Article de Théophile Kouamouo du Nouveau Courrier N° 1109
Les apparences et la vérité
La rencontre avec l’autre, considéré comme un autre « nous-même», est-elle à la fois un enrichissement et un risque ? C’est une des questions générales autour desquelles on peut méditer quand on referme le dernier livre de l’écrivaine franco-ivoirienne Sylvie Bocquet N’guessan. Destiné en priorité au monde adolescent, Voyages croisés Lille-Abidjan est la juxtaposition de deux récits de voyage dont les narrateurs sont des jeunes : Mathurin, l’étudiant ivoirien de 24 ans qui vient se spécialiser en journalisme dans la célèbre école située dans la ville de Lille; et Agathe, la lycéenne française qui a pour projet d’aller passer son année de première en Côte d’Ivoire, à Abidjan, dans une famille bourgeoise amie de ses parents. Le décor ainsi planté permet à Sylvie Bocquet N’guessan de nous faire voyager en nous servant des yeux neufs de ces deux jeunes qui apprennent à appréhender les codes d’univers qui ne sont pas les leurs, même si l’effet de dépaysement est plutôt relatif. Mathurin découvre « en vrai » une France qu’il devine forcément, dans la mesure où les images qu’elle diffuse nourrissent l’imaginaire des jeunes Africains francophones d’aujourd’hui. Ce qui ne l’empêche pas de s’étonner devant les longues journées d’été, l’ignorance un peu méprisante des Français moyens vis-à-vis d’Africains qu’ils connaissent fort mal, les relations intergénérationnelles, etc… Les Africains qui ont étudié en France auront sans doute un sourire en coin à la lecture de certaines réflexions de Mathurin. De son côté, Agathe, elle, s’en va très rassurée vers une Côte d’Ivoire dont on dit dans son pays qu’elle se porte de mieux en mieux avec un président bien sous tous rapports, après une guerre civile à l’issue salutaire. Une Côte d’Ivoire désormais « pacifiée » et « fréquentable », qui renoue avec une certaine tradition dans ses relations avec l’ancienne puissance coloniale. Bien entendu, les choses sont plus tragiques que ce que véhicule la propagande officielle. Et le passé récent rend l’atmosphère lourde, lourde… Au-delà de ce contexte, Agathe fait aussi sa part de « découvertes » sociologiques amusantes, qui agrémentent un livre qui néanmoins poursuit, sans sortir de la catégorie auquel il appartient (« littérature jeunesse »), l’exploration des divisions profondes d’une Nation qui attend son réconciliateur. Deux ans après son premier livre « Côte d’Ivoire, le pays déchiré de mon grand-père »… Voyages croisés Lille-Abidjan est un récit fort plaisant, agréable à lire, qui recourt également à des originalités narratives en « intégrant » astucieusement des dialogues de messagerie électronique et des courriels au récit. A offrir sans hésiter à des jeunes Ivoiriens et Français qui pourront « tenir la main » de Mathurin et d’Agathe et nourrir leur curiosité. Bien sûr, il est conseillé de lire soi-même rapidement ce livre tout aussi passionnant pour un adulte ; avant de l’emballer dans le papier cadeau et de le filer au destinataire final… Théophile Kouamouo
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