Par Haby Niakate, envoyée spéciale de Jeune-Afrique
Divorces, successions, arnaques… À Abidjan, les tribunaux ne désemplissent pas. Jeune Afrique a promené ses oreilles de files d’attente en salles d’audience.
À l’annonce de son nom et de celui de son mari, elle a poussé un gémissement qui a fait sursauter toute la salle d’audience. Et qui, surtout, a eu le don d’exaspérer la juge… « Madame, je vous ai déjà dit de ne plus venir. À chaque fois ce sont les mêmes scènes ! » Âgée d’une cinquantaine d’années, toute de jaune vêtue, la femme continue de se plaindre : « C’est lui qui m’a rendue comme ça ! »
Comme la majorité des personnes présentes, elle est là pour un divorce. Sauf qu’elle, cette rupture, elle n’en veut pas. « Madame, pourquoi vous accrocher ? Votre mari n’a même pas fait le déplacement », dit la magistrate. Puis, après un bref silence : « Si vous ne pouvez pas supporter d’être là, faites-vous représenter par quelqu’un d’autre la prochaine fois ! » Escortée par deux policiers, la femme, tremblante, sort péniblement de la salle.
Sur les bancs, on s’est levé pour mieux voir la scène. « Enfin de l’action ! » semblent dire certains regards moqueurs. Il faut dire que, depuis près d’une heure, la juge égrène les noms des couples dont les procédures sont en cours. Sans presque jamais lever le nez de son immense pile de dossiers, elle répète quasi systématiquement que le cas est renvoyé au mois d’octobre.
Puis c’est le même rituel : les personnes concernées se lèvent et s’en vont, pas plus avancées – encore moins réconciliées – qu’à leur arrivée. À l’extérieur, on fait le forcing pour entrer, mais il n’y a plus de place. Trop tard, de toute façon : il est midi, la séance est levée. Bienvenue au palais de justice d’Abidjan-Plateau.
Beaucoup de badauds sont présents
C’est vendredi et il y a foule. Dans les couloirs, les jeunes impatients se mêlent aux plus âgés, éreintés par l’attente et parfois assis à même le sol. On se salue, on s’énerve, on plaisante : « Ah ! toi aussi tu t’es trompé le jour de ton mariage ? Tu viens divorcer ? » Réponse amusée : « Non, je suis là pour un problème d’hérédité ! » Un policier essaie tant bien que mal d’organiser la circulation devant cette aile du palais.
Dépassé face à une centaine de personnes, il explique que pour les affaires d’hérédité (qui visent à établir ou non la qualité d’héritier), il faut procéder en deux étapes : ceux qui sont déjà venus doivent entrer les premiers pour récupérer leurs convocations, les autres doivent attendre afin de pouvoir exposer leur cas. Las, une fois les portes de la salle d’audience rouvertes, tout le monde s’y engouffre ! Qu’importe les instructions, l’essentiel est d’être à l’intérieur.
Il est 14 heures, dans une autre aile de l’édifice. L’ambiance est tout autre. Ils sont près de soixante-dix, en rang deux par deux, devant l’une des deux plus grandes salles du tribunal. C’est l’audience des flagrants délits, attendue avec impatience par les familles des victimes, des prévenus et beaucoup de badauds. « Veuillez prendre place », déclare un policier. Le lieu, majestueux avec ses hauts plafonds, son marbre et ses deux immenses statues d’ébène, impose solennité et silence. Ceux qui n’ont pas eu de place assise sont invités à attendre dans le fond, à l’entrée. La sonnerie qui annonce l’arrivée des magistrats retentit, tout le monde se lève. La séance est ouverte.
État civil un peu flou
Dans le box des accusés, ils sont une douzaine ce jour-là, dont une femme. Menottés ensemble, par petits groupes de quatre ou cinq. Aucun d’entre eux n’est assisté d’un avocat, même commis d’office. Le premier à passer devant la cour est un vieil homme à l’état civil un peu flou. Barbe et cheveux blancs, il comparaît assis. Il est accusé d’arnaque. Le litige porte sur la vente d’un terrain de 34 hectares situé au nord d’Abidjan. « L’acheteur est venu me voir et a dit qu’il était géomètre, explique l’homme. Il m’a dit qu’avant de commencer à travailler sur mon terrain, je devais lui fournir une photocopie de mes titres de propriété. Ce que j’ai fait. »
L’acheteur lui aurait ensuite donné une certaine somme d’argent. « Comme je suis malade, il m’a dit que cela m’aiderait à me soigner », ajoute le vieux. « Mais cet argent, ces 2,5 millions de F CFA [3 811 euros], vous êtes sûr que ce n’était pas pour le terrain, monsieur ? » demande la juge. « Bien sûr, puisque cette somme n’équivaut même pas à la valeur de trois lots de mon terrain », lance le prévenu, qui explique que sa famille est propriétaire de ces terres « depuis 1942 ».
La parole est à l’accusation. Très en verve, le procureur brandit un document qui, selon lui, prouve que le vieillard n’est pas propriétaire dudit terrain, lequel appartiendrait en fait à l’État ivoirien. Il demande deux mois de prison ferme et 50 000 F CFA d’amende. Brouhaha dans la salle. « Avez-vous quelque chose à ajouter ? » demande la juge au prévenu. « Madame, je suis malade, vraiment… marmonne le vieil homme. Me mettre en prison, c’est comme apporter cadavre au cimetière ! »
La juge tourne la tête à gauche puis à droite, visiblement pour consulter les deux autres magistrats qui l’entourent. Quelques secondes plus tard, le jugement tombe : un mois de prison ferme. Le vieux, qui ne peut se déplacer seul, est raccompagné par deux agents. Dossier suivant.
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