Yacou le Chinois, le voyou ex caporal FRCI qui fait trembler la Maca en Côte-d’Ivoire

Yacou

Par Haby Niakate, envoyée spéciale de Jeune-Afrique

La Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan est tenue d’une main de fer par… un prisonnier. Derrière les barreaux, Yacou le Chinois fait la loi. Et est devenu célèbre dans tout le pays.

Sur les photos, il est parfois assis sur une chaise, tout de blanc vêtu, un smartphone à la main. On peut aussi le voir debout devant une télévision, une grosse montre au poignet. Ou entouré de jeunes, lunettes de soleil sur le nez, sirotant une boisson énergisante.

Sur internet, les images sont nombreuses. Sur les réseaux sociaux aussi, où certains s’arrogent déjà son surnom… Yacouba Coulibaly, dit Yacou le Chinois en raison de ses yeux bridés, est devenu une sorte de star locale dont les frasques, réelles ou fantasmées, font régulièrement les gros titres de la presse ivoirienne.

Le hic, c’est que Yacou le Chinois est en prison, plus précisément à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca), la plus grande du pays. Si sa célébrité actuelle peut paraître quelque peu surréaliste, son parcours pénitentiaire l’est tout autant. Condamné une première fois à vingt ans de détention en 2010 pour vol aggravé, il s’évade peu de temps après.

Lorsqu’il réapparaît, c’est pendant la crise postélectorale de 2011 en tant que membre des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), loyales à Alassane Ouattara. Il prend même du galon et devient caporal.

Mais très vite, dans le quartier de Cocody, le Chinois refait parler de lui. Agressions, vols, braquages puis meurtre… Retour à la case Maca, avec de nouveau une condamnation à vingt ans ferme. Le prisonnier est incarcéré au bâtiment C, celui des criminels endurcis qui purgent de longues peines de détention. Construite en 1980, la Maca était prévue pour accueillir 1 500 prisonniers. Aujourd’hui, ils sont 4 600, selon les chiffres officiels. Une véritable ville dans la ville sur laquelle règnent Yacou le Chinois et ses lieutenants.

Complicité des gardes et des chefs de bâtiment officiels

Gilles (par peur des représailles, il préfère taire son vrai nom) a passé vingt mois à la Maca entre 2012 et 2014. Il était logé au bâtiment A mais se souvient très bien du célèbre détenu : « Yacou se comporte comme le chef de la Maca, ce qu’il est de toute façon. Il peut aller partout, dans tous les bâtiments, toutes les cellules, toutes les cours, avec la complicité des gardes et des chefs de bâtiment officiels. »

Gilles reconnaît que lui-même n’était pas à plaindre. Cet homme d’affaires avait les moyens de s’offrir les services d’un boy, chargé de faire ses courses, de préparer ses repas et de lui monter l’eau pour sa douche quotidienne.

En revanche, le privilège d’occuper une cellule de « seulement » onze détenus – un vrai luxe à la Maca, où quarante personnes doivent souvent partager le même espace réduit -, c’est à Yacou qu’il a dû l’acheter : 20 000 F CFA (environ 30 euros) directement versés aux lieutenants du « chef ». Pour une cellule de cinq personnes, le tarif aurait été double. Et là encore, c’est avec Yacou et ses hommes qu’il aurait fallu négocier. À la Maca, tout se paie. Et mieux vaut avoir une famille qui vient vous réapprovisionner lors des trois parloirs hebdomadaires.

La mère de Yacou, sexagénaire, vient elle aussi souvent le voir à la Maca. Et il le lui rend bien. Tous les mois, le fils prodigue lui envoie une aide financière. Il faut dire que la lecture et les prêches de religieux, pourtant nombreux en prison, ce n’est pas vraiment son dada… Lui, ce qu’il préfère, c’est le business. « Il ne se déplace jamais seul et dirige tous les trafics possibles et imaginables grâce à une quarantaine de détenus qui l’entourent, raconte encore Gilles. C’est la loi du plus fort. Ils sont nombreux, organisés et se connaissent souvent depuis l’extérieur. Bref, ils règnent. »

Des témoignages comme celui-ci, les ONG de défense des droits de l’homme en ont recueilli des dizaines. On pense par exemple à cette vieille femme dont le petit-fils, pris en flagrant délit de vol, a été condamné à une peine de prison ferme et envoyé directement à la Maca. Désespérée, elle raconte comment le jeune homme s’est vu réclamer, dès son arrivée, 10 000 F CFA pour que la bande de Yacou lui accorde un simple matelas…

Mutinerie soldée par la mort de trois prisonniers

Le ministère de la Justice n’a pas souhaité répondre à nos questions, mais n’ignore pas le problème. Depuis plusieurs mois, les ONG pressent Gnénéma Coulibaly, titulaire du portefeuille, de transférer Yacou le Chinois dans une prison plus sécurisée – idéalement à Bouaké. Un transfert a d’ailleurs été tenté, en juillet 2013, mais il a débouché sur une mutinerie qui a duré près d’une journée et s’est soldée par la mort de trois prisonniers. Certaines associations affirment ne plus se rendre à la Maca parce que leurs employés y ont été directement menacés. Pour elles, cela ne fait aucun doute : c’est Yacou le Chinois qui fait la loi à la prison d’Abidjan.

En mai, Eugène Nindorera, le chef de la division droits de l’homme de la Mission des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci), s’en inquiétait sur les ondes de Radio France internationale (RFI). « Yacou le Chinois, expliquait-il, est quelqu’un qui a le sentiment d’être au-dessus des lois et qui bénéficie de certaines protections. Il faudrait mettre fin à cette situation le plus rapidement possible. » Derrière ses lunettes noires, pas sûr que l’intéressé se soit senti particulièrement menacé.

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