Interview exclusive/Elie Hallassou, (ex-membre de la galaxie patriotique), se déchaine : «Quand Gbagbo était au pouvoir, les ¾ du gouvernement étaient RHDP. Nous sommes tous des enfants d’immigrés»
Elie Hallassou fait partie des grands animateurs de la vie politique ivoirienne. Très actif au sein de l’ex- galaxie patriotique pendant les années de crise, celui que l’on appelait ‘’le libanais de Gbagbo’’ se singularisait par son combat pour l’intégration. Dans cette interview, le patriote intégrationniste, désormais cadre du RDR, livre sa réflexion sur l’actualité brulante de l’heure.
Monsieur Elie Hallassou, vous êtes Ivoirien, homme d’Affaires, homme politique, cadre militant du RDR et patron de presse, propriétaire de trois quotidiens. Depuis quelques temps, il y a une polémique autour de l’entrée probable, à la Commission Electorale Indépendante (CEI), du Front populaire ivoirien (FPI) au sein de ce parti qui a cependant choisi son représentant. Il y a aussi l’entrée au gouvernement de ce parti qui alimente également la polémique. Que pensez-vous de cette autre crise ?
Elie Hallassou : Il n’y a pas que le FPI qui entre à la CEI en tant que parti politique de l’opposition. Il est vrai que le FPI est le principal parti de l’opposition, mais il y a aussi l’AFD dont Affi N’guessan assure les commandes et LMP dirigé par Gervais Coulibaly et Kabran Appiah. On va donc dire que ce sont plusieurs partis de l’opposition, pour certains en coalition, qui siègent au sein de la CEI. Il est vrai que les autres partis de l’opposition étaient bien disposés à y entrer, contrairement au FPI. Ce que je peux dire, sans condescendance, c’est que le FPI avait tout intérêt à y siéger. Je le dis avec toute la franchise et toute la sincérité, la politique de la chaise vide ne paye pas. Le Président Ouattara leur avait dit, concernant les législatives, de ne pas faire la même erreur que le RDR qui avait boycotté les législatives en 2000. Puisque l’Assemblée Nationale est le contre-pouvoir, en principe. Et là, je pense que l’opposition aurait été très bien représentée et que des décisions auraient pu changer avec leurs analyses des lois. Ils ont donc tout intérêt à rentrer dans cette CEI et à participer aux travaux. Même si elle n’élit pas le Président, c’est un acteur important dans le processus démocratique ivoirien. C’est-à-dire dans le processus de collecte et de validation des résultats d’élections. Et puis quand le FPI était au pouvoir, l’opposition était à la CEI. Il n’y a donc pas de raison que maintenant que nous sommes dans une situation inverse, le FPI n’y entre pas. D’après ce que je sais, il voudrait avoir la présidence avant d’y siéger. Mais que cette doléance ne soit pas un préalable. Donc moi, je suis ravi qu’ils puissent enfin y entrer. Encore qu’il faut qu’on reste prudent. Parce que le FPI nous a habitués à des voltefaces. Donc tant que ce n’est pas encore fait, il faut rester vigilant. Vous savez, il n’y a pas longtemps, il y a eu un conclave à Daoukro entre Affi N’guessan et le Président Henri Konan Bédié. On nous a dit plein de choses. On s’est perdu en supputations et en conjectures, au point qu’on ne sait même plus ce qui s’est réellement dit entre eux à Daoukro. En tout état de cause, c’est eux qui gagneraient à siéger à la CEI. Parce que, s’ils n’y entrent pas, la CEI sera validée. Et on ira aux élections sans eux. Ils ont boycotté les législatives, ce qui n’a pas empêché la mise en place du Parlement qui fonctionne et la vie continue. Dieu merci, le Président Soro Guillaume de l’Assemblée nationale tourne à travers le monde pour repositionner notre parlement. Et cette auguste Assemblée nationale est enfin repositionnée. La preuve est que plusieurs présidents de parlements du monde comme celui de la Thaïlande et du Sénégal sont venus en Côte d’Ivoire. Donc le parlement fonctionne, les lois sont votées. Je pense qu’ils ne devraient pas commettre les mêmes erreurs comme aux législatives, aux municipales et aux régionales puisque ces collectivités territoriales ont été mises en place et fonctionnent également sans eux. Ces trois postes électifs sont des tribunes pour s’exprimer. Et puis, entre nous, disons-nous la vérité, des élus permettent aux partis de ne pas avoir des caisses vides. En plus, les financements des partis politiques par l’Etat sont faits au prorata des élus de ces partis. Surtout l’Assemblée Nationale qui est la première représentativité d’un parti politique. Donc qu’ils ne fassent pas encore cette erreur parce qu’ils sont déjà coupés des moyens d’expression, des tribunes pour défendre leur cause. Toutefois, je répète que s’ils viennent, tant mieux, sinon le pays continuera d’avancer sans eux.
