Persuadés qu’on emmène leurs filles vers une vie meilleure, des parents laissent leurs enfants à des proches, qui les placent comme servantes ou prostituées. Le carton d’emballage d’une dînette en plastique traîne dans la pièce en désordre. Sandrine, 11 ans, l’a repéré et regarde les dessins avec envie.
À côté, Fatou, 10 ans, peigne les cheveux crépus de sa copine. Comme toutes les gamines, elles s’inventent des histoires de leur âge. Sauf que ces trois fillettes racontent aussi, d’une voix à peine audible, comment des adultes les prenaient pour des bonnes à tout faire.
Et qu’on les frappait pour tout et n’importe quoi. Avec « un fer de ceinturon » pour Priscille, un « câble électrique » sur le dos de Fatou, de « grosses cuillères en bois sur mon poignet » pour Sandrine, qui montre son bras, où la plaie est encore visible, sur l’os. Aucunes ne mangeaient à leur faim. Toutes devaient « laver les habits de la famille », « emmener les enfants à l’école », et pour Fatou « vendre des pagnes », qu’elle trimballait des journées entières, dans une grosse bassine portée sur sa tête.
Envoyés chez une « tantie »
En Côte d’Ivoire, on dit qu’on envoie son enfant chez une « tantie », c’est-à-dire chez des proches. Parfois les parents savent que leurs filles aideront au ménage, mais le plus souvent, les « tanties » mentent, promettant de les scolariser ou de les mettre en apprentissage.
Et ce phénomène prend de l’ampleur dans le pays. Selon l’Unicef, le travail domestique est la deuxième forme d’exploitation infantile après le travail agricole. « L’important est de sensibiliser mais c’est compliqué, car beaucoup ne savent pas, ne pensent pas, que le travail des enfants est condamnable », indique le commissaire Adolf N’Gata, de la Direction de la lutte contre le travail des enfants.
Après avoir fui leur matrone, Fatou, Sandrine, Priscille et une vingtaine d’autres fillettes ont été amenées à l’ONG (Organisation non-gouvernementale) Cavoequiva, qui essaye de retrouver leurs parents.
« Souvent elles ne veulent pas dire d’où elles sont originaires, de peur qu’on les renvoie chez une tantie. D’autres sont petites, donc ce n’est pas facile pour elles de reconnaître les lieux », souligne Dorothée Lah, chargée de l’écoute à Cavoequiva.
« Je pleurais, je criais »
Avec ces fillettes, il y a deux adolescentes, deux Nigérianes de 17 ans qui se sont enfuies d’une maison close où on les obligeait à se prostituer. Grace raconte, difficilement mais la tête bien droite, pour que « les enfants n’acceptent plus de quitter leur famille ». Une amie de ses parents a convaincu la mère de Grace de la laisser partir, persuadée que la Côte d’Ivoire est un eldorado.
« La dame m’a pris tout ce que j’avais, y compris ma carte d’identité. Je pleurais, je criais, je ne pouvais rien faire, personne ne parlait anglais. Elle m’a dit que je lui devais trois millions de francs CFA (4 570 €) », souffle l’ado. Pour payer la gérante du bordel, l’ado doit se prostituer, à 1,50 € la passe. En juin, quarante mineures ont été rapatriées au Nigeria, selon l’ambassade du pays en Côte d’Ivoire.
Après deux ans dans cette maison close, en compagnie d’autres Nigérianes mais aussi d’Ivoiriennes, de Guinéennes et de Maliennes, Grace a fini par réussir à s’enfuir.
Article paru dans Dimanche Ouest-France le 27 juillet 2014
L’auteur Aurélie Fontaine
Diplômée de l’Institut Pratique de Journalisme. Basée au Sénégal pendant trois ans, désormais installée en Côte d’Ivoire. A aussi couvert la Mauritanie, Mali, Guinée-Bissau. Travaille pour Ouest-France, Radio et télé suisse romande, BFM TV, Médi1, Rue89, l’Expansion, Jeune Afrique et Le Soir
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