Titre: Qu’est ce qui freine les PME/PMI ivoiriennes ?
Auteur : GOUEU ZRAN Fulgence
Article publié en collaboration avec Libre Afrique
À la Une de sa parution du 25 au 31 août dernier, Le journal de l’Economie titrait « Rentabilité et financement : Pourquoi investir dans une PME peut rapporter gros ? » Dans cet article, le patronat ivoirien exhortait les Ivoiriens à investir dans les PME/PMI. Comment expliquer une baisse des investissements ? La faiblesse de l’incitation expliquerait-elle cette faible performance ? Pourrait-elle expliquer la réticence des investisseurs ?
Baisse drastique des investissements
Les chiffres officiels annoncent des chutes importantes (avoisinant les 100%) des investissements nationaux des PME/PMI ivoiriennes entre 2008 et 2011[1]. Face à cette hécatombe, il devient urgent de chercher les causes de la contre-performance des PME/PMI ivoiriennes. Deux grandes catégories d’handicapes à la performance des PME peuvent être retenues : ceux propres aux PME/PMI ivoiriennes, et ceux relatifs à l’environnement institutionnel et socioéconomique.
Freins internes
S’agissant des causes intrinsèques, les PME/PMI ivoiriennes présentent plusieurs dysfonctionnements et lacunes. Jusqu’en 1999, 3933 PME/PMI ivoiriennes fournissaient 5% des emplois et une contribution à la richesse nationale de 6,5% en 2009. Ces entreprises industrielles enregistraient une baisse des emplois de 9,44% jusqu’en 2002 et de 7,29% en 2005, tandis que leur production chutait de 7,8%, entre 1999 et 2007[1].
Ces mauvaises performances s’expliquent, entre autres, par le manque de structuration et d’organisation de ces entités. En effet, les PME/PMI ivoiriennes présentent souvent une gestion patrimoniale où les membres de la même famille sont en charge de la gestion sans qu’ils y soient pour autant qualifiés. Les organigrammes définissant les responsabilités sont toujours flous diluant ainsi les responsabilités et in fine les incitations à bien faire. Cela renforce l’opacité et empêche l’apprentissage de la compétitivité en l’absence d’une évaluation rigoureuse des performances. Le manque d’encadrement et sa faible qualité constituent aussi un handicap majeur. Par conséquent, il serait souhaitable que les autorités ivoiriennes prennent des mesures d’incitation à l’innovation et d’encouragement à l’entrepreneuriat, accompagnées des actions de mise à niveau de ces structures existantes, seul moyen de développement et d’accroissement de compétitivité des PME/PMI. L’accompagnement technique et financier et la formation et des entrepreneurs aux techniques de management et de gestion moderne sont la clé pour favoriser la mise à niveau des PME/PMI ivoiriennes. Mais, au-delà des causes internes, il existe aussi des causes externes aux PME/PMI.
Environnement des affaires hostile
Parmi les causes institutionnelles et socio-économiques, on note la lourdeur des structures fiscales (le taux de pression fiscale en Côte d’Ivoire est de 37,1%)[2] et l’intransigeance des institutions financières demeurent. Le manque de moyens adéquats des mécanismes de soutien combiné au nombre pléthorique d’organismes de promotion sans moyens de financement rend le système de promotion des PME/PMI ivoiriennes peu efficace. La politique d’« ivoirisation » des cadres menée par le gouvernement dans le secteur industriel renforcée par la loi n°59-134 du 3 septembre 1959, portant le code des investissements, était axée sur le contrôle du capital, des emplois et du management des entreprises créées par les cadres ivoiriens. Aussi, la loi n° 84-1230 du 8 novembre 1984 régissant le code des investissements, en son article 3.1 obligeait la PME ivoirienne à avoir des salariés permanents de nationalité ivoirienne d’au moins 5 et jusqu’à 50 employés. Toutes ces lois ont conduit à une forte participation de l’Etat à la création des unités industrielles et le taux d’« ivoirisation » de l’emploi s’est accru, passant de 60% en 1970 à 75% en 1981. Néanmoins, cette politique d’« ivoirisation » des cadres a fortement détérioré la compétitivité des industries, car bafouant le principe de mérite en basant l’accès aux emplois sur l’identité sociale et non sur la productivité. Au même moment, le contrôle des prix des produits et de l’emploi et les politiques tarifaires sélectives ont diminué l’incitation à investir. Ainsi, le manque de mesures d’incitation à l’innovation et d’encouragement à la concurrence, ajouté aux effets des différentes crises ont fait baisser les emplois créés par les PME/PMI de plus de -5% en 2008. Tout simplement le contraire de l’objectif escompté au départ.
La faiblesse des PME/PMI ivoiriennes s’explique aussi par la restriction de la liberté d’investissement. Les freins à l’initiative d’entrepreneuriat des PME/PMI ivoiriennes, malgré l’économie de marché prônée, relèvent du système de réglementation et de la multitude de taxes et d’impôts. Ceux-ci découragent l’esprit d’entreprenariat des ivoiriens et développent le secteur informel. Malgré la création du guichet unique pour la création d’entreprise, la bureaucratie demeure lourde, notamment au plan de la réglementation qui augmente les coûts liés à la création et à l’exploitation d’une entreprise, etc. La classification des pays par la Banque Mondiale, dans son rapport Doing Business, donne la 153ème place sur 189 pays à la Côte d’Ivoire en 2013 en matière des normes juridiques[3].
Ainsi, l’application d’une politique effective d’assouplissement des réglementations et d’ouverture du secteur par la levée des obstacles issus de la réglementation et de la bureaucratie pesante, réduira le détournement des investissements et la baisse de l’innovation, tout en garantissant la réactivité des entreprises et la création d’emplois.
L’investissement dans les PME/PMI ne se décrète pas. Il est le fruit des incitations fournies par l’environnement institutionnel dans lequel évoluent les entrepreneurs. C’est la raison pour laquelle seules des réformes institutionnelles favorables à la liberté d’entreprendre seront à même d’inciter les entrepreneurs ivoiriens à développer leur tissu productif pour plus de richesse et d’emplois.
Dr GOUEU ZRAN Fulgence, chercheur au Centre Ivoirien de recherches économiques et sociales (CIRES)
Article publié en collaboration avec Libre Afrique
[1] Les données du Ministère de l’Industrie et de la Promotion du Secteur Privé, 2008
[2] Selon Célia Francesca Ake, dans « Etude des déterminants de la pression fiscale en CI », ENSEA, session CPMS, 2013.
[3] THE REPORT: Côte d’Ivoire 2013 (Oxford Business Group)
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