Il y a aussi l’entrée du FPI au gouvernement.
Pour son entrée au gouvernement, je reste dans la même veine, et je dirais modestement, que si le FPI m’écoute ou me lit, de ne pas faire aussi la politique de la chaise vide au gouvernement. D’après ce que j’ai cru entendre, ils auront un ministère d’Etat et 4 ou 5 autres ministères. Ce qui fait la bagatelle de 5 ou 6 ministères. Ce n’est pas négligeable. Et puis, cela leur permettra de participer à la vie politique, économique, sociale et sociétale du pays. Surtout que les projets de lois viennent du gouvernement et sont votées par le parlement. A défaut d’agir en aval, ils pourront ainsi agir en amont. Ils seront par conséquents devenus des acteurs de la vie politique en Côte d’Ivoire. Ils pourraient compenser leur absence au parlement. Qu’on le veuille ou pas, il faut reconnaître que le FPI n’est pas un petit parti politique, encore moins négligeable. Il a déjà fait ses preuves en termes de mobilisation. Aux dernières élections de 2010, il a réussi quand même à fédérer une kyrielle de partis politique qui lui ont valu près de 47% des voix au second tour de la présidentielle. Cette éventuelle entrée au gouvernement participe également à la décrispation de la vie politique. Et puis, c’est la preuve aussi que le Président Ouattara tend la main à ses opposants. A eux de la saisir dans leurs propres intérêts. Je le redis comme pour la CEI, quand Gbagbo était au pouvoir, les ¾ du gouvernement étaient des représentants du RHDP. Il n’y a pas raison que le FPI boude son entrée au gouvernement quand il est dans l’opposition. Ce serait dommage! Donc, je le dis, sans être outrecuidant ou prétentieux, s’il n’y entre pas, la vie continue. Cela fait 3 ans qu’ils ne sont pas présents au gouvernement et les chantiers se réalisent et le pays avance. Il est vrai que tout n’est pas encore beau ou rose, mais le président Ouattara marque petit à petit des points positifs au niveau économique, au niveau des infrastructures, au niveau sociétal, au niveau de l’emploi jeune. Le FNJ (Fonds national de la jeunesse) qui a remplacé le FNS (fonds national de solidarité) travaille pour la jeunesse. On voit de façon significative des jeunes s’installer. Beaucoup d’emplois aussi sont créés. C’est vrai que, quand on a un chômeur dans sa famille, on pense que des emplois ne se créent pas. Or ce n’est pas le cas. Il y a déjà des centaines de milliers d’emplois qui sont créés. Et beaucoup reste encore à faire. Car on ne peut pas tout faire en 5 ans. Et puis, il n’a pas vraiment eu la totalité de son premier mandat qui a consisté à juguler la crise qu’il y a eu au lendemain de son élection. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, nous disons qu’il faut donner un second mandat au Président de la République pour réaliser toutes ses promesses et entamer d’autres chantiers.
Rebondissant sur la question d’un second mandat, on parle de plus en plus d’une candidature unique pour le RHDP pour 2015. Qu’est-ce que vous en pensez ?
De prime abord, il faut être cohérent. On ne peut pas gagner des élections en RHDP, gouverner en RHDP depuis 3 ans, avoir travaillé dans le gouvernement de Laurent Gbagbo en RHDP pendant plus de 7 ans et puis en 2015, aller de manière scindé, individuelle aux élections. Vous voyez qu’avec les différentes étapes que je viens de citer, les électeurs, dans leur grande majorité, ne comprendraient pas une dispersion des forces à ce moment crucial pour l’alliance. Parce que le bilan est commun aux partis membres de la coalition politique RHDP. Aujourd’hui, si vous rencontrez l’Ivoirien lambda, il ne parlera pas de bilan de Ouattara ou de Bédié. Il parlera du bilan du RHDP. Pour eux, aucune décision n’est prise sans concertation. Quand le jeune frère, ADO, projette une action, il consulte son aîné Bédié. On n’est pas dans les secrets des dieux. Mais, Ouattara ne prend aucune décision majeure sans consulter Bédié. Et vis-versa. C‘est le bilan d’une cogestion que va présenter Ouattara en 2015.
Il y en a qui pensent à des primaires au sein du RHDP, comme aux Etats-Unis d’Amérique avec les Républicains et les Démocrates. Qu’est-ce que vous en pensez, vous qui suivez l’actualité politique en Côte d’Ivoire et ailleurs dans le monde?
