Par Prao Yao Séraphin
Dans quelques heures, la Côte d’Ivoire va célébrer ses 54 ans de liberté surveillée. En effet, l’histoire nous enseigne qu’entre le 1er Janvier et le 31 Décembre 1960, 17 pays d’Afrique subsaharienne (ASS), dont 14 anciennes colonies françaises, accédaient à la souveraineté nationale et internationale. La Côte d’Ivoire faisait partie de ces pays. Evidemment cela fait cinquante-quatre ans, qu’ils sont théoriquement libres. Pour ne pas démentir la légende qui veut que les africains aient un faible pour les festivités, ils ne manqueront pas cette occasion pour danser et festoyer. Habituée à la gymnastique folklorique, la Côte d’Ivoire va engager des sommes colossales pour une journée de la honte. Nous voulons simplement à travers les lignes qui suivent montrer que la Côte d’Ivoire n’est pas indépendante. De ce point de vue, il est indécent d’organiser une fête à cet égard.
1. La Côte d’Ivoire n’est pas un Etat souverain
Dans un souci de clarté, commençons par donner une approche définitionnelle au concept de souveraineté. Elle est de plus en plus la qualité de l’État de n’être obligé ou déterminé que par sa propre volonté dans les limites du principe supérieur du droit et conformément au but collectif qu’il est appelé à réaliser.
En droit, la souveraineté est perçue comme la détention de l’autorité suprême, c’est-à-dire d’un pouvoir absolu (dont tous dépendent) et inconditionné (qui ne dépend de qui que ce soit). Dans les régimes despotiques, la souveraineté est le plus souvent détenue par un seul homme. Dans les démocraties, elle est détenue par le peuple, constitué en un corps politique, la nation : on parle dès lors de souveraineté nationale.
Mais quel est le lien entre la souveraineté et l’indépendance ? Juridiquement, l’indépendance est le critère de la souveraineté. Parallèlement, la souveraineté de l’État peut l’aider à garder son indépendance : les États tiers ne peuvent pas s’immiscer dans les affaires d’un État souverain. L’indépendance pour un pays, est l’acquisition de sa totale souveraineté politique, par opposition au fait d’être régenté par une autorité suzeraine ou coloniale.
Un pays indépendant est un pays qui exerce sa souveraineté en toute liberté, n’a d’allégeance pour aucun autre pays et ne se détermine qu’en fonction de ses intérêts et de sa volonté. Mais il importe de souligner que l’Indépendance n’est jamais un acquis définitif. Elle doit toujours être consolidée et enrichie, notamment par le renforcement du rapport du citoyen à son pays dans le cadre et l’esprit d’un projet de société auquel adhèrent librement les citoyens autour de valeurs communes et de principes partagés, tant il est vrai que l’on ne s’attache à un pays que si l’on sent qu’il appartient à tous et qu’il offre la sécurité, le droit au travail, à la santé, à l’éducation et à la démocratie.
Lorsqu’il évoquait « l’indépendance du drapeau », le leader indépendantiste tanzanien Julius Nyerere voulait faire comprendre que la véritable indépendance ne réside pas uniquement dans ses attributs extérieurs. Pour être effective, elle ne peut se contenter d’être diplomatique. Elle doit aller au-delà, pour se manifester dans tous les domaines de la vie d’un pays, le politique et administratif, l’économique et le financier, le culturel enfin. La Côte d’Ivoire n’est pas un pays indépendant.
Premièrement, le pays est incapable de se défendre. En fait depuis 1961, un seul pays, la France s’est arrogé le droit de défendre la Côte d’Ivoire en cas d’attaques. Du coup, le pays n’a pas une armée formée capable de résister aux menaces terroristes. Au niveau de la sécurité intérieure, la Côte d’Ivoire reste un État fragile. Aujourd’hui, les Ivoiriens se demandent s’ils ont une gendarmerie et une police républicaines. Dans les villes ivoiriennes, les populations constatent que certains ont des armes et les autres pas, sans que personne ne sache les critères de détention de ces armes.
Deuxièmement, au niveau de la justice, l’indépendance de cette institution n’est pas pour demain. Fonctionne-t-elle ? Peut–être oui. Est–elle du goût des ivoiriens ? Nous doutons fort bien. Les ivoiriens ont le sentiment d’avoir une justice à plusieurs vitesses : une justice des riches barrons intouchables, une autre pour la classe moyenne qui peut se soustraire avec un peu de chance des décisions de justice et une autre pour les pauvres, la classe laborieuse. Un pays souverain doit avoir une justice capable de dire le droit pour tous ses fils et filles et non être l’auxiliaire d’une quelconque justice.
