il a contaminé une femme qui savait qu’il était séropositif et a accepté des relations non protégées ».
Selon Me Christophe Bass, « une relation sexuelle qui ne donne pas lieu à contamination ne peut pas être appréhendée comme une administration de substance nuisible » pas plus que l’obligation de devoir subir un traitement à vie pour une séropositivité ne peut être assimilée à une « infirmité permanente ». La défense a pointé l’absence de volonté de vengeance, le défaut d’intention et de préméditation. « Laissez-lui la possibilité de guérir. Ce n’est pas le juge pénal qui guérit, ce n’est pas la prison qui guérit », a conclu Me Bass.
A l’issue du verdict, Me Eric Morain a salué cette condamnation qui « retire à Christophe Morat son permis de contaminer ». Lors des débats, Marie Suzan-Monti, chargée de recherches au CNRS et militante d’Aides, avait, à l’inverse, indiqué que la pénalisation de la transmission du virus était « un très mauvais message » : « Si on veut mettre un terme à l’épidémie, il faut que les personnes se dépistent et aillent vers le soin. » On estime à 30 000 le nombre de porteurs du virus ignorant leur séropositivité.
Luc Leroux
Journaliste au Monde
Le Monde.fr
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