Franchement, de vous à moi, les primaires ne sont pas une mauvaise idée en soi. Mais, les primaires se font quand il n’y a pas un leader naturel qui se dégage. Voilà! Donc comme premier point, il y a un leader naturel du RHDP qui se dégage en la personne d’Alassane Ouattara qui nous a sortis de sous terre, comme on dit. Il a repositionné diplomatiquement le pays en lui redonnant sa place dans le concert des nations. En matière économique, la Côte d’Ivoire est redevenue un pays fréquentable. Il a permis à ce pays de renaître de ses cendres. En deuxième point, les primaires aux USA se font entre démocrates et entre républicains, pour choisir chacun un leader qui va affronter l’autre. Cependant, les mandats étant limités à deux aux USA, comme ici, c’est lorsqu’un président sorti d’une des alliances (Démocrates ou Républicains) est à la fin de son deuxième mandat qu’on organise des primaires pour sa succession. C’est donc à la fin de ces deux mandats que des élections primaires sont organisées pour choisir un autre cheval pour briguer à nouveau le poste de Président des Etats-Unis. Pour ramener le schéma au cas de la Côte d’Ivoire, c’est en 2020 qu’on peut penser à cette option. Sinon, dans le contexte actuel, un leader naturel incontesté et incontestable se dégage. Le modèle américain marche bien, donc il n’y a pas de raison que ça ne marche pas chez nous aussi. Et puis ceux qui sont contre la candidature unique de l’actuel président sont minoritaires. Il faut regarder l’essentiel. Et l’essentiel, c’est qu’on gagne chaque année en taux de croissance qui passera d’ici à l’année prochaine à deux chiffres. Le Président Bédié, lui-même, disait qu’on ne change pas une équipe qui gagne. En plus, le bilan du président Alassane Ouattara est très positif. D’ailleurs le président de la république n’est pas fermé au jeu démocratique. La preuve, au sein de son propre parti, il vient d’instaurer des élections pour les secrétaires départementaux qui auparavant, étaient nommés. C’est une innovation démocratique. Une façon d’affirmer cette légitimité qu’il incarne. C’est-à-dire le verdict des urnes
Comment jugez-vous l’attitude actuelle du PDCI-RDA, le plus important allié du RDR au sein du RHDP dont on attend la décision finale sur la candidature unique?
Si je ne me trompe pas, c’est bien lors de sa Convention que le PDCI-RDA choisit son candidat. Il peut sortir de ses rangs ou il peut soutenir un autre candidat qu’il estime capable de porter encore plus haut le flambeau de la Côte d’Ivoire. Le Président Bédié, en homme sage, veut faire les choses dans les règles de l’art. Il ne veut pas brûler les étapes. Attendons donc la Convention du PDCI. C‘est à la suite de cela qu’un jugement de valeur sur l’attitude du PDCI pourra être raisonnablement fait. Ceux qui s’agitent actuellement sont des aigris et des anti-Ouattara du PDCI. Eux aussi doivent attendre la Convention de leur parti pour contester ou approuver le choix qui sera fait.
L’actualité fait aussi état du retour définitif de la Banque africaine de développement (BAD). L’annonce ferme à été faite par les dirigeants de l’Institution bancaire. Quelle signification donnez-vous à ce retour de la BAD en Côte d’Ivoire?
Encore une fois, je le dis de manière péremptoire, c’est la suite logique du repositionnement diplomatique du pays par le Président Ouattara. C‘est aussi l’offensive de l’éco-diplomatie engagée depuis sa prise du pouvoir. C’est vrai que la démarche a été faite depuis le pouvoir du Président Laurent Gbagbo, mais les choses se sont accélérées avec le Président Ouattara. Ce dernier ayant des connaissances dans les arcanes et les dédalles de la haute finance mondiale. Quand vous avez dirigé la BCEAO et exercé pendant des années comme DGA du Fonds monétaire international (FMI), vous avez forcément des atouts indéniables pour convaincre les dirigeants de la BAD. C’est donc une victoire pour la Côte d’Ivoire. C’est une victoire du Président Alassane Ouattara. C’est également un gain inestimable pour le pays. Je vous signale qu’au temps de la BAD ici, il y avait une cité BAD. C’est-à-dire une petite ville dans la ville avec tout ce que cela comporte comme dépenses, entrées et circulation de devises et la redynamisation certaine du secteur de l’immobilier . Ce retour va encore générer des emplois directs et indirects. Les agents de la BAD ont un pouvoir d’achat assez confortable. En somme, c’est tout le circuit économique qui va se voir booster et fluidifier. Et c’est à mettre à l’actif du Président Ouattara. C‘est pour cela qu’on affirme sans ambages que Ouattara est sur les traces du Président Houphouët-Boigny. Ce n’est pas de la politique politicienne, c’est la réal-politique. Il suit les pas du Père fondateur qui avait réussi cet exploit d’obtenir le siège de cette institution de plus d’une cinquantaine de pays en Côte d’Ivoire. Aussi, après une réunion d’urgence de la BAD, elle décaisse plus de 30 milliards FCFA pour les pays touchés par l’épidémie d’Ebola. Comme par hasard, le même jour où on annonce le retour officiel de la BAD elle décaisse des fonds conséquents pour soigner les gens. C’est dire que la BAD est revenue sur sa terre de prédilection. Toujours dans ce repositionnement diplomatique sur les traces d’Houphouët-Boigny, Air Côte d’Ivoire prévoit d’augmenter sa flotte de 4 à 10 avions, pour reconquérir la sous-région.
