L’ambassadeur professeur KOUDOU Kessié répond aux questions d’Africa Diaspora
Dans le cadre de la rubrique « Entretien avec… », nous avons le privilège d’échanger avec le Professeur Raymond Koudou Kessie, anciennement Ambassadeur de la Cote d’Ivoire en France, au Portugal, en Israël et en Turquie. Il a bien voulu éclairer notre lanterne sur les questions brûlantes d’actualité et les incompréhensions au sein de la formation politique à laquelle il appartient, le FPI du Président Gbagbo maintenu dans les geôles de la Cour Pénale Internationale à La Haye.
Interview réalisée par Narcisse Nabo.
Londres, 08 Septembre 2014
Africa Diaspora (A.D.) : Monsieur, Professeur ou Ambassadeur Koudou Kessié Raymond, quelle est la formule la plus correcte du point de vue de la civilité?
M. Koudou Kessié (K.K.): Vous pouvez choisir sans protocole parce que l’une ou l’autre des formules m’identifie correctement et c’est cela le plus important.
A.D. : Votre participation, Excellence, à diverses manifestations en tant que parrain, conférencier ou animateur dans plusieurs villes en Angleterre, ne passe pas inaperçue. Peut-on en déduire que vous résidez désormais en Angleterre?
K.K.: Oui, j’ai délocalisé mon exil politique du Ghana en Angleterre.
A.D.: Votre activisme politique depuis votre arrivée ressemble plutôt à une mission stratégique de remobilisation des militants de votre parti au Royaume Uni…
K.K.: Aucune mission stratégique ne m’a été confiée. Tout militant doit se mettre au travail dans la structure du parti où il se trouve sans attendre un mandat spécial. L’obligation de réserve qui s’impose au réfugié que je suis ne signifiant nullement renonciation à mes opinions ou à mon appartenance politique ou mon désengagement du combat politique, je me suis mis à la disposition de mon parti pour poursuivre ici en exil le combat contre l’imposture, la victoire électorale volée et pour la libération du Président légitime de Côte d’Ivoire, le Président Laurent Gbagbo.
A.D.: Le bruit court que, face à l’incroyable inertie et aux querelles de clocher à Londres au sein de votre parti, le FPI au Royaume Uni, vous auriez entrepris des consultations auprès des membres aux fins de raviver la ferveur militante et d’apaiser les tensions. Qu’en est-il en réalité?
M. Koudou Kessié : L’expression « incroyable inertie» est incorrecte puisque vous avez évoqué vous-même l’intensité de mes activités soit comme parrain ou conférencier ou animateur. Certaines de ces activités l’ont été dans le cadre de la Représentation, à preuve la dernière conférence-débat de la Section FPI de Birmingham. Mais, il est cependant vrai que des reproches entendus ici et là et les initiatives y consécutives prises par certains membres (initiatives non consensuelles et non statutaires) ont fait naître des incompréhensions entre les camarades. J’ai donc effectivement pris, en accord avec la Direction de la Représentation, l’initiative de ses consultations avec pour objectif de rapprocher les uns et les autres. Deux camarades ont été à mes côtés, Arthur Kipré et Anthony Diabro. Je leur dis merci pour leur patience et leur disponibilité. Les conclusions et propositions qui ont sanctionné ce travail mené sur plusieurs mois ont été remises à la Direction de la Représentation. Ça a pris du temps et les camarades parmi ceux qui ont été consultés s’en sont inquiétés en me demandant ce qui fait blocage à la finalisation de notre initiative, d’autant que tous ont dit qu’il n’y avait pas de divergence de fond entre eux. Nous disons simplement patience et restons donc à l’écoute de la Direction en rappelant cependant à tous l’urgence qu’il y a à retrouver la sérénité dans nos rangs. Les concessions mutuelles, la main tendue et le rassemblement le plus large possible et le plus tôt possible s’imposent donc à chacun de nous. C’est à ces conditions que nous pourrons nous inscrire dans la dynamique du combat pour la libération du Président Gbagbo et de notre pays.
A.D.: Force est de constater que la mobilisation au Royaume Uni n’est pas à son plus haut niveau, même avec l’arrestation du Président Gbagbo. On ne peut pas occulter la situation actuelle on ne peut plus préoccupante à la Direction de votre parti, le FPI à Abidjan. Allons-nous vers un bicéphalisme? Votre analyse de cette crise…
K.K.: Pourquoi irions-nous vers un bicéphalisme ? Non, le FPI surmontera cette crise car la lutte interne autour de la ligne, de la gouvernance ou de la stratégie n’est pas un mauvais présage mais plutôt l’expression même de la vitalité d’un parti. Vous savez, le parti avait été déjà donné pour mort par Young-Ji Choi pendant la crise postélectorale. Grâce au travail colossal de la Direction intérimaire dirigée en son temps par le tandem Miaka Ouretto et Akoun Laurent, en synergie avec la Coordination FPI en exil au Ghana conduite par Assoa Adou, le FPI est resté debout. Il faut donc avant tout rendre un vibrant hommage à tous ces camarades. Le parti n’ira pas vers un bicéphalisme car il a des ressorts internes pour tenir toujours debout. Il l’a montré. La situation que vous avez évoquée nous distrait cependant des priorités de l’heure : la mobilisation et les actions concrètes pour obtenir la libération du Président Gbagbo et de notre pays.