Troisièmement, au niveau économique, le pays a une économie extravertie. Au niveau des finances, la Côte d’Ivoire est un pays dont l’endettement extérieur amenuise sa souveraineté. La dette est une arme puissante entre les mains des occidentaux, pour piller les fabuleuses ressources des pays africains. A travers l’endettement, les occidentaux pillent et colonisent « nos économies ». La quête de la souveraineté ne s’accommode donc pas d’une recherche effrénée d’aide extérieure. Le pays doit plus de 4000 milliards de Fcfa deux années après l’atteinte du point d’achèvement de l’initiative pays pauvres très endettés (IPPTE). La Côte d’Ivoire fait partie de la zone franc, qui est surtout le lieu d’une gestion centralisée de la « monnaie franc CFA ». Le pays a signé des accords de coopération léonins qui limitent sa souveraineté nationale au niveau de la politique monétaire (fixation du taux de change, régulation de la masse monétaire et fixation des taux d’intérêt). La gestion monétaire du franc CFA oblige les pays membres à déposer une grande partie de leurs épargnes en France alors que les besoins de financement du développement sont énormes.
Quatrièmement, le pays n’est pas indépendant au niveau énergique. Aujourd’hui encore, dans presque tous les quartiers de la capitale économique, nous constatons des coupures d’eau et d’électricité. Peut-on qualifier de souverain, un Etat qui laisse une partie de sa population dans le noir et sans eau potable ? Certainement pas.
Cinquièmement, le pays n’a pas d’influence au niveau mondial. Il est admis que c’est avec la théorisation du droit des États que la notion de diplomatie est apparue, proposant une alternative à la guerre. Car il existe deux façons de régler les conflits entre nations : la guerre ou la diplomatie. La France, par exemple, s’est très vite dotée d’une diplomatie active pour défendre ses intérêts et assurer son rayonnement. La politique étrangère de la France, ou diplomatie française, est la politique menée par ce pays vis-à-vis des autres pays en vue de favoriser ses intérêts géostratégiques, politiques, et économiques. En Côte d’Ivoire, les gouvernants pratiquent une diplomatie de soumission aux occidentaux dans le seul dessein de se maintenir au pouvoir.
2. Comment conquérir et construire la souveraineté
Le 7 aout doit être une occasion qui rappelle la lutte glorieuse de nos parents pour l’autodétermination et un avenir plus sûr. A travers ce qui a été dit plus haut, le pays est tout sauf indépendant. Il nous faut donc rappeler à la conscience nationale ce que devrait constituer l’indépendance pour les populations, relativement à la question de l’autonomie, de la responsabilité et du mieux-être.
Il faudra sortir le pays de la colonisation monétaire. Il est moralement inacceptable que les pays de la zone franc continuent dans l’esclavage monétaire. Un Etat indépendant doit battre sa monnaie et être le seul responsable de la politique monétaire. La pérennisation d’un vestige colonial ne sera jamais un attribut de souveraineté. La monnaie est sans aucun doute une expression de la souveraineté d’un pays. La monnaie joue un rôle dans l’ensemble des processus et des relations par lesquels une communauté se constitue en autorité souveraine.
Il faudra construire une économie sur des bases autocentrées. La Côte d’Ivoire est un déversoir de produits manufacturés et un réservoir de matières premières pour les industries françaises. Cette économie de traite date de la colonisation et rien n’est fait pour diversifier les bases de cette économie. Lorsqu’un pays compte uniquement sur un ou deux produits d’exportation, il ne peut pas prétendre être indépendant. Les retraités, les chômeurs, les jeunes, les paysans, les femmes, toutes les populations, d’une manière générale, sont l’otage de ce modèle dépassé.
Il faudra construire l’indépendance stratégique. Il s’agira pour le pays de chercher à être indépendant au niveau énergétique, au niveau médiatique et au niveau de la défense. Parce que l’indépendance est dynamique, les pays occidentaux gèrent stratégiquement leurs ressources énergétiques en pensant à demain. Avec la nouvelle géographie mondiale, la localisation du capital naturel reste un atout pour les pays. En même temps, l’exploitation sereine de ces ressources n’autorise pas qu’on néglige la défense stratégique. Avec la signature de multiples accords de défense entre la France et les pays africains, il est devenu difficile pour ces pays de penser des stratégies propres à eux et pour leurs populations. Le Président Ouattara a signé, en 2012, des accords de défense opaques sans que les Ivoiriens ne sachent pour combien de temps, il a vendu la Côte d’Ivoire à la France.
Conclusion
L’indépendance n’est pas une proclamation ni une déclaration. Elle est construite et entretenue. On ne prend pas non plus une ordonnance pour que le pays soit indépendant. Un pays indépendant, on le voit et on le reconnaît. Pour la Côte d’Ivoire, le 7 août doit nous donner le prétexte de réfléchir sur les politiques économiques et sociales menées. Pourquoi la Corée du Sud a pris une avance sérieuse sur la Côte d’Ivoire alors que nous avions presque les mêmes niveaux de développement ? Pourquoi depuis 1945, le pays continue avec une monnaie coloniale ? Pourquoi les ressources de notre sous-sol ne profitent pas aux populations ? Pourquoi les Ivoiriens n’arrivent pas à construire un pont alors qu’ils ont une école de travaux publics à Yamoussoukro ? Si on commence par se poser les bonnes questions, nous aboutirons aux bonnes réponses.
[Facebook_Comments_Widget title= » » appId= »331162078124″ href= » » numPosts= »5″ width= »470″ color= »light » code= »html5″]
Les commentaires sont fermés.