Par Maria MALAGARDIS pour Liberation.fr
Fils aîné du président déchu de Côte-d’Ivoire, ce professeur de psychologie, longtemps emprisonné, paye le prix de son hérédité.
L’été à Abidjan ressemble à un mois d’août à Paris : c’est la saison des pluies. Ce jour-là, de grosses gouttes tambourinent sur l’auvent en tôle, qui protège une terrasse couverte dans le jardin d’une grande villa du quartier résidentiel de Riviera-Golf. La voix de Michel Gbagbo se noie vite dans ce déluge. Il faut un peu insister pour qu’il hausse le ton, ce n’est pas dans sa nature de parler haut et fort. Contrairement à son père, leader charismatique qui savait enflammer les foules, au risque de certaines dérives populistes.
Dans la série des «fils de», Michel Gbagbo est un cas à part. Posé, discret, le regard voilé par de grosses lunettes à double foyer. Tout semble, a priori, l’opposer à ce père, grande gueule, jouisseur, cavaleur, dont le nom est parfois lourd à porter, mais qu’il ne renie pas, bien au contraire.
L’homme, qui aura 45 ans le 24 septembre, est le fils aîné de Laurent Gbagbo, opposant historique devenu président de la Côte-d’Ivoire en 2000, avant qu’une décennie de guerre civile et la dérive de son régime ne signent sa perte. Le père est désormais le plus célèbre détenu de la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye, où il attend son procès. A Abidjan, le fils attend, lui aussi, son procès, en liberté provisoire après deux ans et demi d’emprisonnement dans le nord du pays. «Je suis accusé de tout ce que contient le code pénal ivoirien sauf le crime de génocide», dit-il en souriant d’un air désabusé. Treize mois après sa libération, sa vie reste en suspens, limitée par toute une série d’interdictions : pas le droit de sortir d’Abidjan, privé de jogging, mais aussi de conduite puisqu’il n’a plus de carte grise, ni de papiers ivoiriens. Bien que réintégré à son poste de professeur de psychologie à l’université en mai, l’auteur d’une thèse sur «la réintégration des malades mentaux dans la société» est aussi privé de salaire. Sans explications. Sa femme et ses deux jeunes garçons vivent désormais en exil au Ghana voisin, comme une grande partie de la famille depuis la chute du régime Gbagbo, le 11 avril 2011.
Ce jour-là, Michel a pu mesurer la malédiction d’un nom en Afrique, quand le pouvoir change de mains. Lui, qui n’a jamais joué de rôle politique ou public, se retrouve emporté par un tourbillon de haine. Les caméras du monde entier montrent ce fils si discret, presque inconnu, hagard et ensanglanté, frappé par une foule de rebelles surexcités qui viennent alors de s’emparer du palais présidentiel où Laurent Gbagbo s’était calfeutré. Fin de partie. Gbagbo a perdu. Son challenger, Alassane Ouattara, s’empare du pouvoir. Depuis, la vie à repris son cours en Côte-d’Ivoire, mais les passions restent à vif et le régime spécial imposé à Michel Gbagbo en est l’un des signes les plus visibles. Lui-même ne se fait guère d’illusions : «Tout ce que je peux dire, tout ce que je peux faire, est interprété en fonction du nom que je porte.»
Né à Lyon d’une mère française, Michel a toujours «vécu entre deux cultures, deux pays». Ses parents se sont vite séparés. Il fait l’école primaire à Abidjan chez papa, puis le secondaire, en France, où il découvre le militantisme lycéen lors des manifs contre Devaquet et via un engagement précoce auprès de Lutte ouvrière. Mais lors de ces incessants allers-retours entre Paris et Abidjan, on sent bien que c’est l’Afrique qui l’ensorcelle, l’enchaîne à un destin qu’il semble accepter avec un mélange de fatalisme et d’espièglerie. Ainsi, s’il rappelle les nombreux croche-pattes dont il a été victime depuis son adolescence en Côte-d’Ivoire, toujours en raison du nom de son père, ce n’est pas pour s’insurger ou se plaindre, mais pour décrire avec malice les ruses qui lui ont permis de contourner ces obstacles, cette hostilité latente contre Gbagbo père-opposant, puis Gbagbo père-président. Il l’admet :«Je m’adapte, ce n’est pas dans ma nature de me révolter.» Encore une différence avec un père facilement tonitruant qu’il vénère discrètement. «C’est un génie politique. Il a ça en lui, même s’il a commis des maladresses», souffle le fils. Ses propres déboires le font sourire comme l’inévitable prix à payer pour ce parent, doté «d’une personnalité un peu écrasante, mais brillante».
Il se veut lucide, pas dupe des enjeux d’un pays encore hanté par des déchirures sanglantes : «Une partie de la population voit encore Laurent Gbagbo comme un bourreau, mais une autre partie considère toujours Alassane Ouattara comme illégitime en tant que président.» Quand le parti fondé par son père a été confronté à une crise profonde cet été, divisé entre ceux qui souhaitaient le dialogue avec le pouvoir et ceux qui exigeaient la libération de Laurent Gbagbo en préalable, Michel a joué les médiateurs en coulisses. Conscient du poids de son nom dans la bataille, mais aussi des manipulations possibles.
A la fac, il s’est contraint au costume-cravate, «pourtant pas mon style», souligne-t-il. Il voulait imposer un peu de distance avec ses élèves, fascinés ou intrigués par ce fils d’ex-président devenu simple prof, «ce qui n’est pas courant, surtout en Afrique». On pourrait le juger sans ambition. Il fallait pourtant une certaine audace pour oser porter plainte en France contre les chefs de guerre qui ont aidé Ouattara à prendre le pouvoir. Michel Gbagbo était encore détenu à la prison de Bounia quand il s’est décidé, via son avocate, à porter plainte auprès de la justice française pour«traitements inhumains et dégradants» durant cette détention. Une vidéo postée l’été 2011 sur YouTube le montre lui et six compagnons politiques de son père, forcés de faire des pompes devant des militaires vociférants. «Il fallait aussi se battre contre les serpents, les scorpions, les crapauds, les trous dans la toiture qui laissaient passer la pluie, l’absence de nourriture si on ne la payait pas», énumère Michel Gbagbo qui a écrit des poèmes et a commencé un roman pendant sa détention.
Depuis que sa plainte a été acceptée, une juge française l’a convoqué trois fois à Paris. A chaque fois, on l’a empêché de quitter la Côte-d’Ivoire, «alors qu’aucune ordonnance ne m’interdit de sortir du territoire», rappelle-t-il. En février, son passeport français lui a été confisqué. L’ambassade de France à Abidjan lui en a fourni un nouveau. Depuis, il attend de voir ce qui se passera lors de la prochaine convocation du juge, qui ne saurait tarder. Bien décidé à tenter une fois de plus de se rendre à Paris. Dans l’immédiat, il survit «grâce aux dons et à la solidarité» de bienfaiteurs souvent inconnus qui, soit restent fidèles à son père, soit trouvent injuste le traitement qu’on lui impose.
Après sa libération, il est revenu vivre dans cette grande maison désormais silencieuse. Il y a passé une partie de son enfance, au sein d’une grande famille recomposée. Cette maison, c’est celle du père bien sûr, auquel le fils aîné ne peut décidément échapper.
Source: libération
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