Embargo russe: les apprentis sorciers pris au piège

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Gérard Le Puill – La Terre n°3640

A force de multiplier les sanctions économiques contre la Russie à propos de la situation en Ukraine, l’Union européenne se voit frappée d’embargo sur les exportations agricoles de tous les pays membres pendant un an.

L’inquiétude a gagné de nombreux agriculteurs français et européens depuis la décision prise par la Russie de décréter un embargo sur les exportations européennes de produits agricoles. Jusqu’à présent environ 10% des exportations de produits agricoles des pays membres de l’Union européenne vers les pays tiers étaient achetés par la Russie. Il s’agissait notamment de fruits et légumes, de viandes, de produits laitiers, de vins et alcools. En 2013, les exportations françaises de produits agricoles en Russie ont atteint 1,7 milliard d’euros dont 540 millions d’euros en boissons alcoolisées.
Pression sur la Russie
Pour comprendre, les raisons de cet embargo décidé en août 2014 par Vladimir Poutine, il faut faire un peu d’histoire. Dès 2012, l’Union européenne avait tenu à négocier un accord de libre échange avec l’Ukraine, pays frontalier de la Russie et membre de l’URSS jusqu’à la chute de Gorbatchev. Alors que l’accord militaire connu sous le nom de « Pacte de Varsovie» a été dissous après la fin des Etats communistes d’Europe de l’Est, les structures de l’OTAN – que la France a réintégrées sous Sarkozy- ont été renforcées en y intégrant des pays comme la Pologne et les petits Etats baltes membres de l’Union européenne. Avec une volonté de mettre une pression permanente sur la Russie. Soumis à des pressions contradictoires de la Russie et de l’Europe, l’ancien président ukrainien Victor Yanoukovich avait finalement refusé de ratifier l’accord d’association négocié avec Bruxelles en novembre 2013. Mais il fut contraint de quitter le pouvoir quelques semaines plus tard en raison des manifestations qui paralysèrent Kiev, la capitale ukrainienne pendant plusieurs semaines, tandis que les prorusses de Crimée faisaient sécession et décidaient de leur rattachement à la Russie par référendum.
Fin juin 2014, un nouvel accord de libre échange était signé par l’Europe, l’Ukraine du nouveau président Porochenco, la Moldavie et la Géorgie, deux autres pays de l’ancienne URSS. Entre temps, les pays membres de l’Union européenne avaient multiplié les sanctions économiques contre la Russie, en gelant des avoirs en Europe de certains hommes d’affaires russes proches du pouvoir, voire en mettant l’embargo sur certaines exportations européennes vers la Russie.

Dans ce contexte, l’embargo russe sur n n n les exportations agricoles et agroalimentaires de l’Union européenne n’est que la réponse du berger à la bergère. Soutenus par 85% de la population selon un sondage, Poutine a pris une mesure de rétorsion en se disant que les expéditeurs européens de pommes, de pêches, de poires, de tomates et de salades souffriraient davantage de ne pas vendre leurs produits périssables que le peuple russe d’en manquer. D’autant que certains de ces produits peuvent venir d’ailleurs.

5 à 10 % de retrait
En France, outre la perte de débouchés en fruits, produits laitiers, viandes, vins et spiritueux, on redoute surtout les conséquences sur les prix de marchés. Les arboriculteurs espagnols s’efforcent déjà de vendre en France, parfois de manière illégale, ce qu’ils ne vendent plus en Russie. Les producteurs de lait polonais et allemands tenteront de vendre dans les autres pays de l’Union les produits laitiers et les vaches de réforme qui ne seront plus vendus à la Russie. Nos grandes surfaces, dirigées par des requins comme Michel-Edouard Leclerc, sont déjà à l’affût pour faire chuter les cours à la production. Dans une conversation téléphonique avec le président de la FNSEA, François Hollande aurait assuré son interlocuteur que des contacts étaient « en cours avec la Commission européenne pour que les conséquences directes et indirectes de cet embargo soient évaluées avec précision afin de prendre des mesures adaptées à la situation». Le 11 août, le Commissaire Ciolos a indiqué que 5% à 10% des volumes de fruits et légumes européens pourraient être retirés des marchés prochainement pour soutenir les cours tandis que le gouvernement français a fait savoir qu’il allait accroître les contrôles pour combattre les exportations frauduleuses en France. Ce qui laisse penser que la situation des marchés va se dégrader. La filière porcine française aurait déjà perdu 500 millions d’euros du seul fait de la faiblesse des cours depuis que les exportations européennes de viande porcine ne rentrent plus en Russie pour des raisons sanitaires après des cas de peste porcines constatés dans certains pays membres de l’Union. Ce précédent aurait du inciter les gouvernements européens et la Commission de Bruxelles à plus de retenue. Mais il semble que les intérêts des paysans comptent peu en Europe dès qu’il s’agit de punir la Russie de Poutine.

Dans La Terre n°3640 du 19 au 25 août 2014

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