A.D.: Concrètement, qu’est-ce qui est à la base de cette crise ?
K.K. : Le réaménagement profond de la direction et l’entrée du FPI à la CEI ont affecté sérieusement la cohésion interne.
A.D. : Nos lecteurs aimeraient connaître votre position. Êtes-vous « pro Affi » ou « anti Affi » ?
M. Koudou Kessié : Je reprouve ce type de catégorisations faciles en pro ceci ou pro cela. Je sais qu’inconsciemment, nous avons tous fini par intérioriser ces termes distillés d’Europe, comme par exemple « pro Gbagbo », « pro untel » ou « pro untel autre » lorsqu’il s’agit de l’Afrique. Chez eux, ils se gardent pourtant des termes comme « pro Hollande » ou « pro Sarkozy » ou autres. Vous comprenez. Je suis militant du FPI et je crois que c’est suffisant.
A.D.: C’est entendu, mais le remaniement effectué et l’entrée de votre parti à la CEI sont sur toutes les lèvres, surtout après le dernier Comité Central qui semble-t-il a failli tourner au pugilat. Qu’en dites-vous ?
M. Koudou Kessié : Je ne sais pas si les choses ont failli tourner au pugilat comme vous dites, mais parlons d’abord du réaménagement qui a affecté la cohésion interne du parti. Le Président Affi qui l’a mis en œuvre s’en est justifié. Des camarades ont saisi le Comité de Contrôle à ce propos. Mais surtout une médiation interne s’est saisie efficacement de ce dossier. Il a réussi à apaiser la situation. Et les recommandations qu’il a faites rencontrent totalement mon adhésion. Lisons-en quelques termes attentivement:
• Mettre à débat, au sein des instances compétentes, et dans les meilleurs délais, les grandes questions qui engagent le Parti, notamment les élections, la CEI, les négociations avec le Gouvernement et la politique en matière de relations extérieures…
• Concilier l’exigence de l’efficacité et la cohésion du Parti, notamment par l’action concertée.
• Promouvoir le bon fonctionnement démocratique à l’intérieur des différents organes, notamment par le respect de la règle de la majorité, aux dépens de stratégies pouvant prêter à confusion.
Pour moi l’essentiel est dit dans ces recommandations. Je félicite donc : le Président Sangaré Aboudrahamane pour avoir privilégié et s’être investi dans la recherche d’une solution apaisée ; le Gouverneur Henri Dacouri et toute l’équipe de médiation pour avoir réussi à apaiser la situation; le Président Affi N’Guessan pour être revenu sur ce réaménagement ; le Secrétaire Général Akoun Laurent pour avoir accepté le compromis proposé par la médiation; le Comité de Contrôle qui a, avec sagacité, porté le contentieux devant le Comité central ; le Comité central pour sa grandeur de vue en validant le tout ; tous ces camarades ont agi dans l’intérêt du parti.
Venons-en maintenant à l’entrée du FPI à la CEI. Vous avez bien vu plus haut que les recommandations du Comité de médiation avaient insisté de manière prémonitoire sur l’importance des décisions concertées.et des débats sur les grandes questions qui engagent le parti, dont notamment la CEI Tel n’a pas été le cas pour l’entrée à la CEI décidée unilatéralement par le Président Affi. J’ajoute qu’avant le Comité de médiation, le Comité Central avait donné une directive sans équivoque sur des questions comme la CEI ; et cela dans divers points de son communiqué final N°02/2014 du 28 juin 2014. Je les cite :
Point 20 : « La majorité absolue et mécanique dont dispose le groupement politique au pouvoir au sein de la CEI (de 9 à 13 voix sur 17) enlève toute signification à la présence de l’opposition au sein de cette institution et viole le principe d’équilibre qui doit être l’un des fondements de l’indépendance et de la crédibilité de la CEI ».
Point 24 : « La Commission Electorale Indépendante proposée par le gouvernement ne garantit nullement les principes de justice, de transparence et de crédibilité », le Comité Central décide donc au :
Point 26 alinéa e) de : « Rejeter la Commission Electorale Indépendante adoptée de façon unilatérale par le pouvoir » et exige du pouvoir :
Point 26 alinéas f) : « Une Commission Electorale consensuelle, acceptable par tous, gage d’élections générales apaisées, justes et transparentes »
Le Comité Central du FPI ne peut pas rejeter la CEI parce que adoptée unilatéralement par le gouvernement et laisser le Président Affi décider lui aussi unilatéralement de l’entrée du FPI à la CEI. Le Président Affi aurait dû s’abstenir de faire entrer unilatéralement le FPI dans cette CEI non consensuelle en se conformant purement et simplement à la position du Comité central que j’ai rappelée plus haut. C’est du reste pourquoi le débat sur « faut-il sortir ou non de la CEI ? » m’apparaît surréaliste. Pour moi, il ne s’agit pas de reprendre le débat comme si le parti n’avait pas de position sur la question mais d’appliquer la décision du parti en demandant au Président AFFI de retirer purement et simplement le FPI de cette structure. On peut faire une relecture du communiqué 02/2014 du 28 juin 2014 si besoin était.