Au niveau de la Santé, il y a l’épidémie du virus d’Ebola. Cette épidémie touche actuellement les voisins directs (Guinée Conakry, Liberia) et indirects (Sierra Leone, Nigeria), des pays qui ont de fortes communautés vivant en Côte d’Ivoire. Vous qui êtes un patriote intégrationniste achevé, quel message pouvez-vous lancer aux Ivoiriens et aux populations vivant en Côte d’Ivoire pour éviter une autre crise identitaire?
Je voudrais dire une chose. C‘est que malheureusement, des fois, la nature reprend le dessus. Elle nous rappelle qu’elle est toujours plus forte que l’homme. Cette épidémie, on ne sait pas vraiment d’où elle vient. Dieu merci, deux médecins américains exerçant au Libéria viennent d’être guéris par un nouveau vaccin prometteur. C’est donc une lueur d’espoir pour éradiquer cette épidémie. Tout cela pour dire qu’il faut parfois savoir rester humble, modeste et prôner le bien pour son prochain. Tous les pays sont désemparés. Pas seulement les pays africains, mais tous les pays du monde entier. Le prêtre espagnol atteint et rapatrié d’urgence en Espagne est décédé, malgré toute la technologie médicale de son pays. Donc l’arrogance ne paye pas. Maintenant, pour la Côte d’Ivoire, ma position, on la connaît depuis le régime de Gbagbo. Je suis un patriote ouvert, tolérant, républicain, respectueux de l’ordre établi, et puis surtout qui a la philosophie de l’intégration. Puisque j’incarne cette intégration souhaitée et réussie, le vivre ensemble. Je suis né ici, sorti du moule et de cette matrice de l’intégration à l’ivoirienne. C’est pourquoi, je dis qu’il ne faudrait pas stigmatiser les populations qui sont sur notre sol, et s’en prendre à elles pour une épidémie que vivent leurs pays d’origine. La Côte d’Ivoire, depuis Félix Houphouët-Boigny, n’a jamais aimé le repli sur soi. Houphouët avait compris que la Côte d’Ivoire avait besoin du monde entier, tout comme le monde entier avait besoin de la Côte d’Ivoire. Il disait, vous vous en souvenez qu’il n’y a pas d’étrangers et d’Ivoiriens, il y a seulement des habitants de la Côte d’Ivoire. Si nous avions revisité cette belle formule du père-fondateur, on aurait évité plus de 15 ans de crise. A l’instar des USA, la Côte d’Ivoire est une terre d’immigration donc forcement, c’est une terre d’intégration. Etant toujours caractériser d’un petit USA grâce à son melting-pot, nous sommes tous des enfants d’immigrés, seule la date d’arrivée change. En effet, les trois grands groupes ethniques que sont les Akan, les Krou et les Maliké , viennent respectivement du Ghana, du Libéria et des pays du nord de la Côte d’Ivoire. En ce qui concerne les Ivoiriens blancs, ils ont immigré pour l’essentiel du proche et moyen orient et de l’Europe. Donc cette interconnexion ne doit pas faire défaut, à l’intérieur même du pays.
Je demande donc aux habitants de la Côte d’Ivoire d’écouter et appliquer sans outre mesure les conseils du ministère de la Santé. On ne choisit pas de tomber malade. C’est la maladie qui vient à vous sans qu’on le veuille. Il faut donc éviter de stigmatiser les ressortissant des pays frères, ne pas créer un autre conflit identitaire de tribalisme ou d’exclusionnisme. N’empêche que si on voit quelqu’un qui est malade, on peut lui conseiller de se soigne ou d’aller se faire ausculter. Il faut être altruiste. Cet altruisme qui a toujours caractérisé l’Ivoirien doit prévaloir en cette difficile période d’épidémie. Ça n’empêche pas d’être vigilant. Dieu merci, notre pays n’est pas encore atteint. Je souhaite qu’il en soit préservé. Comme disait Houphouët, la Côte d’Ivoire est un pays béni de Dieu.
Interview réalisée par Guy TRESSIA
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