Au terme de l’analyse de ce second point, il me paraît fondamental de rappeler que dans le contexte actuel, seules les décisions et les actions négociées et concertées seront de nature à renforcer notre cohésion interne.
En tout état de cause, l’objectif de la lutte défini par le Comité Central me paraît être prioritaire: faire aboutir la libération du Président Gbagbo, la lutte pour les libertés, la justice, la réconciliation et la paix (Point 26 alinéa h). C’est pour cela que le Comité Central a « engagé instamment le Secrétariat Général à prendre toutes les dispositions en vue d’organiser, dans le cadre de la stratégie de ripostes graduées, les grandes actions de masse nécessaires pour faire aboutir les revendications ».
La nomination de la camarade Marthe Amon Ago, que je tiens à féliciter ici, est un bon signe. Alors allons maintenant dans le sens des grandes actions de masse, définies dans le cadre de la stratégie de ripostes graduées.
A.D.: Votre parti ira-t-il aux élections présidentielles de 2015 alors ?
K.K.: Ce n’est pas moi qui décide mais mon parti qui a les instances appropriées pour le faire. Nonobstant cela, mon modeste point de vue est le suivant : on ne va pas à des élections alors que les conditions de justice, de transparence et de crédibilité ne sont pas réunies. Ensuite, comment aller à des élections présidentielles en 2015 alors que le candidat du FPI qui a gagné celles de 2010 est en prison précisément parce qu’il a agi en tant que Président élu de Côte d’Ivoire. Cela ne peut s’assimiler qu’à une trahison et à son abandon alors que c’est le FPI, son parti, qui l’a envoyé en mission comme candidat à la présidentielle. Nous n’allons pas l’y laisser pour prétendre aller à de nouvelles élections présidentielles, dans les mêmes conditions qu’en 2010. C’est-à-dire, avec les rebelles toujours en armes et une CEI où la coalition RHDP au pouvoir dispose d’une majorité absolue et mécanique de près de 13 voix sur 17. Le Président Gbagbo a du reste reconnu ses deux erreurs pour les présidentielles de 2010, et nous devons aussi tirer avant toute chose le bilan et les leçons du contentieux électoral précédent ? Par ailleurs, le FPI a demandé aux militants et aux populations de boycotter le recensement par lequel ils pouvaient figurer sur la liste électorale. Le même FPI ne peut pas s’inscrire dans une dynamique contraire en n’ayant pas tiré toutes les conséquences du mot d’ordre qu’il a lancé et qui a été largement suivi par les populations. Qui plus est, si aujourd’hui le Président Affi, Président du parti et ancien Premier Ministre de Côte d’Ivoire est interdit de meetings ou de visites dans certaines localités du pays, qu’en sera-t-il alors des militants du FPI qui auraient l’outrecuidance de s’aventurer dans ces zones de non droit pour eux pour faire campagne. Le deuxième tour des élections présidentielles dans le nord du pays sous le contrôle exclusif des rebelles a donné les résultats que nous savons tous. Le FPi n’est pas allé aux élections municipales, puis législatives et ca été une bonne chose car le FPI a bien montré que le pouvoir Ouattara était un pouvoir usurpé. Pour toutes les raisons qui précèdent, mon point de vue est que nous n’avons pas le droit de cette aventure périlleuse aussi longtemps que les conditions de notre participation ne seront pas réunies ;
A.D.: Malgré cet enflammement médiatique, la crise interne au FPI n’était donc pas une aberration politique, c’était une réalité.
K.K.: Nous venons tous d’en prendre acte.
A.D.: Quelle est votre adresse aux militants visiblement désemparés?
K.K.: Ils n’ont pas à être désemparés car le parti ne s’est pas cassé. Il ne va pas se casser ou se jeter dans les bras de ses geôliers confirmant ainsi le fameux syndrome de Stockholm, phénomène psychologique consistant pour les otages à développer vis-à-vis de leurs geôliers de l’empathie ou de la sympathie. La base et les ressorts du FPI sont solides et encore plus solides que ne l’imaginaient ceux qui, comme Young-Jin Choi, l’avaient déjà enterré pendant la crise postélectorale. Nous devons cependant avoir à l’esprit que les fissures que nous ouvrons nous-mêmes dans nos murs sont toujours celles par lesquelles l’ennemi passe pour avoir raison de nous. La dernière attaque de notre QG, devenu aujourd’hui notre siège de repli par la force des choses, doit être pour nous la sonnerie de l’alarme. Vivement que le ralliement de tous les militants du FPI se fasse ici et maintenant autour des Résolutions prises par le Comité Central du 28 juin 2014 et par conséquent autour du Président Laurent Gbagbo, de sa libération et de celle de la Côte d’Ivoire.
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